Grenoble, 30 juillet 2010 : « C’est une guerre que nous avons décidé d’engager contre les délinquants et les trafiquants ». Fort de ces propos musclés, Nicolas Sarkozy posait crânement, voici un an, les bases d’une politique volontariste en matière de sécurité intérieure et d’immigration, quinze jours après les graves violences urbaines survenues dans le quartier populaire de la Villeneuve.
A l’aune de ces buts de guerre, qu’en est-il des résultats tangibles enregistrés depuis lors par le chef de l’Etat dans la lutte contre toutes les formes de criminalité ? D’un point de vue empirique, le bilan est assurément calamiteux, singulièrement dans les banlieues qui focalisent largement en la matière les légitimes inquiétudes de nos compatriotes. Revue de détail de quelques faits divers qui ont frappé, ces dernières semaines, l’attention de l’opinion publique française, sans doute en raison du caractère inédit de nombre d’entre eux.
Devant l’impuissance des forces de police à enrayer le développement dans sa ville des trafics de stupéfiants, Stéphane Gatignon, maire de Sevran, en est réduit, le 2 juin, à faire appel à l’armée pour assurer la sécurité des écoles de sa commune devant la multiplication des règlements de comptes entre gangs qui se disputent, l’arme au poing, la maîtrise des quartiers de cette ville déshéritée de Seine-Saint-Denis.
Le samedi 4 juin, des échauffourées éclatent dans le Val-d’Oise, dans un quartier situé près de la gare des villes d’Arnouville et de Villiers-le-Bel, à la suite de deux interpellations policières de membres de la communauté kurde. Les arrestations dégénèrent rapidement : des voitures de police subissent des caillassages, des poubelles sont incendiées, les magasins baissent le rideau. Cet accès de violence nécessitera, plusieurs jours durant, le déploiement d’un important dispositif de sécurité.
Le quartier des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes, est le théâtre habituel d’incidents violents : c’est dans cette cité que des policiers avaient été victimes, en août 2010, de jets de pierre et de coups de marteau ; plus récemment, fin mai 2011, un membre appartenant aux CRS a été blessé au visage. Les 5 et 6 juin 2011, une trentaine de jeunes encapuchonnés exhibent des armes à feu et s’en prennent, cocktails Molotov en mains, aux policiers venus sécuriser le quartier à la suite d’incidents survenus quelques jours plus tôt. Des journalistes sont également molestés.
Le 28 juin au matin, à l’entrée d’une cité des quartiers Est de Marseille, un camion de la Banque alimentaire des Bouches-du-Rhône est bloqué par des poubelles remplies de sable, avant d’être fouillé méthodiquement par une bande de jeunes ; à l’abri de ces barrières d’octroi d’un nouveau genre, ces douaniers improvisés souhaitent s’assurer, entre les bidons de lait, de la présence hypothétique de policiers qui se seraient dissimulés à l’intérieur du véhicule.
Dans la nuit du 29 au 30 juin, à Castres, un groupe d’une trentaine d’individus, très agités, attaquent la caserne militaire du 8e RPIMA, sans mobile apparent : tirs au pistolet à grenailles, gaz lacrymogènes et matraques télescopiques sont employés avec rage par de redoutables assaillants qui demeurent pour l’heure activement recherchés par les forces de l’ordre.
Durant les nuits des 2 et 3 juillet, le commissariat de Champigny-sur-Marne est l’objet d’un siège en règle : munis de mortiers confectionnés à partir de fusées de feu d’artifice, de barres de fer et de divers projectiles, une vingtaine de voyous entendait ainsi protester contre le déploiement récent d’une Brigade Spécialisée de Terrain dépêchée sur place pour quadriller le quartier et mettre fin aux trafics qui accablent cette petite ville du Val de Marne.
Le 8 juillet, un train de marchandises est la cible d’une attaque sans précédent dans les quartiers Nord de Marseille. Le convoi ferroviaire, qui assurait la liaison Marseille-Miramas, est bloqué par une vingtaine d’individus encagoulés à l’aide de chariots de supermarchés et de poutrelles métalliques ; après avoir forcé plusieurs wagons pour y dérober des marchandises, les assaillants sont parvenus à s’enfuir en emportant leur butin, avant l’arrivée des forces de la police.
Un sentiment d’impunité règne partout dans les cités
Glanés parmi tant d’autres évènements récents, ces quelques faits crapuleux attestent pareillement de l’enracinement dramatique dans les banlieues françaises d’une criminalité organisée et décomplexée, qui se caractérise désormais par l’audace et la radicalité des comportements de leurs auteurs, que n’intimident à vrai dire ni la présence des forces de l’ordre, ni la crainte qu’inspiraient jadis les foudres de la Justice.
