Pour le sociologue Sébastien Dalgalarrondo, le désir de retour à la nature et de vie en autonomie s’appuie sur une utopie nostalgique, la « promesse du chasseur-cueilleur ». Une page blanche sur laquelle peuvent se projeter des sensibilités politiques très divergentes.
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Cette « promesse du chasseur-cueilleur » devient une sorte de mythe des temps modernes ?
Oui, la figure du chasseur-cueilleur s’apparente à un modèle assez malléable, pas très précis, a priori neutre, apolitique, sans religion. C’est un idéal, une direction, un horizon, mais un peu flou. Le chasseur-cueilleur est une sorte de page blanche, c’est l’être humain d’avant l’invention de l’État, de nos religions, des routes, avant tout. On peut donc y projeter nos peurs, nos fantasmes, tout ce qu’on veut. Résultat, cette utopie nostalgique séduit des profils sociologiques et des tendances politiques très divers.
C’est-à-dire ?
La quête d’autonomie peut concerner des néoruraux qui souhaitent vivre à la campagne pour se rapprocher de la nature, des habitants des ZAD (zones à défendre), des bobos, des anarchistes verts à la démarche communaliste ou individuelle, des réactionnaires libertariens... Il y a vraiment de tout. Au premier salon du survivalisme en France, en 2018, c’était frappant et très révélateur. Il y avait l’armée, des gens d’extrême gauche, des autonomistes voulant construire leur propre petite éolienne, des vendeurs de couteaux, de voitures 4x4 hyperélaborées et pas du tout écologiques... Loin du jeûne technologique professé par le philosophe autrichien Ivan Illich, l’autonomie devient parfois un marché.
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Quelles sont les références culturelles, les sources d’inspiration de ces personnes ?
Personnellement, je dirais Tom Sawyer. J’ai 50 ans et une de mes références sur cette vie en pleine nature est le personnage du romancier américain Mark Twain. Mais d’un point de vue politique, en ce moment, c’est plutôt le philosophe Henry David Thoreau, qui lui aussi était américain. Son livre Walden ou la vie dans les bois, publié en 1854, dans lequel il raconte son expérience de reconnexion à la nature, fait aujourd’hui l’objet d’une appropriation politique extrêmement diversifiée. Alors que pendant de longues années, il a été plutôt classé du côté des progressistes, des écologistes, des mouvements de désobéissance civile, il intéresse aussi désormais l’extrême droite. Alain Soral, condamné pour antisémitisme, l’a publié dans sa maison d’édition. Une mauvaise lecture de Thoreau peut le ramener vers une Amérique viriliste, individualiste, amoureuse des armes, méfiante envers l’État, dans laquelle une partie de l’extrême droite peut se reconnaître.
La pente réactionnaire parfois empruntée par ceux qui sont séduits par la promesse du « jeûneur-cueilleur » et un retour à la nature peut aussi se retrouver dans des conceptions stéréotypées des rapports entre les hommes et les femmes. Des auteurs comme Pablo Servigne ou Pierre Rabhi, le fondateur du mouvement Colibris, ont des discours ambigus à ce sujet.
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À revoir :
Alain Soral présente Walden ou la vie dans les bois (2012)
L’ouvrage culte de Thoreau est toujours disponible chez Kontre Kulture !