Rivarol : Quelle est la position de la Russie sur les événements actuels en Palestine et comment l’interprétez-vous ?
Youssef Hindi : La Russie met en accusation Israël et les États-Unis. Vladimir Poutine a déclaré que les États-Unis, soutiens inconditionnels de l’État juif, sont responsables de la situation catastrophique en Palestine. C’est « le résultat de l’échec de la politique américaine. La politique partiale, conduite sur de nombreuses années, a mené à une impasse de plus en plus profonde » [1].
Il a ajouté que le siège de Gaza par l’entité sioniste est « inacceptable », et il l’a comparé au siège de Léningrad par l’Allemagne nazie [2].
En ce moment, Poutine tente de calmer la situation en jouant le rôle de médiateur. Mais la réalité géopolitique est que la guerre en Ukraine et celle qui semble démarrer au Proche-Orient sont les deux fronts d’une même grande guerre opposant les États- Unis, Israël et leurs alliés à la Russie et ses alliés, notamment l’Iran. En cas d’embrasement et d’élargissement du conflit, Moscou ne tiendra pas longtemps en tant que pays neutre.
L’attaque menée par le Hamas, le 7 octobre dernier, est présentée par les médias du système comme un acte terroriste. Pour vous, quelle est la nature de cet épisode du plus long conflit de l’histoire contemporaine et quel intérêt de le faire passer pour « un pogrom de civils » ?
Je commencerai par répondre en citant l’ambassadeur de Russie à l’ONU, V. Nebenzya, qui a déclaré : « Nos collègues occidentaux font de leur mieux pour décrire tout cela comme si l’escalade actuelle était sortie de nulle part. Nous ne pouvons ignorer le fait que l’actuelle flambée de violence s’est produite dans le contexte de la violation systématique par Israël des résolutions du Conseil de sécurité et des Nations unies. Parmi eux, l’expansion illégale des colonies. Toute tentative d’ignorer ce contexte est une manipulation que nous ne pouvons soutenir. Pendant des années, les États-Unis ont bloqué toute tentative du Conseil de sécurité, tout appel à la modération, arguant qu’il est plus efficace d’aborder ces questions au niveau de la diplomatie régionale. Eh bien, il est désormais clair que cela a échoué. »
Le Hamas a visé des militaires israéliens, et aussi des civils, ce qui peut être qualifié, du point de vue du droit, de crime de guerre. Mais il faut rappeler deux choses. Israël commet des crimes de guerre depuis sa création, et mène une politique de nettoyage ethnique constante depuis l’implantation du foyer national juif au début des années 1920 ; et deuxièmement, il y a une asymétrie énorme entre la puissance de frappe de l’entité sioniste et celle des groupes armés palestiniens. On peut, pour complaire à l’appareil politico-médiatique occidental, condamner toute attaque visant des civils, mais on se doit de rappeler que cette pratique a été normalisée par les Israéliens. De ce point de vue, on peut conclure que le Hamas est dans la violence mimétique.
Sur le terrorisme, je rappelle les propos du général de Gaulle tenus lors de sa conférence de presse du 27 novembre 1967 : « On sait que la voix de la France n’a pas été entendue, Israël ayant attaqué, s’est emparé en six jours de combat des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion. Et il s’y manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme. » Lorsque l’on chasse un peuple de sa terre et que l’on s’y installe, on s’expose à la violence. Je dirai que cela fait partie du contrat.
Faire passer cette attaque pour un pogrom permet de rappeler aux Occidentaux « les heures les plus sombres de l’histoire » et de justifier ainsi le massacre de masse en cours et l’épuration ethnique que projette Israël depuis longtemps contre les Palestiniens.
Dès le lendemain de l’attaque, le discours officiel évoquait des massacres horribles et une prise par surprise de l’armée israélienne. Beaucoup évoquent déjà un « 11 Septembre » à l’israélienne. Pensez-vous que certains éléments au sein du pouvoir profond sioniste ont laissé faire ce drame pour l’utiliser ou que l’État hébreu est devenu un colosse aux pieds d’argile ?
