Dans Richie, paru chez Grasset le 15 avril dernier, la journaliste du Monde Raphaëlle Bacqué revient sur la vie de Richard Descoings, l’ancien directeur de Sciences Po, dont le corps sans vie fut retrouvé nu le 3 avril 2012 dans une chambre du Michelangelo, un hôtel de la 51e rue à New York. Dans cette biographie posthume, Raphaëlle Bacqué détaille le poids du lobby gay en France, la relation que Richard Descoings entretenait avec Guillaume Pepy, ses mœurs, sa gestion de l’Institut d’études politiques de Paris ou encore son enterrement grandiose. Extraits.
À propos de la vie nocturne de « Richie » pendant ses études à l’IEP de Paris (1970-1980) et à l’ENA (sorti 10e de la promotion Léonard de Vinci en 1985) :
« Lorsqu’il était étudiant à Sciences Po, il a découvert le Palace, où le propriétaire des lieux, Fabrice Emaer, un mètre quatre-vingt-douze et la mèche blond platine, accueillait ses clients d’un “Bonsoir bébé de rêve !”. Depuis, il y revient sans cesse, en alternance avec des virées aux Bains-Douches, où la faune des noctambules vient s’enivrer de musique techno. Le fils de bonne famille a ouvert la porte de sa cage avec un emballement impossible à contenir plus longtemps. Il a une fringale d’expériences en tous genres et de sexe. On le voit dans les bars de la rue Sainte-Anne et dans les boîtes du quartier des Halles, il fréquente les “jeudis gais” de l’Opéra Night, le sauna du Continental Opéra, et tous ces lieux de rencontre et de plaisirs qui ont fleuri à la fin des années 1970 et au début des années 1980. À l’ENA, il n’a connu peu ou prou que des jeunes gens de son milieu, celui de la bourgeoisie éduquée. La nuit, lorsque les garçons se frôlent et s’embrassent, toutes les surprises sont permises et il n’y a plus de barrière de classe. Qui pourrait deviner, dans l’ombre des backrooms, la carrière qui lui est promise ? Dans cette nouvelle société de la nuit et de la fête, les homosexuels animent la plupart des scènes à la mode. […]
Tout le monde couche avec tout le monde dans une douce odeur de poppers. C’est follement gai, terriblement mondain et somptueusement décadent. Depuis qu’il s’autorise à vivre comme il l’entend, une fois la nuit venue, Richard a le sentiment d’avoir goûté à une drogue inconnue et puissante. Il a découvert une nouvelle élite, fondée non plus sur le diplôme mais sur la beauté, l’aisance et la notoriété. Le soir, lorsque le sage énarque enlève son costume et sa cravate pour enfiler pantalon de cuir et tee-shirt moulant et plonger dans la nuit, il ne sait plus très bien laquelle des deux tenues est un déguisement. »
Bien qu’ayant épousé en 2004 Nadia Marik, son bras droit à Sciences Po, Richard Descoings aura partagé la vie de celui qu’il a connu au Conseil d’État, le président de la SNCF, Guillaume Pépy, dont le nom figurait d’ailleurs sur son faire-part de décès paru dans Le Monde daté du 8 avril 2012. Sur la relation Pépy-Descoings et les réseaux gays, Raphaëlle Bacquet rapporte :
« Chez eux, presque chaque soir, se retrouve toute une génération de hauts fonctionnaires homosexuels venus de la Cour des comptes, du quai d’Orsay ou du Conseil d’État. C’est un univers presque exclusivement masculin, soudé par son appartenance à l’énarchie autant que par son sentiment d’être minoritaire. […] L’intelligent Pepy, avec son charme et sa personnalité rayonnante, a eu tôt fait de conquérir toute l’équipe. Et, lorsque Michel Durafour puis Martine Aubry l’ont appelé dans leurs cabinets respectifs, il n’a eu aucun mal à proposer lui-même ses successeurs : Christophe Chantepy d’abord, puis en 1991, Richard. Les trois garçons se font naturellement la courte échelle pour grimper les échelons du pouvoir. »
En 1996, Richard Descoing succède à Alain Lancelot à la direction de l’Institut d’études politiques de Paris. Il ne renoncera jamais aux mœurs de sa jeunesse :
« La vie avec Guillaume Pepy a pris une autre tournure. Les jeunes chargés de mission, les secrétaires entendent parfois à travers la cloison des bureaux leurs violentes disputes. Jouant avec les cœurs, Richie est sans cesse happé par d’autres conquêtes, par des orgies d’alcool. À la SNCF, Guillaume s’assomme de travail, enchaîne des longueurs de piscine le matin avant de plonger dans les réunions de travail et les négociations avec les cheminots. Personne ne se doute de l’enfer qu’il vit. “Quand je m’endors, j’entends les trains”, dit-il en souriant à ses collaborateurs. Même les compagnons des premières années ont fini par s’éloigner. Christophe Chantepy a pris peu à peu ses distances. “Che-Che” en avait assez des dîners annulés et du vague mépris qu’il sentait parfois chez son ami. Olivier Challan Belval s’est fâché tout de go. Il avait pensé donner un coup de pouce déterminant à Richard en plaidant sa nomination à Sciences Po auprès de Philippe Séguin. Il a mal supporté que ce dernier ne lui ait jamais dit merci et, devant son arrogante indifférence, a claqué la porte sur leur amitié passée.
