Au milieu d’un bloc de béton soutenant le périphérique parisien, une porte entrouverte : dans ce local municipal abandonné, des squatteurs menacés d’expulsion tiennent un restaurant « freegan » ou « déchétarien », dont le menu est concocté avec des invendus du marché de Rungis.
Dans une pièce de la taille d’une église – 1000 m2, 8 mètres sous plafond –, plongée faute de fenêtres dans une semi-pénombre, tables, canapés et tapis récupérés chez Emmaüs, éclairage minimaliste et musique douce donnent à l’endroit une chaleur qui contraste avec la froideur du béton. Autour du grand plan de travail, la dizaine de bénévoles du « Freegan Pony » s’affaire.
« Velouté céleri pommes noisettes », « gratin pommes de terre et légumes », « compote de pommes et chocolat ». Près du menu unique écrit à la craie sur le tableau, la liste des « rescapés » : 110 kilos de petits oignons, 52 kilos de pommes golden, 56 kilos de choux chinois... une liste chaque jour différente avec laquelle il faut improviser.
Des aliments récupérés notamment le vendredi auprès des grossistes du marché d’intérêt national de Rungis, près de Paris, qui donnent ce qu’ils ne peuvent légalement plus vendre mais reste comestible.
Selon l’ONU, près d’un tiers de la nourriture produite dans le monde pour les humains est perdue ou jetée, soit approximativement 1,3 milliard de tonnes par an. Les projets visant à la récupérer se multiplient dans les pays développés.
Aladdin Charni, squatteur en chef et en série de 32 ans, explique vouloir « toucher des personnes qui ne connaissent rien au gâchis alimentaire ». « Freegan » – contraction de « free » (gratuit) et vegan, ne pas consommer de produit issu des animaux ou de leur exploitation – pragmatique plus que militant, il dit se nourrir dans les poubelles depuis sept ans. « Je mange mieux que tous mes amis », s’amuse-t-il.
Aventure quotidienne
Queue de cheval, barbe semi-taillée et regard doux, Aladdin s’est lancé dans cette « aventure quotidienne » en misant sur « la foi et un brin de folie ». Les chefs, motivés par le défi, « n’ont pas de limites, ils sont autonomes », plaide Aladdin, « c’est la liberté ! ».