Alors que les enfants et les droits d’adoption sont au cœur de l’actualité, la situation démographique russe est curieusement comme passée de mode dans le monde des médias.
Pourtant les derniers développements démographiques russes sont extrêmement intéressants. Les lecteurs qui suivent mes chroniques sur RIA Novosti savent que la démographie a été l’un des principaux points de l’entreprise de dénigrement de la Russie. Beaucoup d’analystes ont en effet pris le train de l’information en marche, train qui affirmait à tort que la Russie ne se relèverait sans doute pas du terrible choc démographique qu’elle a connu au lendemain de l’effondrement de l’URSS. Un peu d’histoire s’impose donc.
De 1991 à 1999, en conséquence de l’effondrement de l’économie russe, l’état sanitaire de la population s’est considérablement détérioré et l’espérance de vie s’est écroulée ainsi que la natalité. En 1989 la Russie a connu 2 160 559 naissances et 1 583 743 décès et la population a augmenté de 576 816 habitants. 1991 a été la dernière année qui a vu une hausse naturelle de population (naissances-décès) avec 1 794 626 naissances et 1 690 657 décès soit une hausse de population de 103 969 habitants. À partir de cette année 1991, la Russie est entrée dans le cycle démographique infernal de la croix russe, c’est-à-dire une faible natalité et une forte mortalité. Le nombre de naissances est tombé à 1 214 689 en 1999 contre 2 144 316 décès, soit une perte nette de population de 929 627 habitants. Le nombre de naissances remontera ensuite, n’atteignant de nouveau le niveau de 1991 (plus de 1,7 millions de naissances) qu’à partir de 2011. Quand aux nombre de décès, il restera très élevé et supérieur à deux millions également jusqu’à cette année 2011, qui verra 1 925 036 décès.
Cette évolution se traduira par une diminution de population continue, mais à une vitesse qui se réduira fortement à partir de 2005, la baisse naturelle de population étant de respectivement 687 066 habitants en 2006, 470 300 habitants en 2007, 363 500 habitants en 2008, 246 500 habitants en 2009, 241 400 en 2010 et finalement 131 208 en 2011. Les lecteurs voulant le détail des naissances et décès année par année de 1991 à 2011 peuvent le trouver ici.
La Russie a cette année 2012 connu 1 896 263 naissances, contre 1 793 828 l’année dernière, soit une hausse de 5,7 % c’est-à-dire 102 435 naissances en plus. La mortalité, elle, continue à diminuer, puisque l’année a vu 1 898 836 décès, contre 1 925 036 l’année passée, soit une baisse de 1,4 %, c’est-à-dire 26 200 décès en moins. Avec 1 896 263 naissances et 1 898 836 décès, la Russie frôle donc cette année l’équilibre naissances-décès, avec un solde négatif de 2 573 habitants. Les grands froids historiques que le pays a connu fin décembre ont cependant accru la mortalité, décembre 2012 [lien en russe, ndlr E&R] ayant vu 2 698 décès de plus que décembre 2011.
Il est intéressant également de regarder où se situe majoritairement cette hausse du nombre de naissances. Il y a tout d’abord l’oblast Omsk, la ville de Saint-Pétersbourg, les districts énergétiques de Khanty-Mansiisk, Tioumen et Iamalie, la république des Maris, le Tatarstan, le territoire de Krasnodar ainsi que les régions de Kalouga et de Lipetsk et enfin la région de Moscou.
Il y a donc des raisons d’être plutôt optimistes. Tout d’abord le nombre de naissances est dans une dynamique continue de croissance pendant que la mortalité est elle au contraire en décroissance. On imagine donc mal ces tendances soudainement s’interrompre et donc comment les prévisions démographiques d’une Russie de 130 millions d’habitants en 2015 pourraient arriver, scénario pourtant envisagé par les sources d’analyses les plus sérieuses (voir ici, la ou ici [liens en anglais, ndlr E&R]) jusqu’à il y a quelques années. La population russe devrait se situer aux alentours de 143,6 millions d’habitants en ce premier mois de l’année 2013, soit la prévision statistique démographique la plus optimiste des scénarios démographiques de l’État russe, qui aurait dû être atteinte seulement en... janvier 2015 [lien en russe, ndlr E&R] !
Pour beaucoup d’analystes ces résultats sont déjà exceptionnels et supérieurs aux prévisions des démographes russophiles les plus optimistes. Bien sûr le pire est devant puisque depuis 2004 on observe une baisse du nombre de femmes en âge de procréer (15-49 ans) et que depuis 2008 cette baisse concerne également les 15-29 ans, soit la tranche d’âge ou se concentrent actuellement 75 % des naissances (voir pour bien comprendre ce schéma). Cette baisse devrait se prolonger jusqu’à 2025, année durant laquelle les jeunes femmes russes de 25 ans seront vraisemblablement 35 % moins nombreuses qu’aujourd’hui. Pour faire face à cette situation, il faudrait donc que le nombre d’enfants par femmes double littéralement, soit plus que les trois enfants que le président russe a dans son discours de fin d’année estimé comme le nombre d’enfants que devait avoir chaque famille russe normale. Ou alors il faudrait que les femmes fassent des enfants plus tôt et/ou plus tard. Le changement des mentalités fait que les femmes russes ont des enfants de plus en plus tard [lien en russe, ndlr E&R]. De plus, le nombre d’avortements est en forte baisse, passant de 1,8 million en 2004 à moins de 850 000 cette année. Enfin et peut-être surtout l’immigration (de résidence) est en baisse mais stabilisée à 250 000/300 000 entrées annuelles.
Mais le facteur migratoire pourrait jouer un rôle important dans le futur puisque la chambre basse du parlement devrait élargir la liste des personnes pouvant prétendre à la citoyenneté russe via une procédure simplifiée. Le régime s’appliquerait aux « porteurs de la langue russe et de la culture russes, les descendants directs des ressortissants de l’Empire russe ». Cette loi fait suite à une initiative du chef de l’État Vladimir Poutine qui en juillet 2012 avait soulevé la question de rapatriement des descendants de citoyens de l’URSS et de l’Empire russe en déclarant que « les compatriotes expatriés voudraient être utiles pour leur patrie historique » et que « les ressortissants de l’Empire russe font partie d’une même nation et civilisation ». Ainsi, via cette loi, les habitants de Finlande et de Pologne, ainsi que les Tcherkesses qui ont quitté le Caucase après la défaite dans la guerre du Caucase, pourraient obtenir la citoyenneté russe.
On imagine donc de plus en plus difficilement comment dans l’avenir la population russe devrait s’effondrer, comme cela a souvent été répété. Et si 2013 voyait une hausse naturelle de population ?