En l’espace de dix ans, l’artiste est passé d’un statut de valeur sûre du divertissement britannique à celui de saltimbanque dépravé n’ayant jamais amusé quiconque. Lui qui remplissait les salles de spectacle et de cinéma est aujourd’hui dans le viseur des médias, pour des histoires – ô surprise – de fesses et de politique. L’issue prévisible d’un parcours qui l’est moins.
Pourtant rompu aux redescentes difficiles en sa qualité d’héroïnomane repenti, Russell Brand a vécu une matinée éprouvante le 16 septembre dernier. À sa décharge, quand la presse nationale accole unanimement le mot « violeur » à votre portrait, fût-il accompagné du filigrane « présumé innocent », le réveil n’est jamais doux. Selon les témoignages collectés, on reproche au comédien des faits de viols et d’agressions sexuelles qui remonteraient à la période 2006-2013, alors qu’il travaillait pour la BBC [1]. Après quinze années de mûre réflexion, les accusatrices et les principaux tirages de la presse anglaise se sont donc opportunément coordonnés, dans un ballet émouvant de spontanéité, pour livrer Russell Brand à la vindicte hystérico-vengeresse post-MeToo.
À première vue, la cible choisie ne surprend pas. Russell Brand n’a jamais fait mystère de ses penchants pour les pratiques lubriques, pas plus qu’il n’a cherché à cacher ses addictions aux drogues en vogue dans son milieu. Un minimum d’intuition suffisait déjà alors à prédire que ses excès de libido et de substances psychotropes seraient propices aux dérapages dont on l’accuse. Pourtant, on peut s’étonner que le comédien de 48 ans ne passe « que » maintenant devant le peloton d’exécution médiatique. Russell Brand n’est plus exactement une tête d’affiche en studio, pas non plus une référence en stand-up ni même un best-seller en librairie. Il est un artiste de niche, relativement confidentiel, et seule sa chaîne YouTube témoigne encore fidèlement de sa grandeur passée [2].
Or c’est peut-être bien de cette chaîne que vient le problème. Initialement légère et divertissante, elle s’est mise à offrir un contenu plus dense à ses six millions d’abonnés à partir de 2020 et a rapidement tranché avec les discours autorisés sur les sujets clivants. Ainsi Russell Brand y a-t-il successivement mis en doute les théories officielles matraquées par l’establishment quant aux origines du covid, aux raisons de la guerre en Ukraine, aux signes du Great Reset ou aux intentions de Bill Gates. Des prises de position trop osées pour qu’elles demeurent impunies selon certains ; le Système adorant digérer les enfants turbulents qu’il engendre. D’aucuns prédisent désormais au comédien de l’Essex un sort similaire à celui d’autres mal-pensants, eux aussi mis à l’index, tels Donald Trump et Tucker Carlson.
Alors, propagateur de fake news justement châtié ou parangon du free speech arbitrairement jugé ? À ce stade, difficile de se prononcer. Car rétrospectivement, la trajectoire et les positionnements de Russell Brand ont toujours été imprévisibles. En repassant les moments phares de ses apparitions publiques, il semble que le comédien ait pris plaisir, sa carrière durant, à mitrailler dans toutes les directions sans vraiment suivre de logique particulière. Il a ainsi enchaîné scandales et sanctions en se grimant en Ben Laden sur MTV le lendemain des attaques du 11 Septembre, en traitant W. Bush de cowboy attardé, ou en saluant la classe vestimentaire des dignitaires du Reich [3]. Le genre d’irrévérences qui vous garantit plus d’ennemis que vous n’en sauriez dénombrer.
Hélas pour ceux qui voudraient en faire la nouvelle figure de la dissidence outre-manche, Russell Brand traîne aussi une panoplie de casseroles peu reluisantes. Avant son incursion dans les terres de la libre pensée, l’ex de Katy Perry donnait des gages à la doxa en traitant de nazis quiconque travaillait chez Fox News. Une manière d’afficher son appartenance au camp du bien en allumant des ambulances au point mort. Plus embarrassant encore, il n’hésitait pas à servir la soupe à l’une des plus abjectes incarnations du mal sur Terre, le tristement célèbre Jimmy Saville, dont les atrocités pédophiles ne sont plus à rappeler. Pour cela, il est d’ailleurs soupçonné, encore aujourd’hui, d’avoir connu les déviances maniaques du présentateur vedette de la BBC et de les avoir tues pour le salut de sa carrière.
Charité chrétienne oblige, il est tentant de considérer le revirement idéologique de Russell Brand comme l’aboutissement sincère d’une prise de conscience authentique. De la même manière, il est légitime de penser que les accusations dont il fait l’objet ne fuitent pas aujourd’hui par le fruit du hasard. Présentement, le comédien-à-abattre jouit toujours de sa plateforme YouTube (chose interdite aux vrais gêneurs) et bénéficie même de la protection de Rumble, qui continue de le monétiser malgré les tentatives de dissuasion du pouvoir profond [4]. À ce rythme, ce dernier devrait rapidement statuer sur le cas de l’acteur et, qui sait, en lui collant l’étiquette d’infréquentable, libérer dans la nature une âme neuve prête à délaisser son existence frivole pour un combat plus sérieux.