Comment refléter toute une époque dans une seule œuvre ? Le peintre russe Vassili Nesterenko semble avoir la réponse. Intitulée « Terre syrienne », sa dernière série de tableaux est consacrée au retour à la vie des villes de ce pays ainsi qu’au forces armées russes ayant pris part à leur libération du joug terroriste.
Le regard de cette Arabe fragile, qui se tient avec son enfant dans les bras devant les ruines de la jadis fleurissante ville de Tadmour, transperce l’âme. Tel un personnage biblique, elle se retourne, non pour être transformée en statue de sel, mais pour dire adieu aux années d’exil et d’errance forcés avant de retrouver sa ville natale, dont le nom signifie « miracle » en araméen.
Le Retour à la vie est l’œuvre centrale du triptyque « Terre syrienne ». Dédié à Palmyre, il occupe la moitié d’une des salles de la Maisonnette de Tchékhov, galerie du peintre Vassili Nesterenko située en plein cœur de Moscou, et retient toute l’attention de chacun des visiteurs de l’exposition. Inscription en russe « Pas de mines », vieillard courbé traînant lentement au milieu des ruines de sa ville natale, char sur une aire de jeux, obus gisant parmi des vestiges millénaires – quoique peu nombreux, les détails et les figures réalisés à l’huile sur ces trois toiles sont plus que parlants surtout pour ceux qui ont connu ces lieux avant la guerre.
« S’il avait été à ma place, Hemingway aurait écrit sur ses rencontres avec ces gens. La tâche du peintre et la spécificité de son art sont différentes – elles ne consistent pas à réciter, mais à montrer. Il faut trouver l’image qui traduira et reflètera la profondeur de tout ce qui se passe », explique cet artiste de renom membre de l’Académie des beaux-arts de Russie.
C’est justement à cette femme syrienne peinte en pied que ce rôle a été attribué. « Beaucoup repose sur elle, au moins je voulais qu’elle incarne l’espoir en l’avenir et l’idée qu’un peuple ne peut pas être anéanti. Elle a des enfants, ils ont la vie devant eux », relate l’artiste.
Exposés dans cette même salle, mais réalisés à l’aquarelle, Stalingrad syrienne, Ruines de Tadmor et La guerre est à côté annoncent le tableau La vie est partout. Les enfants qu’il met en scène jouent avec insouciance au ballon devant un car criblé d’impacts. Leur enfance ne peut pas leur être confisquée, l’espoir en l’avenir subsiste.
À la question de savoir s’il avait eu l’occasion de se familiariser avec la peinture locale – au moins deux de ses aquarelles rassemblent beaucoup à des œuvres d’artistes locaux – Vassili Nesterenko secoue la tête pour signifier non et explique :
« Cette ressemblance signifie que j’ai atteint mon but ».
Une « mission » dans la zone du conflit
Devenu célèbre grâce à ses œuvres traitant des thèmes de l’histoire de Russie et du christianisme, Vassili Nesterenko s’est rendu en Syrie au printemps 2017. L’idée de visiter la Syrie était dans l’air, avoue-t-il, – au cours de ces dernières années, beaucoup d’artistes russes ont visité la base de Hmeimim, près de Lattaquié. Néanmoins, le peintre voulait plutôt découvrir le pays, essayer de voir par lui-même les conséquences de la guerre et compléter ses tableaux consacrés à l’histoire de l’armée russe par ceux mettant en scène des guerriers contemporains.
L’intérêt pour la Syrie s’est formé chez l’artiste progressivement : d’abord, après l’apparition des informations sur la menace de Daech, cette tumeur qui se développe d’une manière incontrôlable, puis en raison de la nouvelle abasourdissante de l’envoi du contingent militaire russe dans ce pays.
« Au cours des années 2015-2016, je peignais une église sur le mont Athos. Nous y étions coupés de la vie et j’ai manqué le début de notre opération en Syrie. Et un jour, assis dans un aéroport alors que je m’apprêtais à effectuer un bref déplacement à Moscou, j’ai entendu : "Les Forces aérospatiales de Russie bombardent les terroristes en Syrie". Pour moi, cela a été une découverte et j’ai été bouleversé », se souvient-il.
Le Moyen-Orient a connu et connaît encore de nombreux conflits et opérations : Tempête du désert, Liberté irakienne, des décennies de confrontation arabo-israélienne… Mais l’implication de la Russie a éveillé en lui un intérêt particulier, souligne Vassili Nesterenko. D’ailleurs, les réalités mêmes du conflit syrien sont un miroir de la situation dans d’autres pays embrasés par la guerre : « Tu peins la Syrie, mais tu entends en même les échos du Liban, de la Libye, du monde arabe dans son ensemble, ainsi que de l’Afghanistan », avoue-t-il. Mais ses toiles ne sont pas une image diffusée par la télévision, elles reflètent ce qui est passé par l’âme du peintre, souligne l’artiste.
Lettre aux ennemis de la Russie
Pendant son séjour en Syrie, Vassili Nesterenko a visité Jablé, qui abrite l’aérodrome de Hmeimim, les bases aériennes d’Et-Tifor et d’Al-Chaayrate, ainsi que Palmyre. Au moment de son arrivée, la ville antique reprise par les extrémistes et sa partie moderne, Tadmor, constituaient le point le plus chaud sur la carte du pays.
Comme il s’en rappelle, l’avancée de l’armée syrienne appuyée par les Forces aérospatiales de Russie se déroulait à toute allure – si encore récemment, en regardant la carte de la Syrie, on ne pouvait que regretter la maigreur des succès parachevés, en mai 2017 l’offensive se déroulait plus vite que le peintre ne réalisait ses toiles. « Ils vont libérer la Syrie et je n’ai pas encore achevé mon projet », se disait l’artiste. « Il se fait que nous avons inauguré cette exposition le jour où Poutine et le ministère de la Défense ont annoncé que nous avions vaincu Daech en Syrie, ce qui est très symbolique », confie-t-il aujourd’hui.
Comment a-t-il trouvé l’armée russe ? « Décisive, forte. Une grande famille unie », note-t-il. C’est à elle que l’artiste a dédié la seconde partie de son exposition.
Lettre aux ennemis de la Russie, toile qui couvre pratiquement un mur entier, et des esquisses préparatoires de cette œuvre occupent le premier étage de la galerie. Un groupe de militaires sont debout autour d’une petite table. Certains ont les sourire aux lèvres, d’autres ne parviennent pas à étouffer leur rire, ils écrivent une lettre.
L’artiste attire l’attention sur le fait que la toile met en scène un « international » : « L’armée est l’image du peuple. Sur ce tableau il y a des Daghestanais, des Ingouches, de Bouriates et je ne l’ai pas inventé – c’est venu comme cela. Nous sommes tous ensemble un grand peuple, nous sommes Russes. C’est de cela que parle cette œuvre », conclut-il.