En France, plus d’une centaine de fausses entreprises accueillent des chômeurs pour leur permettre de travailler comme s’ils avaient un emploi, rapporte le New York Times.
Animal Kingdom, en banlieue parisienne, simule la vente de nourriture pour chien et de fournitures pour animaux ; ArtLim, une entreprise de la ville de Limoges, prétend négocier des articles en porcelaine ; quant à Prestige Cosmétique, elle feint de vendre du parfum. Tout ce qui concerne ces entreprises est faux : elles ne disposent pas de client, de stock, de fournisseur ou de trésorerie, et lorsqu’elles émettent un chèque, il n’a aucune valeur.
Toutes font partie d’un réseau de formation qui opère comme un univers économique parallèle. Pendant des années, l’objectif de ces entreprises factices, appelées « entreprises d’entraînement », était de former des étudiants et de permettre à des travailleurs de transférer leurs compétences sur un autre secteur, par exemple. Mais aujourd’hui, elles sont aussi utilisées pour aider les chômeurs de long-terme à reprendre pied dans leur recherche d’emploi.
Les personnes qui y sont employées sont invitées à renouer avec la routine professionnelle : se lever tôt le matin pour arriver à l’heure au travail et soigner sa présentation. Dans les bureaux de ces entreprises en trompe l’œil, elles s’activent sur les tâches qui correspondent à leur emploi : saisir des écritures comptables, réorganiser le catalogue, gérer les stocks et les achats… Toutes espèrent que leur poste virtuel leur permettra de retrouver un véritable emploi.
L’année dernière, 52,6% des actifs au chômage de la zone euro avaient perdu leur emploi depuis au moins un an, un record, selon Eurostat ; une grande partie d’entre eux sont même au chômage depuis plus de 2 ans. Le problème est particulièrement grave en Europe du Sud : en Grèce, 73% des chômeurs n’ont pas travaillé depuis plus d’un an ; en Italie, ils sont 61% à se trouver dans la même situation. Cette tendance se développe également dangereusement en France, où 43% des chômeurs sont sans emploi depuis plus de 12 mois.
« Lorsqu’une partie significative de la population n’est pas intégrée, elle ne peut pas augmenter ses dépenses, ce qui limite les chances d’une relance possible », explique l’économiste Paul de Grauwe, qui enseigne l’économie politique européenne à la London School of Economics. « Lorsqu’une grande quantité de personnes se retrouve au chômage pour de longues périodes, cela affaiblit aussi l’optimisme, ce qui pèse sur un possible retournement économique », ajoute-t-il.
Le concept des entreprises d’entraînement est né au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale en Allemagne, à un moment où une vaste population de travailleurs nécessitait de changer de compétences. Au départ, il s’agissait de complémenter la formation en apprentissage. Des centres ont vu le jour au début des années 1950, puis se sont répandus à travers toute l’Europe. Aujourd’hui, on en recense environ 5 000 sur le Vieux Continent, et 2 500 ailleurs dans le monde. Souvent, ils sont financés par des fonds publics.
Pierre Troton dirige Euro Ent’Ent, un réseau français qui supervise 110 entreprises virtuelles, dont 12 ont été créées en 2013. « L’immersion permet à ceux qui n’ont pas travaillé pendant de longues périodes d’aiguiser leur capacité à travailler et les aide à regagner du professionnalisme et de la confiance. Ils se prennent en charge et retrouvent le chemin vers le monde du travail », explique-t-il.
En outre, tenir un poste, même simulé, les aide à reprendre confiance en eux et à retrouver de l’optimisme, une nécessité pour les mettre en condition de retrouver un emploi.
Le succès de ces centres est très élevé, puisque 60 à70% des chômeurs qui y effectuent un passage retrouvent un emploi, souvent dans le domaine administratif.