Dieudonné, comique français derrière "l’antisémite".
Le comédien de stand-up réussissait à enthousiasmer des milliers de fans pendant ses spectacles. Célèbre pour son interprétation d’un immigré Ouest-Africain imposant et légèrement rustre parlant un français à l’ancienne, tout en moquant un camarade agité plus petit, il a joué des rôles aussi variés que celui d’un nostalgique de l’époque de Vichy, un propriétaire de garage corrompu et un boucher gay.
Mais la carrière de Dieudonné a déraillé. Après s’en être pris aux Juifs en minimisant l’importance de la Shoah dans des spectacles et des entrevues, devenant politiquement actif au nom de ce qu’il appelle l’antisionisme, il est devenu un paria en France.
Aujourd’hui, il a du mal à vendre des billets pour son stand up – Jouant dans un théâtre étroit, en face d’une ferme ou même dans un bus – et a rompu avec le comique juif Elie Semoun qui jouait son camarade dans un duo populaire.
Pourtant Dieudonné était a l’honneur le mois dernier, son humour défraya la chronique dans le monde entier lorsqu’une projection de son premier long métrage, " l’antisémite ", a été annulé par le marché du film, organisé au festival de Cannes (sa sortie n’est pas prévue en France ni au États-Unis).
Quelques semaines plus tôt, quatre de ses représentations qu’il devait donner à Montréal on été annulés après la protestation d’un groupe de juifs.
"Il existe des versions officielles de l’histoire qui sont incontestables en France", a déclaré Dieudonné à un public jeune principalement masculin dans son dernier spectacle " Rendez-nous Jésus", ou "Prenez les chambres à gaz. Est-ce que quelqu’un va demander, Pouvons-nous voir les plans ?"
Dieudonné, 47 ans, affirme qu’il joue un rôle vital dans une société française complaisante et raciste. "J’ai été capable de rire de tout, sauf des juifs" a-t-il déclaré dans une interview ce mois-ci. "J’ai réalisé qu’il était interdit de rire d’eux".
Son appétit pour ce qu’il décrit comme des "attaques humoristiques" semble insatiable dans un pays où la liberté d’expression est un droit fondamental mais ou encourager la discrimination raciale et nier un génocide officiellement reconnu est un crime.
"Je suis le bouffon du roi", a déclaré Dieudonné. "Et le bouffon est celui qui met le doigt sur certaines vérités que le tribunal ne veut pas entendre".
La France a une longue histoire de comédiens qui testent les limites du goût quand il s’agit de la race et de la religion. Le célèbre comique Pierre Desproges, décédé en 1988, a dit devant un auditoire en 1986 que "les Juifs avaient un comportement hostile envers le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale", et dans les années 1980, le populaire Coluche, désormais mort, a déclaré à la télévision que Jésus était un Juif "parce qu’il avait vécu 33 ans avec sa mère".
Bien que Dieudonné soit apparu à la télévision habillé comme un rabbin orthodoxe dans un uniforme militaire en appelant sarcastiquement les jeunes de banlieue à rejoindre " l’axe américano-sioniste" (déclenchant une onde de choc à travers le pays), il n’est pas un satiriste à la Sacha baron Cohen, il délivre un message politique plus ouvert. Il s’est lié d’amitié avec des dirigeants extrémistes comme Alain Soral et Jean-Marie Le Pen, le fondateur du Front national. Et il a brigué un siège à l’Assemblée nationale française, un effort se terminant avec un peu plus de 1 pour cent du vote dans une circonscription, près de Paris.
Pendant un temps, le théâtre de La Main d’Or, maison où trônent des affiches de lui et des DVD de ses spectacles ainsi que d’un bar appelé le Club du Hezbollah, a servi de quartier général officieux à un groupe proche de l’extrême droite appelé "Égalité et Réconciliation". (Le théâtre joue la plupart des spectacles de Dieudonné, mais aussi les spectacles de jeunes comédiens, qui ne ciblent pas nécessairement les Juifs.)
Richard Prasquier, président du CRIF, une importante organisation juive, a écrit sur le net que Dieudonné était un "mercenaire qui promeut l’abjection" et le "premier en Europe qui fait rire les gens sur les victimes de la Shoah."
