« Des serial killers, il sait tout. Depuis quarante ans, il enchaîne à leur propos conférences, publications (34 livres en comptant les rééditions, traduits en onze langues), tournages de documentaires, colloques, séminaires et émissions. Oh ! certes, il n’a aucun diplôme, n’a rien étudié à l’université ; mais, comme il le murmure à ses auditoires, notre spécialiste national du crime, l’as des as du profiling, a été formé par le FBI, a enseigné à la Gendarmerie nationale et à l’Administration pénitentiaire, a formé des magistrats, a tuyauté des policiers, a élucidé des enquêtes en Afrique du Sud et questionné des meurtriers jusqu’en Allemagne. Il brandit ce chiffre magique : “J’ai rencontré 77 serial killers”. Soixante-dix-sept meurtriers dont il connaît l’enfance, le parcours scolaire, la sexualité, la santé, la religion, l’alimentation, le sommeil. Infaillible, hypermnésique, une banque de données vivante. Bourgoin fait profession de sa connaissance phénoménale des criminels sadiques.
En cette fin de printemps 2020, son agenda n’attendait que la fin du confinement pour se déployer. Un nouveau livre chez Grasset, une collection de trente albums de bandes dessinées chez Glénat, une tournée de conférences payantes dans tout le pays. Mais, en janvier dernier, 4ème Œil Corporation, un groupe anonyme de huit “passionnés d’affaires criminelles”, comme il se présente, a mis en ligne, sur YouTube, neuf vidéos démontrant ses mensonges et ses plagiats. “Nous voulons qu’il arrête de se faire de l’argent en racontant des fadaises sur la mort de personnes réelles”, explique une de ses membres, Maât, pseudonyme emprunté à la déesse égyptienne de la Justice. Bourgoin a refusé de répondre à ses détracteurs masqués, mais leurs vidéos troublent. Bourgoin, un serial menteur ? Le mythomane du crime ? Un imposteur qui aurait berné la presse, la justice, la gendarmerie, la magistrature et la police ? » (Paris Match)
On pourrait citer, dans beaucoup de domaines ou de spécialités, des figures médiatiques qui sont en réalité des semi-escrocs ou de complets escrocs. Ils servent la soupe au Système, ils écrivent ou disent ce que les gens ont envie d’entendre, ils vont dans le sens dominant et sont récompensés pour cela. Le système médiatique les portes aux nues, les interviewe du matin au soir, en fait des références indéboulonnables, ainsi naissent les figures faussement populaires et faussement spécialisées.
Deux exemples parmi tant d’autres : le spécialiste des truands Emmanuel Pierrat, tellement fasciné par les voyous qu’il pense échapper à leurs manipulations, et le spécialiste de la « résilience » Boris Cyrulnik, qui a été dégommé récemment, mais qui apparaît encore par intermittence dans des médias mainstream qui ont énormément de mal à s’aligner sur la vérité ou à reconnaître leurs erreurs. Ces imposteurs le sont évidemment à des degrés divers, et on ne jette pas la pierre à Pierrat, le frère de l’avocat, qui est aussi à sa façon un imposteur, puisqu’il travaille plus pour la dominance que pour le droit ou la vérité.
Les journalistes qui ont approché ce pauvre Bourgoin, qui a l’air d’un dépressif en fin de parcours, savent qu’il esquivait toutes les questions dérangeantes et qu’il répondait à ceux qui étaient curieux et travailleurs, ou qui connaissaient un peu le dossier « serial killers », en les renvoyant à ses ouvrages. Cela sentait déjà le roussi pour ce tocard qui a bien ingurgité toute la littérature du domaine pour la resservir à ses fans avides de frissons. Il y a de bons livres sur la question, on pense à celui de Corinne Hermann Un tueur peut en cacher un autre, ou Le Complexe du loup-garou de Denis Duclos, un essai sur la fascination américaine pour la violence. N’oublions pas les bouquins de Ressler, le vrai profiler dont ce couillon de Bourgoin a voulu voler l’esprit. Un vrai cas de pathologie mentale de remplacement !
Fake News, le vrai nom des médias français
Ce qui est en cause n’est donc pas cette série de tocards ou de wanna be, comme disent les Américains, littéralement ceux qui veulent être mais qui ne sont malheureusement pas ou qui ne le seront jamais, mais la mécanique médiatique qui les porte aux nues. Il s’agit de tromper l’adversaire, l’adversaire étant ici le peuple, le lecteur, le vulgaire. C’est à l’image de la tromperie politique sur la démocratie, la tolérance et la liberté, tous ces concepts flous qui n’en sont pas, mais qui sont des cache-sexe pour les outils effectifs de la dominance, que sont la répression, la violence, le mensonge.
Bourgoin, avec sa voix de mytho pleurnichard, a fait son mea culpa dans Paris Match, un gros sujet passé inaperçu chez les confrères, et pour cause : toute la propagandasphère a fait l’éloge de ce bouffon qui n’a jamais travaillé sérieusement sur un seul sujet, à part recopier le boulot des autres.
Ceux qui enquêtent, qu’ils soient journalistes, flics ou juges, savent que c’est un boulot ingrat, long, difficile, qui peut prendre des mois, des années, et dont les résultats sont non seulement incertains (à moins de détenir un gros scoop dès le départ et de le vérifier ensuite, comme ces annexes du renseignement que sont Le Canard enchaîné ou Mediapart) mais surtout rarement spectaculaires. Et dans une société médiatique qui aime le spectacle, la paillette, l’esbroufe, une enquête minutieuse et détaillée n’est jamais très vendeuse.
Voilà pourquoi la France regorge de Barbier, d’Aphatie, de Barthès d’un côté, et de Bourgoin, de BHL (pour la philosophie) et de Cyrulnik de l’autre. les premiers validant les seconds car ce sont tous des imposteurs : dans un système qui prône le mensonge et étouffe les vérités dérangeantes, on ne peut être qu’un imposteur, conscient ou inconscient. On remarque, une fois encore, que la vérité ou le dégonflage d’une baudruche médiatique vient de l’Internet.