Les études internes de Facebook récemment divulguées au sujet des méfaits d’Instagram sur la santé mentale des jeunes font part d’une information que beaucoup considèrent particulièrement consternante. Pour une adolescente sur trois, son utilisation aggrave les problèmes d’image corporelle. Cette statistique, dévoilée par le Wall Street Journal, ne me surprend pas. Quand j’étais au collège, j’étais l’une d’elles.
Un jour, alors que je scrollais machinalement sur mon fil Instagram, je me suis arrêtée entre deux photos de chiens et de couchers de soleil pour lire plus attentivement un post en particulier. Un compte de fitness donnait un conseil tout simple pour perdre du poids : il suffisait de ne jamais manger lorsqu’on n’avait pas faim.
Ayant alors du mal à accepter les changements de mon corps, il m’avait semblé que ce post proposait la solution dont j’avais désespérément besoin. Lorsque je n’avais pas faim à l’heure des repas, je me lamentais sur les kilos que j’allais prendre si je mangeais. Aussi, pour éviter ce problème, je diminuais mes portions un peu plus chaque semaine et m’autorisais rarement à manger si j’avais faim entre les repas. Je me pesais plusieurs fois par jour, ignorant ma faim si l’aiguille de la balance ne bougeait pas. En quelques mois, mon poids était descendu dangereusement bas, et mon comportement était devenu suffisamment inquiétant pour qu’on me diagnostique une anorexie.
Même lorsque j’ai commencé à aller mieux, je n’ai pu me résoudre à dire à mes amis ce que je traversais. Ayant tout de même besoin de sentir que je n’étais pas seule, je me suis tournée à la place vers Instagram. Sur ce réseau même qui avait déclenché mes troubles alimentaires, j’ai passé des heures à parcourir des dizaines de comptes, la plupart tenus par des adolescentes, où nous partagions nos expériences de guérison et nous soutenions mutuellement. Il suffisait de chercher un hashtag sur les troubles de l’alimentation pour obtenir un éventail de repas (trop) soigneusement composés, de récits de mauvais jours et de photos de corps squelettiques.
Je me sentais liée aux filles qui se cachaient derrière ces comptes d’une manière dont je ne pouvais l’être avec mes amies, avec mon groupe de soutien hors ligne ou mon psychiatre. Toutefois, les descriptions sans filtre de leurs troubles alimentaires ont peut-être plus nui à ma guérison qu’elles ne m’ont aidée. Seule dans ma chambre, sans personne réelle vers qui me tourner, je n’étais pas prête à affronter la peur et le désespoir que je ressentais lorsque je revivais par procuration les expériences des autres, si similaires aux miennes. Pourtant, j’avais l’impression qu’Instagram m’apportait un plus grand soutien que les médecins qui n’avaient pas vécu de troubles alimentaires – ce qui me dissuadait de suivre sérieusement mon traitement.
Plus inquiétant encore, les posts de « guérison » banalisaient les pensées et les comportements dangereux. Mon corps ne me semblait plus si malade que cela lorsque je le comparais à celui des jeunes filles qui devaient être hospitalisées. Quand chaque photo de nourriture que je voyais sur Instagram était accompagnée de la description de la tourmente émotionnelle qui couvait en dessous, je ne pouvais pas m’imaginer remanger un jour un vrai repas sans être interrompue par la voix de mon trouble alimentaire.
Ce que j’ai vécu n’est pas rare. Comme le prouvent les documents de Facebook qui ont fuité, Instagram augmente les problèmes d’image corporelle chez 32 % de jeunes filles qui se sentent mal dans leur peau. Pas moins de 40 % des personnes qui utilisent Instagram et déclarent se sentir peu attirantes rapportent qu’Instagram est à l’origine de ce sentiment. Ces résultats corrélationnels fondés sur des données rapportées par l’entreprise elle-même ne constituent pas une étude rigoureuse à même de prouver la relation de cause à effet. Mais, si des vies sont en jeu, il serait irresponsable de ne pas s’en préoccuper sérieusement.