Dieudonné a été poursuivi de nombreuses fois, accusé d’avoir tenu des propos racistes. Il a invité une fois sur scène Robert Faurisson, un historien et défenseur de la négation de l’Holocauste, et a demandé au public de l’applaudir. Un assistant habillé comme un prisonnier de camp de concentration a ensuite présenté M. Faurisson, avec un faux prix ("le prix de l’infréquentabilité ").
Une autre fois, Dieudonné a décrit l’Holocauste comme "une pornographie mémorielle", et un tribunal l’a reconnu coupable de diffamation publique, et l’a condamné à 7.000 euros (environ $8.800). (Ni Coluche ni Desproges n’ont été condamnés)
Ce fils d’origine française d’un père camerounais et d’une peintre et sociologue française blanche à la retraite, Dieudonné - né Dieudonné M’bala M’bala, son prénom signifie "don de Dieu" - a été élevé dans une famille catholique romaine modeste près de Paris et a sept enfants issus de deux mariages. Il s’est une fois décrit comme "non-juif, non-musulman, pas vraiment noir et pas vraiment blanc." Il vit à temps partiel au Cameroun et dit qu’il est un Africain qui défend "le colonisé contre le colonisateur." "Quand vous êtes le fils d’un esclave, vous pouvez rire de tout" a-t-il ajouté.
Il a travaillé comme vendeur de voitures avant de rencontrer M. Semoun avec qui il a formé le duo Élie et Dieudonné. Ses provocations répétées contre les Juifs, ses hommages au "charisme" d’Oussama Ben Laden et son éloge de "l’absence de prétention" du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad (qu’il a rencontré lors d’un voyage en Iran en 2010) ont irrité beaucoup de personnes ici.
Cette liste comprend plusieurs maires de villes françaises qui ont annulé ses spectacles, craignant le désordre public, et ses anciens défenseurs comme M. Semoun. Les deux comédiens ont travaillé ensemble pendant environ sept ans, jusqu’à leur rupture en 1997. Son ancien partenaire dit que Dieudonné a largement dépassé les normes de la morale, et encore plus celle du bon goût. "Sur scène, j’oubliais que j’étais le Juif et qu’il le gars noir", M. Semoun a déclaré dans une interview. "Nous étions profondément antiraciste Nous étions le symbole de la lutte contre le racisme".
Après leur séparation Dieudonné a travaillé en solo. Il a écrit et joué dans 13 spectacles et est apparu dans plus de 20 films, y compris la superproduction "Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre." Son dernier film, "L’antisémite", ridiculise Auschwitz, en montrant en noir et blanc des images d’un soldat américain inspectant une chambre à gaz et des outils moqueurs, comme les têtes de douche utilisées par les nazis pour tuer les Juifs.
Le film a été considéré comme effroyable dans un article paru dans Le Nouvel Observateur, et le directeur général du marché du film à Cannes, Jérôme Paillard, a déclaré que la projection a été annulée parce que "nous interdisons la présence de n’importe quel film qui touche l’ordre public et les convictions religieuses".
Mais récemment, Dieudonné, charismatique et imposant avec ses grosses bagues et sa barbe, a dit qu’il s’en fichait. Son humour est empreint d’une désillusion pour société qui ment et "protège ses propres intérêts".
Mais il est resté vague sur les raisons de ses opinions. "Sale Juif" est aussi intolérable que "sale arabe", a-t-il dit au quotidien suisse "Le Temps" en 2004. "Mais il est plus difficile d’être noir que d’être un Juif lorsque vous cherchez un emploi."
Il dénonce ce qu’il appelle la "domination des sionistes" dans les sociétés occidentales et la trop grande importance donnée aux horreurs de la shoah à l’exclusion d’autres crimes, comme l’esclavage et le racisme. "Notre soumission a la shoah a atteint un tel degré qu’elle en est devenu une nouvelle religion" a dit Dieudonné dans l’interview. Par rapport à d’autres souffrances, comme l’esclavage, "Ce n’est pas sans précédent à l’échelle humaine". Il n’est aussi pas trop friand des États-Unis, en utilisant une épithète pour décrire le président Obama comme un "serviteur qui fait plus que ce qu’on lui a demandé".
Pour certains de ses fans Dieudonné est juste un provocateur professionnel, déconnecté des réalités. "Il est drôle avant tout," a déclaré Jean-François Saqué, 31 ans, un technicien qui a vu son premier spectacle de Dieudonné ce mois-ci. "Ce qui m’inquiète, c’est quand vous commencez à prendre au sérieux ce que dit un comédien".