Le chef des services de renseignement égyptien a déclaré qu’il avait prévenu Netanyahou dix jours avant l’attaque que le Hamas préparait quelque chose d’énorme [3]. On peut effectivement supposer qu’Israël a laissé faire pour se donner le prétexte attendu afin de lancer cette attaque sans précédent et la justifier aux yeux du monde. Arnaud Klarsfeld a parlé d’un « 11 Septembre israélien ». Et visiblement, l’attaque du Hamas n’était pas suffisamment meurtrière pour Tsahal qui a fait circuler une fausse information, à savoir la décapitation de « 40 bébés israéliens par le Hamas ». Ce sont des soldats israéliens qui ont dit « qu’ils pensaient que… », notamment à une journaliste de Sky News qui a déclaré « nous avons demandé à trois reprises aux Forces de défense israéliennes de confirmer ces chiffres. Elles ne l’ont pas encore fait... Nous n’en avons pas vu la preuve » [4].
On n’a jamais trouvé les traces de ces bébés décapités. Cela ressemble à de la propagande de guerre qui nous rappelle les couveuses du Koweït, la maternité de Kharkov et le massacre de Boutcha, et bien d’autres médiamensonges, pour reprendre le néologisme de Michel Collon.
Il n’en demeure pas moins que c’est une humiliation pour la « puissante » armée israélienne qui a forgé sa réputation lors des deux guerres de 1967 et de 1973 qui l’opposaient à des armées arabes relativement faibles. La dernière guerre d’Israël qui l’opposait au Hezbollah en 2006 a montré au monde entier la réalité de cette puissance. Tsahal a été vaincu. Et tout porte à croire qu’une attaque au sol à Gaza se soldera par un massacre, car les réservistes israéliens ne sont pas prêts pour une telle confrontation au milieu des ruines.
Comment définir l’idéologie sioniste actuelle ?
Le sionisme est depuis l’origine un projet religieux, messianique, qui s’est sécularisé au XIXe siècle. J’ai consacré un livre entier à ce sujet : Occident et Islam – Tome 1 : Sources et genèse messianiques du sionisme (Éditions Sigest, 2015). Le sionisme est apparu aux yeux du monde comme un projet politique laïque. Les témoins de la création du foyer national juif et de l’État d’Israël n’ont pas su voir son essence religieuse et sa dimension proprement eschatologique. L’État d’Israël opère un tournant progressivement religieux après la guerre de 1967 ; et sa nature profonde commença à se faire jour. On peut dire que la guerre des Six Jours, qui fut considérée par nombre de juifs comme un miracle géopolitique, a ramené le sionisme à son arkhè messianique. Et depuis une dizaine d’années, les gouvernements successifs sont ouvertement religieux, orthodoxes et messianistes. L’objectif affiché est la destruction de la mosquée al-Aqsa, la construction du Troisième Temple et l’extension des frontières d’Israël du Nil à l’Euphrate. C’était le projet de départ, et ce avant même la création du foyer national juif. Théodore Herzl, qui était athée, a écrit en 1904 que les frontières du futur État d’Israël s’étendront « du fleuve d’Égypte à l’Euphrate » [5]. Le Rabbi Fischmann, membre de l’Agence juive pour la Palestine, a déclaré dans son témoignage au Comité spécial d’investigation de l’ONU du 9 juillet 1947 : « La Terre promise s’étend du fleuve d’Égypte à l’Euphrate. Elle inclut une partie de la Syrie et du Liban. » [6]
La contre-attaque contre la bande de Gaza risque de devenir une vaste opération de nettoyage ethnique de ce territoire. Quelle est la doctrine actuelle de l’État sioniste envers les territoires occupés ? Assistons-nous à une nouvelle étape du « grand remplacement » des Palestiniens par les colons sionistes ?
