Egalité et Réconciliation
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Syrie : autant en emporte le vent…

Guerre de l’information, propagande et média-mensonges : la Syrie est plus que jamais le terrain d’un journalisme à géométrie variable.

Depuis le début des troubles qui ont éclaté en Syrie dans le contexte du « Printemps arabe », l’information, la ré-information et la désinformation s’affrontent sur ce terrain que rendent particulièrement mouvant les intérêts multiples des différentes communautés et confessions qui y cohabitent, mais aussi les rôles ambigus de plusieurs acteurs internationaux et, notamment, ceux de la Turquie et de l’Arabie saoudite, comme celui du Qatar et de sa chaîne de télévision de plus en plus controversée, Al-Jazeera.

Face à cette situation critique, le gouvernement baathiste avait opté pour une politique d’opacité, la fermeture des frontières et l’interdiction des journalistes et autres observateurs.

Vérifier la fiabilité des informations qui parvenaient de Syrie était dès lors souvent très difficile. Mais pas impossible : en juillet, j’avais obtenu un visa et l’autorisation de me déplacer librement à travers tout le pays, de Deraa à Alep et de Latakieh à Der-ez Zor –et je n’étais pas le seul sur place : François Janne d’Othée, Alain Gresh du Monde diplomatique, ou encore Gaëtan Vannay de la Radio suisse romande.

J’avais observé la situation à Homs, où les manifestants « pacifiques » munis d’armes à feu s’en étaient pris à l’armée, et, le vendredi 15 juillet, à Hama, dont les quelques milliers de manifestants que j’avais pu y dénombrer s’étaient miraculeusement démultipliés en 500.000 opposants dans les dépêches de l’AFP, « information » benoîtement reprise par Euronews, France 24 et la plupart des journaux « mainstreams » ; seul Le Monde faisait exception, renchérissant avec l’annonce de 600.000 manifestants (Hama compte à peine plus de 340.000 habitants).

Cette politique d’opacité s’est ainsi rapidement révélée contreproductive pour le gouvernement syrien, dans la mesure où l’opposition a peu à peu diffusé des rapports fallacieux, grossissant l’importance des mouvements de contestation dans des proportions colossales : concernant le nombre des morts et celui des manifestants, la bataille des chiffres a atteint des degrés confinant à l’absurde, comme l’illustre bien l’exemple évoqué, relatif à la mobilisation de l’opposition à Hama.

Absents du terrain et manifestement peu enclins à critiquer leurs sources, les médias occidentaux n’ont en effet pas soupçonné les « informations » qu’ils recevaient par les canaux de l’opposition, rejetant en revanche les communications du gouvernement syrien, considérées comme propagandistes ; entre autres cas d’école, aucun doute n’a jamais été émis à propos des vidéos transmises par l’opposition et supposées témoigner d’une Syrie à feu et à sang, de manifestations de dizaines ou centaines de milliers de participants, alors que, systématiquement, les images diffusées étaient constituées de gros-plans présentant quelques centaines de personnes seulement. Et les rares observateurs qui ont pu entrer en Syrie et faire part de leurs constatations ont généralement été désavoués et discrédités, comme des affabulateurs ou des supporters de la dictature.

Parmi les sources principales des médias, on trouve l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme (OSDH), presque toujours cité en référence par les journalistes et qui domine largement « l’information » sur la Syrie (c’est cette organisation, basée à Londres, qui avait annoncé le nombre de 500.000 manifestants à Hama, le 15 juillet 2011).

Or, il n’est pas très difficile de se renseigner sur l’identité de l’OSDH et des personnes qui se cachent derrière ce label aux apparences honorables, à commencer par son président, Rami Abdel Rahmane, un opposant de longue date au régime baathiste, très connu en Syrie comme étroitement associé aux Frères musulmans, organisation islamiste radicale dont l’influence grandissante sur le mouvement de contestation en Syrie laisse entrevoir de plus en plus clairement l’ambition de ce groupe que d’aucun croyait presqu’éteint, du fait de son interdiction par le régime, mais qui couvait dans la clandestinité.

Le 17 novembre, les Frères musulmans sont sortis du bois : alors que plusieurs observateurs estimaient le mouvement exsangue et sans plus aucun poids, le porte-parole des Frères, Mohammad Riad Shakfait, en exil en Turquie, s’exprimant au nom du « peuple syrien », a annoncé qu’une « intervention était acceptable pour protéger la population civile ». Il en a précisé les contours : l’intervention serait mieux reçue si elle venait de la Turquie plutôt que des puissances occidentales (la Turquie, gouvernée par un parti islamiste qualifié de « modéré », l’AKP).

En juillet, j’avais également pu constater l’implication grandissante des Frères musulmans dans les mouvements de contestation, à tel point que les minorités communautaires (Chrétiens, Druzes, Kurdes, Chiites… outre les Alaouites et une partie de la bourgeoisie sunnite) s’en étaient désolidarisées et revendiquaient même leur soutien au régime, par crainte de la montée en puissance des islamistes syriens, dont les intentions sont sans équivoque : l’instauration en Syrie d’une république islamique.

Plus encore, les Frères musulmans, membres du Conseil national syrien (CNS), qui rassemble les principaux courants de l’opposition, très hétéroclites et aux objectifs divergents, et se présente comme une alternative au gouvernement de Bashar al-Assad, ont entamé au nom de ce CNS des négociations avec la Turquie, mais aussi avec des gouvernements occidentaux, pour l’établissement en Syrie d’une zone d’exclusion aérienne pour protéger les civils, alors que la ligne du CNS avait été, jusqu’à présent, de refuser toute ingérence étrangère. Il ressort clairement de ces événements que les islamistes ont pris une influence non négligeable sur l’ensemble de l’opposition et de ses structures exécutives.

