Attentats, état d’urgence, manifestations contre la loi travail… Un CRS raconte son ras-le-bol après un an et demi d’opérations de maintien de l’ordre.
« J’ai de la chance, j’habite près d’une grande forêt ». Vissé sur son canapé, Pascal (le prénom a été modifié), la quarantaine, une taille de géant, se fige un court instant. Puis confesse : « J’y vais souvent me promener en famille. Ça permet d’évacuer le stress, de retrouver un peu de calme ». Dans une vitrine à côté de lui, des médailles disposées en évidence encerclent un fanion rouge sur lequel est inscrit la devise des CRS : « Servir ». De préférence sans discuter.
Lui a décidé de sortir un peu du bois. Comme un besoin de vider son sac pour éviter l’ulcère. Avec une condition : garder l’anonymat. Le gradé doit bientôt prendre du galon, il ne veut pas prendre le risque d’une sanction disciplinaire. Depuis janvier 2015, il est en première ligne. Du renforcement du plan vigipirate, après les attentats de janvier, à la mise en place de l’état d’urgence après ceux de novembre, en passant par les mouvements sociaux contre la loi El Khomri… Un an et demi d’opérations de maintien de l’ordre et aujourd’hui un énorme ras-le-bol. Pas contre la « haine anti-flic », comme le scandent certains syndicats de police qui appellent à la mobilisation le 18 mai. Mais contre les donneurs d’ordre.
Depuis le début des conflits autour de la loi Travail, il les accuse de jouer avec le feu. Alors que le gouvernement a dégainé mardi l’article 49.3 pour passer en force son texte et que de nouvelles journées de mobilisations sont attendues partout en France, Pascal confie ses inquiétudes. Et, révèle en filigrane, un sentiment de défiance de plus en plus croissant dans les rangs des forces de l’ordre.
« Du ni fait ni à faire »
Il en est persuadé : de nombreux débordements auraient pu être évités depuis deux mois. Aussi bien la casse que les blessés côté policiers… Et les violences sur des civils, même si lui préfère le terme de « dommages collatéraux ». Comme lors du 1er-Mai, où les ordres ont été donnés de couper le cortège en cours de route pour isoler un groupe de casseurs. Dans le cortège saucissonné, bons nombres de manifestants se sont retrouvées pris au piège sous les gaz lacrymogènes. « Du ni fait ni à faire », tranche le CRS.
D’autant que certaines bandes pourraient être interpellées bien avant. Comme pendant la manifestation du 9 avril. Ce jour-là, son équipe est en faction à proximité de la place de la République, où un cortège de manifestants doit prendre le départ vers la place de la Nation. Vers 13h30, il reçoit un appel. Un groupe cagoulé s’apprête à prendre la tête du cortège. « On les connaît bien, ce sont des ultras connus des services de renseignement », précise le CRS. Encore maintenant, il enrage de la gestion des événements : « On avait un signalement précis. On s’est dit qu’on n’allait pas les laisser passer… On n’a jamais reçu l’ordre », rapporte-t-il. « Au lieu de ça, on les a laissé progresser tranquillement. Ce jour-là, un collègue officier a été blessé gravement à la jambe par un tir de mortier ».
« On interpelle juste pour les images du 20 heures »
Un scénario qui se répète au fil des manifs. « Ces gars-là sont entre 200 et 300 maximums », fulmine le brigadier. « Il suffirait de les interpeller avant le départ des cortèges, pas la peine d’être un grand tacticien pour comprendre ça », souffle-t-il. Blasé, il compare la situation avec les forces de l’ordre allemandes qui, le 30 avril, ont procédé à près de 400 arrestations en marge d’un rassemblement du parti populiste AfD. Une opération qu’il juge impossible actuellement en France faute de courage politique. « Ici, on interpelle juste pour les images du 20 heures, pour faire croire qu’il y a de la fermeté de la part du gouvernement ».