Comme je l’ai dit, depuis l’implantation du foyer national juif en Palestine, il y a un siècle, l’objectif est de judaïser le territoire que les sionistes considèrent comme appartenant au peuple juif. Ce territoire inclut le Sinaï égyptien (qui a été occupé et colonisé par Israël de 1967 à 1982), le Liban, une partie de la Syrie (je rappelle qu’Israël occupe le Golan syrien) et une grande partie de la Jordanie. Et si on regarde la carte du Grand Israël, c’est également une partie de l’Arabie et de l’Irak qui est censée revenir à l’État juif. On a affaire à un projet qui paraît délirant, et qui ne peut s’accomplir que par la guerre et la destruction, non seulement des Palestiniens, mais aussi des pays voisins. On a tendance à l’oublier, mais en 1956 Israël annexe la bande de Gaza (qui était occupée par l’Égypte) ainsi que le Sinaï. L’État hébreu est contraint par les États-Unis et l’Union soviétique de s’en retirer.
En 1967, durant la guerre des Six Jours, Israël occupe de nouveau Gaza et la colonise jusqu’en 2005. Ce retrait des colonies, ordonné par Ariel Sharon, permet au Hamas de gagner les élections en 2006. Le Hamas met au crédit de sa résistance le retrait des colonies. Le blocus de Gaza commença cette année-là. Et trois ans après le départ des colons israéliens de Gaza, Israël commence à bombarder massivement et régulièrement ce camp de concentration géant pour y rendre la vie infernale afin que les Gazaouis acceptent la proposition israélienne : partir dans le Sinaï.
Quant à la Cisjordanie, il y avait en 1993 (années des accords d’Oslo), 115 000 colons juifs ; aujourd’hui ils sont 700 000, et tous les jours des Palestiniens sont chassés de chez eux et remplacés par des juifs.
La doctrine israélienne vise à chasser tous les Palestiniens. Et ce n’est pas nouveau. Cela a toujours été sa politique. Elle est simplement actualisée et réadaptée au contexte. Le projet d’épuration ethnique est ancré dans la religion juive.
Moïse Maïmonide (1135-1204) – une des plus importantes autorités religieuses de l’histoire juive et auteur du premier code de la loi talmudique, la Mishneh Torah, laquelle demeure d’une importance fondamentale – écrit que, le jour venu, il faudra exterminer tous les habitants de la Terre promise ; le commandement « Ne laisser survivre aucun Cananéen », dit-il, est « valable en tout temps » [7].
« Quand les juifs sont plus puissants que les goyim, il nous est interdit d’admettre un idolâtre parmi nous ; même un résident temporaire ou un marchand itinérant ne sera pas autorisé à passer par notre pays, à moins qu’il n’accepte les sept préceptes noachiques, car il est écrit : "Ils n’habiteront plus ton pays (Exode 23, 33)", c’est-à-dire même pas provisoirement. S’il accepte ces sept préceptes, il devient un résident étranger (ger toshav), mais il est interdit d’accorder ce statut de résident étranger, sauf aux époques où l’on observe le Jubilé (c’est-à-dire quand le Temple existe et qu’on offre les sacrifices). Mais durant les temps où l’on ne célèbre pas les jubilés, il est interdit d’accepter quiconque ne s’est pas pleinement converti au judaïsme (ger tzedeq). » [8]
Il y a un double projet depuis plusieurs années : chasser les Gazaouis et les Palestiniens de Cisjordanie vers le Sinaï, en Égypte. En juillet 2014, le vice-président de la Knesset, Moshe Feiglin, propose le plan suivant pour Gaza [9] : « Un avertissement du Premier ministre israélien à la population ennemie, dans lequel il annonce qu’Israël est sur le point d’attaquer des cibles militaires dans leur région et demande à ceux qui ne sont pas impliqués et ne souhaitent pas être blessés de partir immédiatement. Le Sinaï n’est pas loin de Gaza et ils peuvent partir. »
« Un siège total est imposé à Gaza. Rien ne peut entrer dans la zone. Israël autorisera toutefois la sortie de Gaza. (Les civils peuvent se rendre dans le Sinaï). »
« Gaza est un fragment de notre Terre et nous y resterons jusqu’à la fin des temps... elle deviendra partie intégrante de l’État d’Israël et sera peuplée par les juifs. »
Le 12 janvier 2018, Haaretz rapporte que Benyamin Netanyahou a demandé au président Barack Obama, de donner aux Palestiniens le Sinaï en échange de l’annexion de parties de la Cisjordanie [10]. Ce plan est similaire à celui qui a été proposé par Israël à l’administration Trump qui inclut dans l’accord des échanges de terres dans le Sinaï.
