Netanyahou voulait placer Poutine devant un dilemme : « Vous expulsez l’Iran de la Syrie ou alors vous vous préparerez à d’interminables guerres au Moyen-Orient ! » Dans son imaginaire, la phrase aurait dû sonner à l’oreille de Poutine comme une terrifiante menace. Mais est-ce le cas ?
Le chercheur de l’Institut d’études israélien pour le Moyen-Orient et l’Afrique, Eyal Zisser, revient sur la rencontre Netanyahou-Poutine pour évaluer les chances de succès de l’Israélien en ces termes :
« La rencontre de ce mercredi entre Poutine et Netanyahou à la station balnéaire de Sotchi est sans doute la plus importante jamais produite depuis l’engagement militaire russe en Syrie. Cette intervention militaire russe a fait à vrai dire de la Russie le voisin septentrional d’Israël. Au début, l’engagement militaire russe a suscité de vives inquiétudes quant à de possibles confrontations russo-israéliennes en mer ou dans les airs surtout que la flotte aérienne et maritime russe opère en Syrie en toute discrétion et qu’Israël demande à avoir la totale latitude à agir dans le ciel syrien. Ce fut dans ce climat de tensions qu’un chasseur russe a été abattu par la Turquie, poussant Erdoğan à s’excuser auprès de Poutine, et faisant craindre à Israël un incident similaire, propre à remettre en cause les liens privilégiés que Tel Aviv entretient avec Moscou. »
Et le chercheur israélien ajoute :
« En effet entre la Russie et Israël, aucun accord n’a été conclu en Syrie et il y a de gros risques que les deux pays en viennent aux mains rien qu’à cause de la forte personnalité de Poutine et de Netanyahou. Ce furent les frappes très violentes de l’aviation russe contre les rebelles qui les ont anéantis sur l’ensemble du territoire syrien et qui ont assuré à Assad sa survie. Quant à Netanyahou, il continue à mener des raids sporadiques contre le Hezbollah en Syrie ».
Le chercheur revient ensuite sur les accords russo-israéliens de 2015 qu’il qualifie de « bons », mais qui « ne sont plus d’actualité » puisque la réalité sur le terrain a très vite changé :
« La guerre en Syrie approche à sa fin beaucoup plus rapidement que prévu. La réalité est que Bachar el-Assad restera au pouvoir et qu’Israël se trouve dans un état de désœuvrement si profond que c’est à Assad qu’il devrait demander désormais de mettre un terme au conflit. Mais Assad ira-t-il rompre avec l’Iran et le Hezbollah ? Fera-t-il la paix avec Israël au Golan ? »
Et le chercher a répondu en ces termes :
« En effet, une partie de la réponse a été donnée dimanche par Assad lui-même qui a promis la fin de la guerre dans un avenir pas trop lointain dans une Syrie, qui bien que meurtrie par six ans de guerre, ira résister encore, car elle a à ses côtés l’Iran, le Hezbollah et la Russie. Assad a même affirmé que l’appui iranien et du Hezbollah à l’armée syrienne figurera à jamais dans les annales de l’histoire syrienne ».
Le chercheur israélien évoque par la suite les gagnants et les perdants de la guerre en Syrie :
« Si la guerre se termine en Syrie, la Russie en sera le grand gagnant, car elle s’est investie à fond et a apporté un soutien militaire ferme à Assad, soutien qui s’est avéré bien payant. Ceci étant dit, il y a deux autres acteurs dans cette guerre à savoir l’Iran et le Hezbollah qui se sont engagés aux côtés d’Assad et en appui aux Russes, quitte à réaliser sur le sol syrien des gains stratégiques de taille. Ces dernières semaines, Israël a fait feu de tout bois pour s’assurer que le sol syrien n’abriterait à l’avenir aucune base militaire d’où seraient lancées des attaques contre les intérêts israéliens. Les Russes sont sans doute bien disponibles à entendre les Israéliens sans leur opposer la moindre objection, mais Moscou a des intérêts très particuliers en Syrie. La réalité est que pour Moscou, Israël devra apprendre à composer avec l’Iran et le Hezbollah, deux alliés désormais incontournables de la Russie ».
La suite de l’article laisse éclater la colère et la déception de l’auteur de voir la Russie « tourner le dos » à l’alliance traditionnelle Moscou-Tel Aviv :
« La Russie semble avoir oublié son éclat de colère quand elle a appris la décision de Washington d’installer ses soldats dans les pays baltes, en Pologne ou en Asie centrale. Les superpuissances ont la mémoire courte et ne reconnaissent pas aux petits pays les mêmes droits qu’elles se réservent à elles-mêmes ».
Zisser qualifie la rencontre de Netanyahou avec Poutine « d’importante », bien que « les Américains brillent à Sotchi par leur absence » :
« Il n’y a aucune différence entre l’administration Obama et celle de Trump : aussi égoïste que son prédécesseur, celle-ci ne se concentre que sur des objectifs conjoncturels qui profite à ses propres intérêts comme celui du démantèlement de Daech. La Russie et les États-Unis partagent peut-être des intérêts communs à vaincre le terrorisme, mais quand les adultes fêtent, ce sont les jeunes qui en paient la facture et Israël c’est le "jeune" de l’Histoire qui devrait faire les frais de la fête des "Grands" en Syrie ».
La fin de l’article est l’aveu d’impuissance d’un Israël qui se sent complètement K.O. en Syrie et pour qui l’auteur prescrit un remède de cheval :
« Le mieux pour Israël, c’est de se fixer des lignes rouges en Syrie, ce qu’il a refusé de faire pendant six ans. Le mieux pour Israël, c’est de s’occuper seul de sa sécurité, sans avoir à s’attirer les faveurs de la Russie et des États-Unis qui n’ont en ce moment que d’yeux pour l’Iran ».