La nouvelle devait être rapidement rapportée dans les médias français, et pour cause : un journaliste a été tué à Homs, en pleine zone alaouite, donc favorable au régime de Bachar el-Assad. Dans l’urgence de la nouvelle, voici ce qu’écrivait le Figaro à propos de l’évènement :
Un journaliste franco-libanais travaillant pour le service arabe de la BBC, Mohammed Ballout, qui faisait partie des journalistes escortés par les agents du ministère de l’Information, témoigne : « J’étais dans un groupe avec des reporters de CNN, CBS et de l’AFP. Gilles Jacquier se trouvait, lui, avec Sœur Marie Agnès, l’organisatrice de son séjour en Syrie, en compagnie de son cameraman, de deux journalistes suisses, cinq Belges, deux Libanais et un Syrien. Ensemble, nous avons commencé par faire le tour de quelques hôpitaux dans les quartiers qui sont toujours sous le contrôle de l’armée. Vers 15 heures, mon groupe a quitté le secteur alaouite de Zahira. Quelques instants plus tard, devant l’hôpital de Zahira, un attroupement de militants pro-Assad s’est formé. Ils ont commencé à scander des slogans favorables au régime. Soudain une roquette RPG a frappé la foule. Huit activistes pro-Bachar ont été tués sur le coup, il y a eu des blessés également. Les journalistes du groupe de Jacquier sont accourus pour voir ce qui se passait. »
À ce moment-là, d’autres roquettes RPG ont été tirées en leur direction. Gilles Jacquier, qui se trouvait à l’intérieur d’un bâtiment d’apparence officielle où il avait cherché refuge, est mort sur le coup. Un photographe indépendant néerlandais, Steven Wassenaar, a été grièvement blessé au visage par des éclats. Le cameraman de France 2 Christophe Kenk a été touché au bras par des éclats d’obus. Des images, tournées juste après, montrent des traces de sang sur le sol et le taxi jaune qui évacue Gilles Jacquier.
Zahira est un bastion alaouite qui a été visé à plusieurs reprises dans le passé par des manifestants, selon Mohammed Ballout, qui s’est rendu à plusieurs reprises ces derniers mois en Syrie. Pour lui, le doute n’est guère permis : « Sauf à imaginer que le régime tire sur ses propres partisans, les roquettes ont été lancées à partir de zones rebelles, elles visaient des pro-Bachar », dit-il.(Source)
Dès lors, les faits étant têtus, les médias semblaient devoir accepter volens nolens que des tirs puissent provenir de l’autre camp, celui des "rebelles" soutenus par l’Occident et donc relayé par une presse aux ordres.
Las !, il y eut probablement des bruits de couloirs, des remontages de bretelles puis des directives claires afin de retourner l’information. Un peu comme ce 11 septembre 2001 où rien ne fut plus innocent et sincère que les premiers journalistes arrivés sur les lieux, parlant d’explosions, faisant état de témoignages à chaud très riches d’enseignements, mais qui furent tous rapidement rappelés à l’ordre et sommés de présenter des récits respectant l’orthodoxie officielle.
Dès lors le Figaro reprit sa plume pour, à peine 24 heures plus tard, tordre l’information et nous gratifier de cela :
La mort de Gilles Jacquier pourrait impliquer les autorités, seules informées de la visite du groupe de journalistes. « Les responsables syriens étaient seuls à savoir qu’un groupe de journalistes occidentaux visitait Homs ce jour-là, et dans quel quartier il se trouvait », observe-t-on à l’Élysée. Le faubourg de Nouzha est essentiellement habité par la communauté alaouite, minorité à laquelle appartient le président Assad - et très largement dévouée à sa cause.
Les tirs qui ont tué Gilles Jacquier ont aussi fait une demi-douzaine de morts dans une petite manifestation pro-Assad formée à l’occasion de la visite des journalistes. Cette visite était non seulement autorisée - fait très exceptionnel -, mais étroitement encadrée par le régime, cantonnée aux zones sous son contrôle total. Le reporter de France 2 s’était plaint le matin même, après avoir été empêché de filmer dans certaines rues de Damas, d’être otage d’une « opération de propagande ».
L’opération de propagande a-t-elle mal tourné ou a-t-elle été exploitée au-delà de tout cynisme ? « On peut croire à un malheureux accident, dit-on à Paris. Mais il tombe plutôt bien pour un régime qui cherche à décourager les journalistes étrangers et à diaboliser la rébellion. » (Source)
Fin de la représentation, circulez, il n’y a plus rien à voir.