Une vieille connaissance revient sur le devant de la scène. Le fidèle lecteur se rappelle peut-être l’« Altaï », gazoduc devant relier Russie et Chine, et contribuant un peu plus à l’intégration énergétique de l’Eurasie pour le plus grand malheur de McKinder, Spykman & Co.
La semaine dernière, le patron de Gazprom a rencontré Poutine et annoncé qu’une première étude de faisabilité avait été menée et s’était révélée concluante. La compagnie va maintenant engager des analyses plus poussées et le tube semble dans les tuyaux, même s’il faudra évidemment attendre la signature d’un contrat avec Pékin. D’une capacité finale de 50 milliards de mètres cubes annuels, il devrait vraisemblablement passer par la Mongolie. et non la chaîne montagneuse de l’Altaï, ce qui lui fera perdre son joli nom pour celui, plus classique, de Sila Sibiri II.
La visite de Poutine, que nous avions évoquée en septembre dernier, n’est peut-être pas étrangère à l’inclusion de la Mongolie dans le projet :
Sur le chemin [de Vladivostok], Vladimirovitch s’est arrêté à Oulan Bator et en a profité pour renvoyer les petits génies de Washington à leurs chères études. En réponse aux hypothétiques et quelque peu irréelles tentatives américaines de gagner les faveurs de la Mongolie afin d’enfoncer un coin entre la Russie et la Chine, un traité d’amitié perpétuel a été signé entre l’ours et le pays de Gengis Khan. Pompeo et Bolton peuvent ranger leurs affaires...
Puisque l’on parle du président russe, un article paru en février dans le Washington Post se lamentait du fait que Poutine n’était pas assez impopulaire dans l’opinion états-unienne. Un sondage relativement sérieux montre en effet que 22 % des Américains sont d’accord avec le maître du Kremlin sur les dossiers internationaux et 41 % trouvent qu’il est un bon leader pour son pays. Comme le disent les auteurs, « ce sont des chiffres élevés pour un dirigeant étranger que les médias présentent constamment comme un ennemi ». Pire, la proportion grimpe encore chez les sympathisants Républicains : 33 % et 60 % respectivement (jusqu’à 68 % dans les États traditionnellement Républicains !)
Et encore, était-ce avant le geste symbolique et viral de Moscou envoyant des tonnes d’équipement médical aux États-Unis pour lutter contre le Covid-19...
Autre sondage inquiétant pour le Deep State US [l’État profond américain, NDLR], là aussi mené avant la crise coronavirienne qui n’a rien fait pour arranger les choses, une étude du très sérieux Pew Research Center montre que la confiance dans l’OTAN se détériore dangereusement parmi la population de ses pays membres.
Si, en moyenne, 53 % continuent de percevoir l’alliance atlantique de manière positive contre 27 % de manière négative, la tendance ne trompe pas. Entre 2017 et 2019, les opinions positives sont passées de 62 % à 52 % aux États-Unis, 60 % à 49 % en France, 67 % à 57 % en Allemagne. Seul le Royaume-Uni post-Brexit a vu une petite augmentation (62 % à 65 %).
Question encore plus dérangeante, 50 % (contre 38 %) des interrogés pensent que leur pays ne devrait pas intervenir si un membre de l’OTAN était attaqué par la Russie ! L’article 5 a du plomb dans l’aile... La réticence est particulièrement élevée en Allemagne (60 %) et surtout en Italie (66 %).
On comprend mieux dans ces conditions que le Deep State ait amplifié sa récente guerre de l’information dans la botte italienne, s’en prenant hystériquement à l’aide coronavirienne russe. Notre dernier billet mentionne...
... La Stampa [qui] ne craint pas de se ridiculiser en affirmant, faussement, que 80 % du matériel envoyé par Moscou est inutile, ce qui n’empêche pas les Italiens de continuer à retirer les drapeaux de l’UE pour les remplacer par des drapeaux russes ou chinois.
Le quotidien turinois remet ça, affirmant sans rire que des espions du GRU (le renseignement militaire russe) se cachent parmi l’équipe médicale envoyée par Moscou ! Le but, infantile : créer une polémique pour amoindrir le succès en relations publiques du Kremlin. Salissez, salissez, il en restera toujours quelque chose...
Dans le flot de propagande qui a redoublé avec la pandémie et la déliquescence du système impérial, l’on trouve toutefois quelques pépites d’honnêteté journalistique.
Un article du Boston Globe prend le contrepied de l’inénarrable « ingérence russe » dans les élections américaines et revient sur les tentatives d’immixtion américaines en Russie, qui vont du corps expéditionnaire US envoyé au secours de l’amiral Koltchak lors de la guerre civile entre Blancs et Rouges, à l’envoi des conseillers de Clinton pour faire réélire l’ivrogne Eltsine en 1996 et maintenir le Heartland russe dans un état d’impuissance chronique.
La conclusion de l’auteur est divinement rafraichissante en ces temps d’intox médiatique : « On peut pardonner les Russes de croire que les États-Unis ne leur souhaitent ni prospérité ni stabilité. L’exécution de l’amiral Koltchak il y a un siècle a alors marqué l’échec des tentatives occidentales de plier la Russie à notre volonté. Nous essayons encore. »
Mentionnons pour finir la revue Foreign Affairs qui, dans un article inhabituellement intègre, admet que la majorité de la population de Crimée est satisfaite de son rattachement à la Russie. Le boom économique de la péninsule en 2019 y est peut-être pour quelque chose mais, chose intéressante, les Tatars et les Ukrainiens ont massivement rejoint les Russes dans leur approbation. Aux dernières nouvelles, le regretté Tapiocachenko en a recraché son chocolat...