Tabibian : Pour beaucoup, t’es associé à l’image de subversion, de dissidence, d’une télé qui se fait plus.
Taddeï : D’ailleurs j’ai été viré. C’est une médaille, c’est ma médaille.
Tabibian : Du coup, histoire de savoir si le Taddeï qu’on a dans nos mémoires, c’est toujours le Taddeï d’aujourd’hui, question rapide histoire de savoir si on va être déçus : est-ce que 10 ans plus tard, on invite toujours tout le monde, ou est-ce que Patou avait raison, il y a des cerveaux malades ?
Ainsi commence Pas content, une émission d’interviews, terme américain qui désigne un échange verbal entre deux personnes, en général un journaliste et une personnalité. Normalement, c’est fait pour faire jaillir de l’information. Pas du copinage.
Ici, le principe est inversé : Tabibian n’est pas journaliste, mais un youtubeur de l’Internet semi-dissident. C’est son invité qui est journaliste, mais qui est aussi une personnalité. Un peu mystérieuse, d’ailleurs, car personne ne sait, et peut-être pas lui-même, ce que pense Frédéric Taddeï.
« T’es un peu une légende de la télé, avec Michel Drucker ou Ardisson. »
Interview complaisante : Tabibian est tout fier de discuter avec quelqu’un pour qui il a de l’admiration. Ça ressemble à un passage de témoin d’un animateur semi-mainstream à un animateur semi-dissident. Tabibian ne cherche pas à coincer Taddeï, même s’il évoque la fameuse liste – noire ! – des personnalités qu’« on » ne peut pas inviter en télé, le sujet récurrent reproché à Taddeï des deux côtés du Système.
On rappelle qu’après 10 ans de Ce soir ou jamais sur France 3 puis France 2, et 4 ans d’Interdit d’interdire sur RT France, Taddeï a été recruté par CNews, la chaîne de Bolloré. Il officie aussi sur Europe 1, la station de Bolloré. On peut donc penser que Taddeï n’est pas vraiment de gauche, en tout cas pas à la Patrick Liste Noire Cohen.
Tabibian, qui semble postuler à un rôle dans la galaxie Bolloré de demain, pose des questions gentilles, il ne pose pas de questions de fond : il commente. Il est mûr pour la télé, sinon le Net mainstream : il n’a visiblement pas envie de perdre la liste de ses futurs invités prestigieux, pour lesquels il a gratté ses 118 000 euros à ses 9772 donateurs. D’où cette interview qui ressemble à un calcul, à une normalisation. Tabibian veut-il être le Taddeï du Net ?
Naturellement, ce qui intéresse les lecteurs d’E&R, c’est la question Soral. Elle arrive très vite, à 15’42 (sur une émission de 99 minutes), au moment où l’on parle liberté d’expression :
Tabibian : Moi demain j’organise une émission, y a Marc-Édouard Nabe et Alain Soral ; Delphine Ernotte, elle valide ?
Taddeï : Non, moi déjà on m’a emmerdé, mais plus tard, pour Alain Soral. Moi j’avais invité Alain Soral, y avait 10 personnes face à lui, tout le monde trouvait ça normal. C’est dit 5 ans après quand quelques journalistes se sont dit que j’étais devenu le prince des ténèbres, à ce moment-là ils ont dit « oui il a invité machin », « il a invité truc ». Mais quand j’ai invité Dieudonné, y avait la LICRA en face de Dieudonné, c’est même la LICRA qui m’a demandé d’inviter Dieudonné, parce qu’ils étaient contents de pouvoir... Y a Bournazel de la LICRA, y a Thierry Lévy, en face de Dieudonné. Tout le monde est très content de pouvoir avoir Dieudonné en face et de pouvoir lui dire son fait.
Suit le fameux extrait où Me Thierry Lévy, décédé depuis mais très complaisant avec la pédophilie de son vivant, a menacé Dieudonné de représailles physiques : « Et après la loi, y a les coups, et vous le savez. »
Nous sommes à 19’22, et l’invité va se prendre les pieds dans son propre tapis.
Taddeï : Je sais qu’à chaque fois que je dis personne ne m’a jamais censuré, personne ne m’a jamais dit « n’invite pas untel », personne ne m’a jamais dit « invite machin », ça déçoit les gens, je suis navré, c’est comme ça.
Or, il vient de dire que c’est la LICRA qui lui a demandé d’inviter Dieudonné...
Ainsi, le principe de l’interview Taddeï, en cas d’invité « dangereux », consistait à le circonscrire par un cordon sanitaire du Système. Ce n’est pas de la censure primaire, c’est de la censure fine : ça permet à l’invité de s’exprimer, ça permet à l’animateur d’invoquer et de défendre la liberté d’expression, mais ça permet surtout au bloc-censure (Soral face à 10 anti-Soral !) de faire œuvre de limitation ou de coupure de la parole, dispositif qui vire en général au procès public.
Taddeï n’est donc pas un censeur : il invite la censure sur son plateau. Malin ! D’ailleurs, sur RT (de 2018 à 2022), le problème ne s’est plus posé puisque Taddeï n’a plus invité de personnalités anti-Système. Il n’y a plus eu de vrais débats, alors que beaucoup de son public (les 800 000 de Ce soir ou jamais) les attendaient là.
Récemment, l’animateur rendu célèbre par la présentation de Paris Dernière (rebaptisée Paris Derrière pour ses sujets de cul) a donné une interview pleine page au Parisien, le 26 février 2023.
Il n’a donc « pas l’intention d’inviter n’importe qui », mais « seulement des personnes qui ont travaillé leurs sujets pour vous aider à vous forger une opinion ». Ça tombe bien, c’est le cas d’Alain Soral, qui a eu le temps de potasser ses sujets depuis sa dernière invitation à la télé, il y a 10 ans...