La fin de semaine dernière a été marquée par les révélations au sujet de PRISM, le programme de la NSA pour collecter des montagnes de données à l’étranger, grâce au concours de géants des services web tels que Google, Microsoft, Yahoo ou encore Facebook. Le Guardian, premier journal à avoir tiré la sonnette d’alarme, révèle désormais l’identité de la source par qui le scandale est arrivé : Edward Snowden (photo ci-dessus).
Un ex-agent de la CIA fournit les informations sensibles
Vendredi dernier, les échos de l’affaire PRISM ont enflammé le web. Des documents révélés par le Washington Post montraient l’existence d’un vaste filet capable de capter les données de millions d’individus dans le monde entier, via des remontées d’informations par des géants de l’internet. La veille, c’était le journal The Guardian qui braquait les projecteurs sur la collecte, par Verizon et d’autres opérateurs, de métadonnées sur les appels passés depuis le sol américain.
Derrière ces informations, se cache un ex-employé de la CIA, Edward Snowden. Âgé de seulement 29 ans, cet ancien assistant technique a fait le choix délibéré de révéler de précieux documents car son travail lui avait permis de constater à quel point la surveillance exercée par les agences de renseignements était profonde. Il avait réalisé, selon ses propres dires, qu’il faisait « partie de quelque chose qui faisait bien plus de mal que de bien ».
Itinéraire d’un dénonciateur
Edward Snowden n’était pas particulièrement brillant durant sa scolarité. Dans sa jeunesse, sa famille s’est installée dans le Maryland, près du quartier général de la NSA (National Security Agency). En 2003, tout change cependant quand il rejoint l’armée pour prendre part à la guerre en Irak. Animé par « un besoin en tant qu’être humain d’aider à se libérer des gens de l’oppression », il déchante rapidement : « La plupart de ceux qui nous entraînaient étaient surtout motivés par l’envie de tuer des arabes, pas d’aider quiconque ». Deux jambes cassées ont raison de lui au cours d’un entraînement.
Son premier emploi après l’armée est un poste de surveillant dans une agence de la NSA. Un peu plus tard, il quitte l’agence pour la CIA (Central Intelligence Agency) et se spécialise dans la sécurité informatique. En dépit d’un niveau scolaire très classique, il montre alors un vrai talent pour le développement, ce qui lui permet de gravir les échelons.
La désillusion survient en 2007, quand la CIA l’envoie en poste à Genève : son expertise des systèmes informatiques doit alors lui permettre d’accéder à des données confidentielles, le tout en bénéficiant d’une couverture diplomatique. Il y assiste à un épisode qui va le marquer. Pour convaincre un banquier suisse de livrer des informations bancaires sensibles, la CIA n’a pas hésité à le soûler au cours d’une soirée pour l’encourager ensuite à rentrer chez lui en état d’ébriété. Arrêté par la police, l’agent de la CIA s’est proposé de l’aider. Une fois sorti du pétrin, le banquier s’est montré plus coopératif.
Edward Snowden réfléchit alors pour la première fois à divulguer des informations pour montrer au monde ce qui se passe. Deux raisons l’en empêchent toutefois : les informations de la CIA sont concentrées sur les personnes, non les technologies, et l’élection récente d’Obama (2008) lui donne de l’espoir. Mais le nouveau gouvernement marche dans les pas de l’ancien et institutionnalise la surveillance généralisée. Il constate dans son travail que la NSA veut tout absorber : « Ils ont l’intention de connaître toutes les conversations et tous les comportements dans le monde ».
Snowden ne se considère pas comme un héros car il avoue avoir révélé ces documents par « égoïsme » : « Je ne veux pas vivre dans un monde où il n’y a aucun respect de la vie privée et donc aucun espace pour l’exploration intellectuelle et la créativité ». Il en est d’ailleurs persuadé, les programmes de la NSA sont « une menace existentielle pour la démocratie », et le gouvernement « s’est octroyé des pouvoir auxquels il n’a pas droit ». Conséquence : « des gens comme moi ont toute latitude pour aller plus loin qu’ils n’en ont l’autorisation ».
Répercussions
Les conséquences pour Edward Snowden seront probablement assez négatives. Caché à Hong-Kong dans un hôtel, il estime lui-même avoir trois destins potentiels : faire face à une demande d’extradition par les États-Unis (ce qui pourrait prendre du temps), être interrogé et utilisé par le gouvernement chinois en tant que source d’informations très utile, ou il pourrait faire l’objet d’une opération spéciale visant à le récupérer. Car il est certain, surtout après des années à travailler dans les renseignements, que ceux qui sont à sa recherche finiront nécessairement par savoir où il se trouve.
Considérant toutes ces « options comme mauvaises », il compte tout de même demander l’asile politique. Son choix se portera sur un pays dans lequel la défense de la vie privée est un principe. L’ex-agent de la CIA, dont l’ordinateur portable porte un autocollant de l’EFF (Electronic Frontier Foundation) pense ainsi à l’Islande. Un destin qui n’est pas sans rappeler celui de Julian Assange de WikiLeaks.
Car une enquête aura bien lieu. Réclamée par la NSA, elle doit conduire à punir le ou les responsables de la fuite d’informations. Et le cas d‘Edward Snowden risque d’être d’autant plus alourdi qu’il ne regrette clairement pas son geste et l’assume totalement. Ce qui pourrait d’ailleurs accélérer une procédure d’extradition selon l’avocat Douglas McNabb, interrogé par le Washington Post. L’enquête pourrait également toucher Glenn Greenward, journaliste américain travaillant pour le Guardian anglais.
Le Wall Street Journal pointe quant à lui les répercussions pour les entreprises incriminées. Car si d’un côté elles ont toutes démenti l’accès direct à leurs serveurs et insisté sur l’examen des requêtes envoyées par les agences, le gouvernement lui-même a confirmé l’existence du programme PRISM. De fait, s’il n’y a pas d’accès direct, que se passe-t-il exactement ?
Le Washington Post est revenu sur son hypothèse de transmission directe des données, en la modulant quelque peu. Les démentis des entreprises sont tous basés sur le lien qui existerait entre la NSA et leurs propres serveurs, brassant les montagnes de données de millions d’utilisateurs étrangers. Or, le Post parle maintenant d’une potentielle semi-automatisation, l’article initial ayant été mis à jour, sans avertissement, pour être adouci. Selon le Huffington Post, le journal aurait décidé de publier rapidement pour des raisons de concurrence, interprétant alors mal certaines informations présentes dans le fameux document PowerPoint qui résultait de la fuite. Pour Ed Bott, de chez ZDnet, le Washington Post a clairement voulu générer du clic en dramatisant la situation.
Il n’en reste pas moins que le cœur du sujet, autrement dit la surveillance très large de la NSA, reste présent. Et ce d’autant plus que la source à l’origine de la fuite a choisi elle-même de se révéler. Les conséquences, qu’il s’agisse de l’avenir d’Edward Snowden, de la crédibilité des entreprises impliquées ou du destin du programme PRISM, restent encore à déterminer.