Richard a une manière de marcher au bord de l’abîme, comme s’il voulait toujours en frôler les limites, qui épuise son entourage. C’est un homme qui aime entraîner les autres dans les incendies qu’il provoque. Il fume trop, boit plus que de raison et replonge parfois dans ses anciens démons, cocaïne et ecstasy, qui lui donnent l’illusion de pouvoir vaincre le sommeil et l’adversité. Une journaliste l’a croisé rue du Faubourg-Saint-Antoine au petit matin, pieds nus, la chemise déchirée, clamant : “Je sors de boîte de nuit !” Son amie Christine Lagarde, après un week-end à Port-Cros chez des amis communs, où elle l’a vu ivre à tomber par terre, a confié à un proche : “Il faut que nous lui disions d’arrêter, sinon il ne durera pas très longtemps.” Même le directeur-adjoint Guillaume Piketty s’inquiète lorsqu’il le trouve fébrile, le matin, le front moite et les mains tremblantes au-dessus de sa dixième tasse de café. Piketty convoque parfois un délégué syndical trop revendicatif pour le prier de ménager celui qu’il appelle “le Grand”. “Fais attention, il est fragile, tu sais. Et c’est la seule chance que nous ayons de faire changer cette maison…” Mais “le Grand” se moque de ces précautions. C’est un séducteur qui jouit de faire souffrir ceux qui l’aiment. Il provoque, cherche à subvertir, à “déniaiser” les garçons qui l’entourent. Les jeunes chargés de mission du directeur ont hérité d’un surnom glaçant : “les gitons”. »
Sur sa gestion particulière de l’Institut d’études politiques de Paris, l’école de formation des « élites » française, la journaliste du Monde écrit :
« Rue Saint-Guillaume, toute une génération qui avait connu l’école d’antan se sent dépossédée depuis son arrivée. Sa stratégie en coups de boutoir et son goût pour le changement permanent commencent à créer résistances et inquiétudes. Chacun se sent continuellement sur la sellette, angoissé à l’idée de ne pas en être, d’être dépassé. Lors d’un pot de départ en retraite, un professeur a lancé : “Il y a un fou à la tête de l’école, bonne chance à ceux qui restent !” Lorsqu’une bonne âme a rapporté la scène au directeur, il a fait son sourire en dents de scie et lâché avec un mouvement léger de la main : “Bon débarras, non ?” Les collaborateurs de Richard ont vite compris qu’il vaut mieux ne pas s’opposer à lui. Un début de critique, un soupçon de doute, et l’œil rieur, l’écoute attentive se transforment en indifférence polie, prélude dangereux à l’excommunication. […]
Il y a autour de lui des jeunes gens prêts à se damner pour lui plaire. On les reconnaît à cette façon qu’ils ont de chercher à briller, à devancer ses désirs, à leur regard éperdu de reconnaissance au moindre compliment. Ses collaborateurs, surtout, forment un petit groupe compact d’admirateurs. Cette armée, dont la plupart des soldats n’ont pas 30 ans, s’est vu proposer des salaires inhabituels dans un établissement d’enseignement, même à HEC ou Polytechnique. “60 000 euros à 27 ans, c’est beaucoup”, a tiqué le banquier Michel Pébereau en apprenant la rémunération de Xavier Brunschvicg, ce jeune syndicaliste de SUD tout juste bombardé directeur de la communication. […]
Du haut de leurs 20 ans, les garçons les plus hardis s’émerveillent de voir l’empire qu’ils croient avoir sur cet homme. Ils suivent sur Facebook les effets de leur charme. “Un ange est entré dans mon bureau ce matin”, écrit Richie sur son mur Facebook après avoir croisé un étudiant au regard de biche. “Faut-il des quotas d’homosexuels dans une école ?”, provoque-t-il lors des oraux du concours d’entrée. Il flirte dans les couloirs. Lors des fêtes de fin d’année, quand la cafétéria se transforme en boîte de nuit, le voilà qui se plonge avec délice dans ces foules juvéniles avides de se faire photographier à ses côtés et de lui plaire. […] Janus des temps modernes, il s’est mis à tout mélanger. Il peut dîner au Siècle, “ce lieu de réassurance, rit-il, où l’on est sûr de ce que l’on est”, et se confesser sur Facebook, ce réseau qui échappe à tous les pouvoirs établis. »
Sur son enterrement grandiose :
« Le matin même de son départ pour New York, trois jours avant sa mort, Richard Descoings envoya un message, comme une prémonition ironique, à ses collaborateurs : “Si l’on s’écrase, la messe aura lieu à Saint-Sulpice : Mozart à tue-tête, Plug n’Play au premier rang. Pas d’argent pour le cancer, tout pour les fleurs.” La cérémonie grandiose que fut son enterrement ne respecta qu’à moitié ses directives. Les funérailles eurent bien lieu, le 11 avril 2012, à l’église Saint-Sulpice, au cœur de Paris, mais l’association Plug n’Play des “gays, lesbiennes, bis, trans, queer de Sciences Po” fut discrètement renvoyée sur les bords de la nef. À sa place, au premier rang, de l’autre côté des bancs réservés à la famille et aux amis accablés par le chagrin, s’installa le plus complet assortiment de la nomenklatura française. Une demi-douzaine de ministres, les plus grands banquiers et des hauts fonctionnaires en pagaille. Le président Nicolas Sarkozy, retenu à l’étranger, avait téléphoné personnellement à la veuve le matin même. La moitié de l’équipe de campagne de François Hollande, en pleine bataille présidentielle, s’était déplacée. Un aréopage de costumes noirs encadrait le maire de Paris, Bertrand Delanoë, et les représentations étrangères avaient envoyé leurs ambassadeurs. Même l’Américain Barack Obama avait présenté, depuis la Maison Blanche, ses condoléances. »
Revoir les commentaires d’Alain Soral suite à la mort de Richard Descoings (extrait de l’entretien d’avril 2012) :
À savourer, la vidéo intégrale du passage d’Alain Soral à Science Po le 2 décembre 2006 :