Aujourd’hui, les bombardements israéliens sur le nord de Gaza visent à pousser ceux qui y vivent vers le sud, afin d’exercer une pression sur l’Égypte pour qu’elle accepte de recevoir les Gazaouis dans le Sinaï.
Issu des Frères musulmans, le Hamas est une organisation qui a connu des positionnements souvent contradictoires. On explique qu’il a été d’ailleurs soutenu par les Israéliens contre les nationalistes arabes de l’OLP. Que pouvez-vous nous dire sur l’histoire et son rôle actuel dans la résistance palestinienne ?
Au début des années 1970, Ahmed Yassine, qui fondera le Hamas en 1987, revient du Caire, et l’État hébreu laisse s’implanter à Gaza et en Cisjordanie l’éco-système des Frères musulmans (associations, écoles, ateliers de confection pour l’emploi des femmes, aide financière aux plus démunis, universités…). L’hebdomadaire israélien Koteret Rashit publie un article en octobre 1987 dans lequel il est écrit que « le gouvernement militaire (israélien) était convaincu que ces activités affaibliraient l’OLP et les organisations de gauche à Gaza » [11].
En 1984, Ahmed Yassine est arrêté et condamné à douze ans de prison à la suite de la découverte d’une cache d’armes. Mais il est relâché l’année suivante. Et quand débute l’Intifada, en octobre 1987, les Frères décident de rejoindre le mouvement de révolte et créent le Hamas le 14 décembre 1987. Deux ans plus tard, Ahmed Yassine est arrêté et il est condamné à la prison à vie.
En septembre 1993 sont signés les accords d’Oslo, que l’État juif n’entend pas observer. En effet, depuis sa création, Israël n’a respecté aucun accord, aucun partage de territoire et viole systématiquement les résolutions de l’ONU.
Le Hamas rejette les accords d’Oslo et sera « aidé par Israël… du vivant même de Rabbin » [12], pour les torpiller. Le Hamas se lance alors dans une « campagne d’attentats obéissant à un calendrier politique précis – veille de rencontre entre négociateurs palestiniens et israéliens ou de réunion du Conseil national palestinien qui allait décider de la reconnaissance d’Israël… », permettant à la droite israélienne de revenir au pouvoir en mai 1996 [13].
En 1997, Netanyahou, qui était Premier ministre à l’époque, libère Ahmed Yassine et l’autorise à retourner à Gaza en octobre de la même année, alors que Clinton et Netanyahou exigent de Yasser Arafat qu’il mette au pas le Hamas.
Les pays du Golfe coupent les fonds à l’OLP – Arafat ayant pris parti pour Saddam Hussein lors de la première guerre du Golfe alors que le Hamas s’est abstenu – et le Hamas récolte des centaines de millions de dollars à l’issue de la tournée de Cheikh Yassine dans ces pays (et aussi en Iran) entre février et avril 1998.
En 2011, lorsque la guerre anglo-américaine et israélienne par proxies terroristes contre la Syrie éclate, le Hamas se retourne contre Damas et soutient les rebelles qui veulent faire tomber l’État syrien. Khaled Mechaal, un des chefs du Hamas, quitte Damas, où il vivait, pour le Qatar, qui finance l’organisation. La défaite des groupes terroristes, et la réconciliation du Qatar, vaincu, avec l’Iran, conduisent à la réconciliation entre le Hamas et Téhéran, puis, en 2022, à la réconciliation du Hamas et de Bachar el-Assad.
