Pendant que le terrorisme et le nazisme monopolisent l’attention, la révolution suit un processus profond et discret. Deux affaires de délation citoyenne, l’une à Auchan, l’autre au club de sport Orange Bleue montrent le progrès du totalitarisme participatif – beaucoup plus efficace que le vieux stalinisme.
Big Brother n’est plus nécessaire, c’est une invention littéraire du début de la guerre froide. La réalité a dépassé depuis longtemps la fiction d’Orwell : des milliers de little brothers et de little sisters assurent en permanence la surveillance des mal-pensants au profit de la révolution des cerveaux. Auchan a été forcé d’arrêter une campagne de pub pour sexisme et une employée de l’Orange Bleue a été mise à pied pour une page Facebook personnelle jugée discriminatoire après avoir été dénoncée. Le totalitarisme participatif, ça marche !
Auchan dans le collimateur de la révolution morale
Le moyen de la surveillance et de l’influence est l’ensemble des réseaux sociaux. On signale un contenu, on dénonce un comportement, c’est repris, cela devient « viral », et le poids de cette opinion publique virtuelle mais bien réelle est tel que l’entreprise incriminée se croit forcée de céder.
La chaîne d’hypermarchés Auchan avait choisi de donner dans l’humour. Sur les sacs vendus à ses clients dans les magasins Auchan pour emporter leurs emplettes figurait une femme levant les bras au ciel en s’écriant : « Hourra ! J’ai la carte de crédit de mon mec ! » Tout en finesse, on le voit. Mais s’il a provoqué un hourvari de réactions sur les réseaux sociaux, ce n’est pas au nom du sel attique : il a donné lieu à une condamnation morale et politique générale, le plus sérieusement du monde.
La délation citoyenne est la base du totalitarisme participatif
Car le propre des petits délateurs et gentilles délatrices qui surveillent et dénoncent au service du totalitarisme participatif est le sérieux. Sérieux de vigiles, sérieux un peu guindé, comparables à celui des demoiselles de l’Armée du salut naguère. Tous en chœur et sans opposition, les « internautes » ont déploré le « sexisme ordinaire », la « misogynie » d’un « message d’un autre temps », et même son « paternalisme lubrique ». Diable. Alors que la littérature, le cinéma et Internet débordent de pornographie, ces observateurs pointilleux, munis de jumelles spéciales, discernent du « paternalisme lubrique » sur les sacs d’Auchan.
Et cela se transforme en acte politique. Notre secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes, l’écrivain pornographe Marlène Schiappa, y a été de son tweet moralisateur, et Auchan a immédiatement retiré de ses magasins l’objet peccamineux avec ses excuses : « Nous sommes désolés par la tournure qu’a pris le visuel présent sur ce sac et les émotions qu’il a pu susciter ». Soit dit en passant, on voit bien que l’anglais est devenu la langue de l’entreprise, car, avec le français, ils ont du mal chez Auchan.