En d’autres termes, il apparaît sans ambiguïté que, durant ces derniers mois, les médias occidentaux ont été « informés » par les Frères musulmans syriens via l’OSDH et ont, complaisamment ou non, servi leur agenda pour la Syrie.

Conscient de la nécessité de contrer efficacement la propagande de l’opposition, et ce de manière crédible et imparable (c’est-à-dire autrement que par des démentis officiels), le gouvernement syrien a semble-t-il décidé, depuis plus d’une semaine, de laisser à nouveau entrer sur son territoire des observateurs étrangers, et ce dans un contexte de plus en plus tendu : la Ligue arabe a sévèrement critiqué la Syrie, motivée par l’Arabie Saoudite et le Qatar, très impliqué dans le soutien aux mouvements islamistes libyens, tunisiens et syriens ; Israël, silencieuse depuis le début des événements, a accepté de recevoir les représentants du CNS et d’entamer avec eux des négociations ; la Russie, pourtant alliée historique du régime syrien, a fait de même (tout en déployant toutefois sa marine de guerre dans les ports syriens, message très clair à ceux qui envisagent, à Ankara ou ailleurs, une intervention militaire sur le sol syrien) ; enfin, la militarisation de la contestation en Syrie : l’opposition semble avoir décidé de passer à l’offensive et de plus en plus d’attaques ont lieu contre les forces armées gouvernementales syriennes, dont certaines à l’arme lourde, dont aussi des tirs de snipers sur les policiers, des enlèvements et des assassinats, et une « Armée syrienne libre », constituée de « déserteurs », a commencé la lutte contre le gouvernement et demandé au CNS de la recevoir sous son commandement (un doute subsiste cependant quant à la constitution de cette Armée syrienne libre, dont le gros des forces pourrait être en réalité composé d’éléments étrangers ayant revêtu l’uniforme syrien, majoritairement islamistes et armés par le Qatar).

Si certains médias ont commencé de changer leur point de vue sur les événements en Syrie (voir, par exemple, l’article de Christophe Lamfalussy publié par La Libre Belgique ce 19 novembre ou le reportage de la RTBF, encore timide cela dit, diffusé lundi 21, qui confirment à présent les propos des « affabulateurs » de juillet), cette ouverture n’a cependant pas réussi à enrayer la guerre de propagande hostile au régime baathiste, qui n’a pas seulement pour moteur l’organisation des Frères musulmans et les divers courants de l’opposition regroupés dans le CNS.

Déjà très impliqué dans le renversement du gouvernement de Libye, où, suite à un accord bilatéral avec la France, il a armé plusieurs mouvements islamistes, le Qatar utilise désormais son bras médiatique, Al-Jazeera, pour soutenir la contestation en Syrie, comme il l’avait fait en Tunisie, contre Zine Abidine Ben Ali (au Maroc, en revanche, Al-Jazeera avait abandonné à leur sort les manifestants qui dénonçaient la monarchie ; même silence d’Al-Jazeera sur le massacre des protestataires au Bahreïn, qui furent écrasés par les chars, appuyés par des troupes saoudiennes envoyées en renfort).

Ainsi en témoigne ce tout récent exemple d’un média-mensonge « made in Qatar » : ce dimanche 20 novembre, Al-Jazeera (et Al-Arabia : Dubaï – Émirats arabes unis) a diffusé un reportage annonçant l’attaque du siège du parti Baath, à Damas.

Selon Al-Jazeera, deux hommes en moto ont tiré deux roquettes au moins sur le bâtiment, qui s’est embrasé ; et l’attentat a été revendiqué par l’Armée syrienne libre, qui a ciblé ce symbole du pouvoir, dans le centre de Damas, la capitale, jusqu’alors totalement épargnée par ces neuf mois de contestation.

Le régime de Bashar Al-Assad, touché en plein cœur et pour la première fois à Damas, serait-il au bord du gouffre ?

À nouveau, à l’appui de cette « information », concoctée par Al-Jazeera cette fois, la caution de l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme, qui a même apporté des précisions : deux roquettes supplémentaires ont encore été tirées, mais ont manqué leur cible…

Comme d’ordinaire, « l’information » a été reprise en chœur par tous les médias mainstreams.

Ce même dimanche au soir, un de mes contacts à Damas m’a téléphoné : « ma famille habite tout près du siège du parti Baath ; le bâtiment est intact ; c’est un mensonge ».

Lundi 21, j’ai demandé à une amie qui habite également Damas de vérifier pour moi l’information et de prendre une photographie du siège du Baath, en présentant à l’avant-plan l’édition du jour d’un journal occidental connu, de telle sorte qu’il ne puisse y avoir le moindre doute quant à la date à laquelle cette photographie a été prise.

Résultat : le bâtiment du siège du parti Baath à Damas est effectivement intact ; aucune roquette n’a frappé ni incendié l’immeuble.

L’Armée syrienne libre, après avoir revendiqué dimanche l’attentat sur sa page Facebook, a supprimé lundi sa revendication.

Entre désinformation organisée par une opposition islamiste, qui a reçu l’appui des monarchies du Golfe et des médias arabes dominants, et l’incompétence politiquement correcte des médias occidentaux, Damas peut toujours rouvrir ses frontières…