Ce 22 mars 2012, une loi a été publiée au journal officiel dans le plus grand silence des médias malgré son importance pour des millions de salariés et la contradiction politique qu’elle implique. Nous aimerions vous l’exposer de manière accessible aux non-spécialistes.
La loi dite Warsmann du 22 mars 2012 indique que la mise en place d’un horaire modulé prévu par une convention collective n’est pas une modification du contrat de travail.
Que-est ce que ça veut dire ?
Et bien, pour l’expliquer, il faut dire ceci : la loi et surtout la jurisprudence encadre le pouvoir de direction de l’employeur et définit la frontière entre ce qu’il peut, au nom de son pouvoir de direction et de la gestion de l’entreprise, imposer au salarié et ce qui constitue une modification du contrat de travail, impliquant obligatoirement l’accord du salarié.
En clair, qu’est ce qui, dans les ordres de l’employeur, constituent des avenants au contrat de travail qui requiert le consentement du salarié ?
L’enjeu de la question est important, car si le salarié refuse un élément que l’employeur peut lui imposer, c’est constitutif d’une faute disciplinaire susceptible de licenciement. Si le salarié refuse une modification du contrat de travail, l’employeur ne peut pas la lui imposer et son licenciement est, selon la formule consacrée, sans cause réelle et sérieuse, c’est à dire que l’employeur devra payer au minimum six mois de rémunération à l’ancien salarié au titre d’indemnité. Mieux, si l’employeur insiste, le salarié pourra partir et faire reconnaitre, avec les même conséquences, une rupture fautive de l’employeur. Si par contre le salarié s’en va parce qu’il refuse un élément qui tient du pouvoir de direction de l’employeur, ce départ s’analyse comme une démission, avec toutes ses conséquences, notamment l’absence d’allocation chômage.
La loi veut donc dire qu’un accord d’entreprise peut mettre en place une modulation et l’imposer au salarié, mais qu’est-ce qu’un accord de modulation ?
C’est un mode de calcul des heures supplémentaires dérogatoire qui consiste à ne plus les calculer sur la semaine mais sur une plus longue période, par exemple au mois. En temps normal, les heures supplémentaires sont calculées sur la semaine, c’est à dire que quand vous travaillez 37 heures au lieu de 35 (durée de référence de la semaine de travail), vous gagnez deux heures supplémentaires majorées à 25%. Avec ce genre d’accord, les heures supplémentaires sont calculées par exemple au mois, ça veut dire qu’on va regarder si vous avez fait plus de 151,67 h (35 x 4,33) dans le mois et qu’on va vous payer ce que vous avez fait. Ca permet à l’employeur de faire varier les horaires d’une semaine à l’autre, de vous faire travailler 33 heures une semaine et 37 la suivante, pourvu que la moyenne arithmétique reste à 35 sur le mois.
Ce qui implique deux choses : primo, vous perdez en prévisibilité, secondo, pour le même nombre d’heures travaillées, vous gagnez moins d’argent, parce que vous ne faites plus d’heures supplémentaires. Et parce que les heures supplémentaires que vous faisiez au delà de la 43e heures et qui étaient majorées à 50 %, se retrouvent dans la moyenne arithmétique plus basse, de 36h par exemple, soit une heure par semaine majorée à 25%. Vous perdez ainsi la surmajoration.
En clair, Sarko est en train de tuer les heures supplémentaires qu’il a défiscalisé. Ce n’est pas travailler plus pour gagner plus, c’est travailler autant, voir plus, pour gagner moins. Dans l’ancien système, dans les périodes "creuses" où il y avait moins d’activité, vous étiez quand même payé 35h la semaine, quelques unes peu productives peut être, mais payées tout de même. Avec cet outil, les RH pourront calculer le temps consacré à chaque tâche et fixer des horaires précis à tout le monde, et ne plus payer d’heures creuses. Pourvu qu’ils respectent une moyenne arithmétique de 35h.
Mais il faut comprendre une chose sur le projet du patronat en matière de temps de travail. Ce n’est pas « les 35h » qui posent problème, c’est une durée de référence qui ne sert grossièrement qu’à marquer la frontière entre les heures payées normalement et les heures supplémentaires et entre travail à temps complet et à temps partiel.
Non, ce que voudrait le MEDEF, c’est la disparition de toute référence légale ou la mise en place d’une référence très haute. Pas tant pour faire travailler plus les salariés, mais pour imposer le temps partiel généralisé.
Quel intérêt ? Et bien, dans les contrats à temps partiel, tout est contractuel, il y a toute une série de garanties légales qui ne s’appliquent pas aux contrats à temps partiel. Le rêve du patronat n’est donc pas tant de mettre tout le monde à 45h, mais de mettre tout le monde à 35h en temps partiel, car alors l’employeur peut faire varier les horaires comme il lui plait, la répartition des horaires (continu ou discontinu, de jour ou de nuit) devient totalement négociable. Et on sait ce que vaut la négociation entre salarié et employeur avec 10% de chômage.
Nous espérons avoir été clair, n’hésitez pas à demander des précisions, c’est une info technique, mais dont l’importance mérite une plus grande publicité que celle qui lui est faite, limitée aux spécialistes.
Jean Leroy.