Aujourd’hui, je pense que le Hamas est au cœur d’un jeu géopolitique complexe opposant les Israéliens et les Iraniens. Les Israéliens, on l’a vu, ont besoin d’un antagoniste virulent qu’ils peuvent diaboliser, et dont les actions, notamment celle du 7 octobre dernier, leur servent de prétexte pour faire avancer leur agenda. Car, comment justifier l’épuration ethnique de Gaza – qui est dans les cartons israéliens depuis de nombreuses années – autrement que par la guerre totale contre « le terrorisme », contre « l’axe du Mal » ? On nous ressert le même narratif qu’au lendemain du 11 septembre 2001 : des attentats organisés depuis les grottes de Tora Bora, les armes de destruction massive de Saddam Hussein, etc. Rappelons au passage qu’Israël alimentait Washington en rapports alarmistes concernant les pseudo-programmes irakiens d’armes de destruction massive à un moment où, selon les termes mêmes de Sharon, « la coordination stratégique entre Israël et les États-Unis avait atteint un niveau sans précédent » [14]. Après la guerre du printemps 2003 et après qu’on eut appris qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive, le comité du Sénat en charge des relations avec les services de renseignement (Senate Intelligence Committee) et la Knesset ont publié des rapports séparés révélant que l’essentiel des informations transmises à l’administration Bush par Israël étaient fausses [15].
Pour les Iraniens, le Hamas est un outil dans la guerre régionale qui oppose l’entité sioniste au Hezbollah, à la Syrie et à l’Iran. La guerre n’a pas commencé le 7 octobre 2023. La guerre du sionisme contre les peuples du Proche-Orient a démarré il y a un siècle. Et dans la séquence historique actuelle, on peut placer cet épisode dans la suite de la guerre contre la Syrie à partir de 2011. Les groupes terroristes comme al-Nosra, l’armée syrienne libre et Daech sont les proxies des Israéliens qui faisaient le travail de destruction des ennemis de l’entité sioniste.
La victoire de la Russie, du Hezbollah, de la Syrie et de l’Iran contre ces mercenaires de l’hégémonisme américano-israélien est la défaite de l’État hébreu qui a soutenu les terroristes, en armes, en argent et en leur offrant des soins dans les hôpitaux israéliens.
Vous rappelez dans une émission d’ERFM, avec Alain Soral, que la résistance palestinienne comprend de nombreux chrétiens dans ses rangs. Quelle est la situation des chrétiens en Palestine et en comparaison en Israël ?
En Palestine, y compris à Gaza, il y a des églises, des communautés chrétiennes, qui pratiquent leur culte en toute liberté. « Les chrétiens palestiniens entretiennent habituellement des relations chaleureuses avec leurs voisins musulmans et ont des liens plus étroits, sur le plan religieux, avec leurs voisins musulmans qu’avec leurs voisins juifs. Les chrétiens palestiniens s’étonnent souvent que, pour des motifs religieux, certains chrétiens de l’extérieur appuient énergiquement Israël – un État qui a poussé bon nombre d’entre eux à quitter les communautés où ils sont nés et qui exerc une discrimination à leur endroit. » [16]
Les Palestiniens, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, subissent le même traitement. On le voit en ce moment, les bombes israéliennes ne font pas la distinction entre chrétiens et musulmans.
À Jérusalem, les chrétiens sont régulièrement insultés, agressés par des juifs orthodoxes qui leur crachent dessus. En juin 2019, des séminaristes et un prêtre arménien ont été agressés par des juifs orthodoxes qui les ont attaqués avec leur chien [17]. En mai 2021, deux membres du clergé arménien ont été pris à partie en pleine nuit par de « jeunes juifs ». Un des deux a été blessé [18].
Le 7 novembre 2022, des soldats israéliens ont craché sur des chrétiens et la croix qu’ils portaient lors d’une procession, dans la vieille ville de Jérusalem. « Les membres de l’Église arménienne ont déjà subi ce genre d’agression humiliante mais ce n’était encore jamais venu de la part de militaires mais plutôt de juifs religieux radicaux. » [19]
Plus récemment, le 15 avril 2023, des chrétiens ont été violemment agressés par les forces israéliennes alors qu’ils tentaient d’atteindre l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem pour la célébration du feu sacré [20].