Sans l’ombre d’un doute, un sentiment d’impunité règne partout dans les cités. Des razzias régulièrement pratiquées dans les supermarchés aux rackets de personnes, bien souvent vulnérables, des rixes entre gangs aux agressions physiques gratuites, aux abords des établissements scolaires comme dans les transports ferroviaires, des attaques de commissariats ou de bâtiments représentant les institutions publiques aux pillages de biens privés, des injures verbales aux provocations gestuelles, tous ces comportements délictueux, qui n’ont plus guère à voir avec les habituelles incivilités du passé, tendent à se multiplier aujourd’hui, au point sans doute de faire de cette délinquance endémique le fléau le plus redouté des Français.
Dans le traitement de ces actes délictueux, qui sombrent malheureusement dans une triste banalité quotidienne, chacun mesure ici l’inanité des vertus abusivement prêtées ces dernières années aux politiques de régulation sociale. En ce domaine, plus personne ne conteste l’échec patent des coûteuses politiques, dites de la Ville, menées sans grand succès depuis plus de vingt ans par des gouvernements de droite comme de gauche, à grands renforts de dotations publiques. Une fois rénovés, les équipements et espaces collectifs ne sont-ils pas aussitôt saccagés et abandonnés, pour l’infortune de ses usagers, à l’arbitraire et à la fureur des bandes ?
Toutefois, avec l’essor inédit des polices municipales et le formidable développement de la vidéo-surveillance, une prise de conscience du niveau pertinent de réponse à apporter à ces actes de violence chronique semble émerger peu à peu, parmi ceux des élus qui sont en prise directe avec ce mal des temps modernes. La politique sécuritaire prend ainsi partout le pas sur la gestion strictement préventive des faits délictueux : d’une certaine façon, les couvre-feu mis en place à Asnières et Gennevilliers, en mars 2011, ou le vote en commission, le 7 juillet 2011, par la Région Ile-de-France d’une subvention de 147.000 euros pour sécuriser neuf lycées franciliens vulnérables, signent l’acte de décès d’une perception angélique des problèmes de sécurité qui dominait quelque peu les esprits, jusqu’au début des années 2000.
Reste que les pouvoirs publics demeurent globalement impuissants à juguler le phénomène de l’insécurité, partout dans les banlieues, alors que l’exercice paraît pourtant ne pas être hors d’atteinte. Selon un rapport confidentiel du Ministère de l’Intérieur, dévoilé par la presse en mars 2009, 222 bandes, rassemblées de manières structurées ou informelles, regroupant 2.500 individus, des deux sexes, continuaient à défier la loi dans les banlieues. Si peu, serait-on tenté de dire !
Mais pour mettre ces groupes, en nombre grandissant, hors d’état de nuire et pacifier durablement les banlieues, les pouvoirs publics auraient dû revoir sérieusement leur copie, en corrigeant rapidement les ratés habituels de la politique répressive de notre pays, auxquels concourent à coup sûr l’insuffisance coutumière des moyens humains et des matériels dévolus aux forces de l’ordre mais aussi la relative inefficience d’une réponse judiciaire qui s’explique autant par le dénuement qui frappe l’institution judiciaire que par le manque de lisibilité d’un Code pénal devenu, au fil des réformes législatives, inutilement bavard.
Comment ne pas craindre, au surplus, les effets prévisibles des mutations structurelles en cours de cette même institution judiciaire, imposées au forceps sous l’effet des oukases européennes, de la réforme actuelle du régime des gardes à vue à la transformation annoncée du statut du Parquet, qui toutes ne manqueront pas de désorganiser davantage l’outil répressif français ? Selon le Figaro (6 juillet 2011), le nombre de gardes à vue, concernant pour l’essentiel la petite délinquance, a ainsi diminué de 26 % en juin 2011, au regard des statistiques de l’année passée, ce que confirme le Ministère de l’Intérieur, lequel avoue ouvertement de son côté une baisse sensible du taux d’élucidation des enquêtes de 2,4 %…
Rapportées au bilan présidentiel, les violences urbaines dressent chaque jour le constat d’échec de la politique répressive conduite par Nicolas Sarkozy depuis dix ans, de la place Beauvau à l’Elysée, ce à quoi nous rappelle opportunément la Cour des comptes qui, dans son dernier rapport, critique sans détours la mauvaise gestion des forces de l’ordre depuis 2002.
