Alain était policier à la BRI en 2015. Le 13 novembre, il a participé à l’assaut du Bataclan contre les deux terroristes encore en vie. Il raconte pour la première fois à Marianne.
Vendredi 13 novembre 2015, 22 h 15. Partout dans Paris, une rumeur monte, des coups de feu retentissent, des passants sont pris de panique. Alain, membre de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI), avance sans frémir vers l’entrée du Bataclan, au milieu d’une colonne de policiers. Les guitares des Eagles of Death Metal, ce groupe de hard rock en concert dans cette salle mythique, se sont tues depuis longtemps, remplacées par les hurlements d’effroi et le bruit des tirs de Kalach. Sous sa carapace noire, gilet pare-balles lourd, visière blindée et fusil d’assaut HKG36, Alain est en première ligne. Il fait partie d’une équipe d’élite de vingt policiers qui s’apprête à pénétrer la salle. « Il y avait un homme blessé à la sortie de secours. À l’angle de la rue, on voyait trois corps » raconte-t-il à Marianne, pour la première fois. « Cette intervention me marquera au fer rouge jusqu’à la fin de ma vie. »
Des monticules de corps
À pas de loup, la colonne de la BRI franchit la porte vitrée du 10 boulevard Voltaire. « C’est un charnier. Des monticules de corps. Au départ, je croyais que tout le monde était mort à l’intérieur. Mais non… » Dans ce véritable cimetière, de la vie surgit encore, des voix chuchotent, des mains se lèvent et touchent les pieds des policiers tandis qu’ils progressent dans le noir. Il y a ce blessé, dont un membre a été déchiqueté par une balle. Ces deux corps d’adolescentes sans vie qui se serrent l’une l’autre, enlacées pour l’éternité. « Il y avait tellement de jeunesse. »
« J’ai vu le carnage que c’était. J’ai eu un moment de sidération. On est des êtres humains. Si on peut avoir de la frousse, de l’anxiété, on en revient vite. Parce qu’à tout moment, tu peux te faire tirer dessus. »
Où se cachent les terroristes, combien sont-ils ? Leur tendent-ils un piège ? Ils ne savent encore rien, ou si peu. Tout juste ont-ils la certitude que l’un d’eux a le ventre barré d’une ceinture d’explosifs.
La formation de la BRI avance à l’aveugle. Le stress enfle, le temps semble s’étirer.
« Des fractions de seconde me paraissent des heures entières. » Derrière eux, des médecins évacuent des blessés graves. « C’est comme une partie de Rugby. Chaque centimètre de gagné, tu gardes le terrain. » Ils prennent un escalier à gauche. Vers 23 heures, ils parviennent à l’étage. Porte cloisonnée. Obscurité complète. « On n’entend pas, on ne voit rien. » Soudain jaillit la voix d’un otage à travers la porte, depuis la pièce où des terroristes sont retranchés : « N’avancez pas ! »
« On ouvre la porte et on prend une rafale, un chargeur entier de kalach »
Les deux djihadistes utilisent une vingtaine d’otages comme bouclier et l’un d’entre eux comme porte-voix. Une discussion débute par téléphone avec un négociateur de la BRI. Les assassins veulent à tout prix accéder aux médias. Hors de question. « Quand ils ont tué… je ne sais combien de personnes, qu’est-ce qu’il reste à négocier ? »
Pendant ce temps, les policiers font monter un bouclier Ramsès, un système balistique lourd de 180 kg, « la protection la plus efficace. Dans un long couloir, sans échappatoire, c’est ce qui permet d’avancer. »
À minuit, top assaut. « On ouvre la porte, et aussitôt on se prend une rafale, un chargeur entier de Kalach. » La colonne de la BRI marche dans un enfer de déflagrations. 27 balles percutent le « Ramsès », qui se déforme au fur et à mesure face à cette colossale puissance de feu. « Heureusement qu’on l’avait. Sans ça, il y aurait eu encore plus de morts. »
Il faut avancer avant que les terroristes n’activent leurs explosifs. « On est obligés de bien ajuster les tirs, sans viser le gilet, tout ça sur une cible en mouvement, qui nous tire dessus… » Et plus ils avancent, plus les otages peuvent sortir.
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