Sans parler des églises brûlées, et de celle qui a été détruite ces jours-ci à Gaza par un bombardement israélien. Une église a été incendiée le 18 juin 2015 ; une maison du patriarcat délibérément détruite en novembre 2013 à Jérusalem [21] ; l’église Saint-Étienne de Bet Gemal, à 30 kilomètres de Jérusalem, a été saccagée le 20 septembre 2017.
Entre 1967 (la guerre de Six Jours) et 2012, environ 35 % de la population chrétienne palestinienne a émigré [22], en raison de la détérioration économique et sociale, l’occupation israélienne, avec les points de contrôle militaire et le mur de séparation [23].
Selon le rapport de juillet-décembre 2010 sur la liberté religieuse dans le monde publié par le département d’État américain, les leaders religieux palestiniens mentionnent également « les limites imposées à l’expansion des communautés chrétiennes en raison des restrictions relatives à la construction, les difficultés à obtenir les visas israéliens et les permis de résidence pour le clergé chrétien, les restrictions relatives à la réunification des familles imposées par le gouvernement israélien et les problèmes d’imposition entre autres raisons qui expliquent un accroissement de l’émigration » [24].
Comment expliquer cette brusque offensive palestinienne au regard de l’actualité géopolitique régionale et internationale ?
Cela s’explique par la nouvelle donne géopolitique au Proche-Orient qui doit être officialisée. Comme je l’ai dit plus haut, les groupes terroristes sous patronage israélo-américain, financés par l’Arabie saoudite et le Qatar, ont été vaincus par l’Iran et ses alliés. Cette victoire iranienne dans la région s’est soldée par un rapprochement du Qatar, puis de l’Arabie saoudite, avec Téhéran. De plus, l’Arabie saoudite subissait la pression des Houthis du Yémen soutenus par l’Iran. Au lieu d’entrer en guerre contre l’Arabie saoudite (lâchée par les Américains qui ont des priorités géopolitiques en Ukraine et en Asie-Pacifique), l’Iran lui a offert une porte de sortie honorable : la négociation diplomatique et économique, avec la participation de la Chine.
L’attaque du Hamas dans ce contexte n’est donc pas fortuite. Elle est notamment un moyen de sabotage de la normalisation israélo-saoudienne (et plus largement des accords d’Abraham) et l’officialisation du nouveau rapport de force proche-oriental face à un Israël affaibli, isolé militairement et diplomatiquement. C’est donc le meilleur moment pour l’Iran et ses alliés de régler leurs comptes avec Tel-Aviv.
Ce basculement du rapport de force proche-oriental est la miniaturisation d’un nouveau rapport de force mondial. Le fait que la Russie ait osé affronter militairement, industriellement et économiquement les forces de l’OTAN a été l’officialisation du monde multipolaire. La planète entière est témoin de cet affrontement direct contre l’ex-puissance unipolaire et hégémonique. Il est désormais possible d’affronter l’Occident anglo-américain, d’y survivre et possiblement de gagner. Ce basculement mondial a entraîné le basculement proche-oriental en cours.
L’embrasement dans toute la région vous semble-t-il possible ? Qui aurait intérêt à mettre le feu au poudre au Liban, en Iran ou en Syrie ?
Si Israël lance son offensive au sol, le Hezbollah ouvrira sans doute un second front au nord contre Israël. Les milices irakiennes pourraient venir en renfort. À partir de là, tout est possible. Si les Américains interviennent, pour frapper le Hezbollah, l’Iran serait peut-être contraint de s’impliquer directement.
L’embrasement régional, et même mondial, est dans l’intérêt d’Israël, dont la stratégie consiste, depuis de nombreuses décennies, à se débarrasser des États autour de lui qui empêchent son expansion territoriale. Je l’ai dit, la mission des groupes terroristes au Proche-Orient consistait à terminer le travail de destruction des États qu’ont commencé les Américains. Mais la Syrie et le Hezbollah sont toujours là, et l’Iran est plus puissant que jamais, et ils empêchent le Grand Israël. Par conséquent, l’État hébreu provoque le chaos pour contraindre les États-Unis à se réinvestir militairement dans la région pour le débarrasser du Hezbollah, de la Syrie et de l’Iran.
Les réactions de la classe politique française furent-elles une surprise pour vous ?