Les jeunes de banlieues ne méritent-ils pas de bénéficier d’un authentique projet culturel
En vérité, la gravité de la situation présente impose de porter lucidement sur ces questions un regard sans complaisance, qui soit débarrassé des traditionnelles interprétations idéologiques, si réductrices. Loin d’être exclusivement le produit d’un mal-être social qui gangrène également les cités, la violence urbaine est aussi l’expression, pour ceux qui en sont les acteurs directs, d’une volonté de rupture radicale avec l’ordre établi et, plus profondément, d’une intense hostilité à l’égard de la France et des valeurs cultivées par notre pays.
Depuis les travaux du sociologue Hugues Lagrange (Le déni des cultures, Paris, Seuil, 2010) ou de ceux du journaliste Luc Bronner (La loi du ghetto. Enquête dans les banlieues françaises, Paris, Calmann-Lévy, 2010), l’analyse de la crise des banlieues et du phénomène de la violence urbaine n’échappe plus, fort heureusement, à une interprétation culturelle de ses causes, qui fait désormais la part belle aux ressorts ethniques ou religieux qui déterminent, dans bien des cas, les comportement transgressifs des habitants des cités. En discernant les traits saillants de l’actualité, tous les observateurs demeurent frappés, de surcroît, par la détermination sans faille des délinquants à conquérir et conserver par la force le territoire de leurs cités, en s’appropriant obstinément la maîtrise d’un espace public qu’ils entendent d’autant moins abandonner aux forces de l’ordre que celui-ci demeure le théâtre privilégié de trafics de tout sorte, qui alimentent depuis trop longtemps une économie parallèle florissante, à bien des égards de nature mafieuse.
Dans les deux cas, en restant farouchement maîtres de leurs territoires, ces minorités agissantes n’entendent-elles pas, en réalité, faire clairement sécession d’avec la France, aussi bien dans les esprits que dans l’espace géographique, pour mieux imposer, à l’intérieur de ces nouvelles limes, un ordre souverain, fondé sur la force et la brutalité, qui soit radicalement étranger aux lois de la République ?
Alors qu’elle mesure chaque jour la gravité de ce constat, la France peut-elle encore, dans un sursaut vital, enrayer cette spirale séparatiste et conserver intacte, à l’épreuve de tant de velléités sécessionnistes, l’intégrité intangible de son territoire ? Dans la lutte implacable contre les violences urbaines, notre pays doit désormais penser et agir avec discernement, en intensifiant résolument la traditionnelle action répressive des pouvoirs publics, tout en élargissant simultanément sa réponse à la dimension culturelle du phénomène.
En ce domaine, il lui faut certainement ne plus flatter, ni soutenir financièrement la sous-culture urbaine, du hip-hop au rap, en passant par le tag, qui constituent autant de pratiques ‘‘culturelles’’ contestataires, aux accents trop souvent mercantiles, dégradants ou machistes, à la faveur desquelles les violences urbaines ne cessent de prospérer. A l’égal de tous, les jeunes de banlieues ne méritent-ils pas de bénéficier d’un authentique projet culturel, dont le dessein serait d’une toute autre noblesse ?
Plus largement, la France doit s’appliquer à chaque instant à valoriser avec énergie le socle de son identité multiséculaire et transmettre son héritage fécond de telle sorte que la jeunesse de notre pays, dans les banlieues comme partout, puisse pleinement s’y reconnaître pour mieux se détacher du poids d’une culture anglo-saxonne indigente, toujours largement dominante, mais aussi du carcan des solidarités religieuses, ethniques ou tribales, bien peu émancipatrices. En d’autres termes, les communautarismes de tous poils doivent partout céder le pas au Bien commun, ce lien civique qui, au fond, est le seul à pouvoir transcender, sans les abolir forcément, les particularismes dévastateurs de l’unité française.
En matière de lutte contre la délinquance urbaine, un plan Marshall s’impose donc à coup sûr, mais suivant une approche radicalement rénovée qui suppose en définitive, après que notre pays ait recouvré les instruments indispensables de sa souveraineté, d’agir durablement, à la tête de l’Etat, aussi bien dans la conduite déterminée d’un programme culturel et d’éducation fondateur que dans la maîtrise résolue du peuplement de la France, pour mieux garantir l’homogénéité des traits culturels de sa population, notamment par un strict contrôle d’une immigration menaçante, aujourd’hui en pleine expansion.
Epuisé politiquement, éreinté économiquement, éprouvé culturellement, notre pays dispose-t-il toujours, en son for intérieur, des forces qui lui permettraient d’affronter pareils défis ? A cette interrogation vitale, la France se doit demain d’y répondre nécessairement par l’affirmative car sous les traits de la guerre de sécession qui menace partout les banlieues françaises, c’est bien la guerre civile qui guette aujourd’hui notre pays.
Karim Ouchikh