Il n’y a là rien de surprenant. C’est l’effet de la puissance du lobby pro-israélien. Cet unanimisme de la classe politique française derrière Tel-Aviv est similaire à l’alignement sur la guerre des États-Unis contre la Russie. Mais le lobby n’explique pas tout. Comment la classe dirigeante européenne en est arrivée à soutenir un régime d’apartheid qui pratique l’épuration ethnique ? Je pense que cela s’explique en partie par le triomphe géopolitique et culturel des Anglo-Américains judéo-protestants en Occident ; c’est un des sujets que je traite en profondeur dans mon dernier livre La guerre des États-Unis contre l’Europe (éd. Strategika, 2023). Leurs valeurs inégalitaires ont pénétré l’esprit des classes supérieures françaises. L’oligarchie occidentale divise le monde en deux catégories, que l’Israélien Yuval Noah Harari (conseiller de Klaus Schwab) a baptisées « les dieux » et « les inutiles ». L’État juif traite les Palestiniens comme des sous-hommes, le régime de Kiev traitait les Russes du Donbass comme des sous-hommes, et les dirigeants occidentaux traitent leurs propres peuples comme des sous-hommes. Il y a une profonde crise occidentale qui touche au socle anthropologique, et dont une des causes est la disparition du christianisme égalitaire, humain et charitable, le catholicisme, au profit du judéo-calvinisme inégalitaire. La crise interne à l’Occident se répercute dans la géopolitique. L’effondrement du catholicisme en France a eu un impact sur la géopolitique française. La France a disparu de la scène internationale après avoir été absorbée par l’hégémon inégalitaire.
Le discours d’un Zemmour ou d’une Marine Le Pen est la marque d’un alignement inconditionnel et servile sur l’entité sioniste et le Lobby de la « droite » dite nationale et identitaire. Que vise cette stratégie et quelles pourraient en être les conséquences ?
Pour ce qui est de Marine Le Pen, c’est une tactique bassement politique. Se soumettre au lobby pro-israélien pour en tirer quelques dividendes, poursuivre dans la dédiabolisation et l’intégration à l’arc républicain. Mais Zemmour, lui, est un porte-parole d’Israël. Nous le savions depuis plusieurs années déjà, mais aujourd’hui il apparaît comme un Israélien hystérique. Celui qui était resté silencieux face aux mutilations des Gilets jaunes est personnellement affecté par ce qu’il se passe en Israël.
La conséquence est que la totalité de la droite française ira dans le sens de la propagande israélienne préparant une guerre contre l’Iran pour sauver l’avant-garde de la « civilisation occidentale » que représenterait Israël. Cette même droite qui n’a pas protesté depuis que Macron implique la France dans une guerre contre la Russie, première puissance nucléaire mondiale.
La position de La France insoumise traduit-elle un glissement vers une forme d’islamo-gauchisme ou un simple calcul électoral ? Ou est-ce le fruit d’une vraie sincérité ?
La défense de la cause palestinienne, qui s’enracine dans l’anticolonialisme de l’époque tiers-mondiste, est profondément ancrée dans la tradition d’extrême gauche. L’électoralisme est un facteur supplémentaire. À quoi il faut ajouter une aversion que Mélenchon a pour le lobby pro-israélien en France (le CRIF) qui l’a attaqué et qualifié d’antisémite. Quant à ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme, il est à mon sens mal défini. On oublie les déclarations du franc-maçon Mélenchon contre le voile, et son discours qui, généralement, dénote chez lui un dégoût de tout ce qui touche aux religions traditionnelles. La réalité de « l’islamo-gauchisme », ce n’est pas l’alliance de l’islam et des idéologies gauchistes, mais la domination idéologique qu’exerce depuis les années 1980 la gauche française sur les populations immigrées des quartiers populaires. Il y a effectivement, chez de nombreux musulmans de France, un logiciel gauchiste qu’on leur a inséré dans le cerveau. Il y a un travail à faire de ce côté-là pour faire comprendre que le gauchisme, aujourd’hui plus que jamais, est antithétique de l’islam.