L’américain Robert Parker, né en 1947 (photo ci-dessus) est le critique œnologique le plus connu au monde. C’est un juriste de formation qui a travaillé comme avocat pendant 6 ans pour Farm Credit Banks de Baltimore (un organisme de crédit agricole américain). Il se rend en France pour la première fois en 1967. La légende raconte alors qu’il découvre le vin par hasard en commandant dans un restaurant parisien un pichet de vin rouge au lieu d’un coca-cola, celui-ci étant trop cher en France à l’époque (1). Miracle ou coup de foudre ? Il tombe instantanément amoureux de la boisson des Français.
En 1973, il commence sa carrière d’avocat. De 1973 à 1978, il se rend régulièrement en France avec sa femme pour visiter les châteaux bordelais, déguster des vins et s’entretenir avec des producteurs. Dépourvu de toute formation œnologique, il lance crânement en 1978 sa lettre d’information the Baltimore-Washington Wine Advocate qui devient The Wine Advocate. C’est en 1982 qu’il devient célèbre. Lors d’une dégustation de primeur de Bordeaux 1982, contre l’avis quasi-général il prédit une très grande année pour les Bordeaux de ce millésime. Il conseille à ses lecteurs l’achat de ce millésime.
Deux ans plus tard, les vins mis en bouteilles, il apparut que la prédiction de Parker était fondée. Sa chance fut d’être le seul américain à promouvoir, usant d’un style superlatif et enthousiaste, les Bordeaux 1982 sur un marché en plein explosion. Ses lecteurs ayant suivi ses conseils font fortune. Mais pour la petite histoire, contrairement à ce qui est souvent clamé, c’est à un français Michel Bettane que l’on doit le premier commentaire élogieux sur les Bordeaux de 1982.
En 1984, sa lettre se diffuse à plus de 10 000 exemplaires et il quitte son métier d’avocat pour se consacrer pleinement au métier de critique. Sa montée en puissance ensuite, au cours des années 80, sur le marché américain correspond à celle des yuppies (2), nouvelle classe supérieure américaine ultra-individualiste et avide de signes extérieurs de richesse. Depuis, son influence est devenu telle qu’on parle de vins parkérisés et de parkérisation pour décrire l’uniformisation des vins. Son Credo affiché : donner au monde entier « un point de vue américain et démocratique »...
Ses jugements, autant attendus que redoutés par les grandes maisons de négoce, peuvent faire chuter les prix à hauteur de 30 %. C’est vrai tout particulièrement dans le bordelais ou ses relations sont décrites comme intrigantes (3) avec les grands châteaux et avec Michel Roland, œnologue star et inventeur du métier de "flying winemaker", ces fameux consultants internationaux et chantres de la modernisation à tout crin.
Coquetterie ou sens des affaires, comme les sportifs qui assurent telle ou telle partie de leur corps, Robert Parker a fait assurer pour un million de dollars son nez et son palais (4). Il est l’unique critique de vins à avoir été décoré par des présidents de la République française (chevalier de l’Ordre national du Mérite par François Mitterrand en 1993, chevalier (en1999) puis officier (le 14 juillet 2005) de l’Ordre de la Légion d’honneur (par Jacques Chirac). Il fût également décoré de la plus haute distinction civile italienne (Commendatore) par Silvio Berlusconi en 2002 ainsi que Grand-Croix de l’ordre civil espagnol par le roi Juan Carlos en 2011.
Ses approximations cachées sous un style autoritaire et définitif, voire pontifiant, irrite surtout qu’aucun autre critique n’est là pour contrebalancer ses avis qui font et défont instantanément les réputations et les profits... En 1994, pour la plus connue d’entre elles, éclate l’affaire Faiveley qui opposa la prestigieuse maison bourguignonne de Nuits-Saint-Georges au critique américain pour un commentaire diffamatoire sur l’un de ses vins dans la troisième édition du Parker’s Wine Buyer’s Guide. Dans le commentaire incriminé, Parker prétendit laconiquement que les vins goûtés au domaine étaient moins bons que ceux disponibles en bouteilles aux États-Unis, suspectant ainsi une fraude de la part du producteur bourguignon. Sa réputation d’excellence entachée par une remarque à l’emporte-pièce de Parker, la maison Faiveley, furieuse, envoya ses avocats. L’affaire se régla finalement à l’amiable et Robert Parker retira de la vente son guide et publia un rectificatif dans sa lettre d’information. Depuis, Parker n’aime guère évoquer cette affaire et il ne se rend plus en Bourgogne, déléguant la dégustation des vins de cette région à un de ses associés.
Son coup marketing le plus fameux est certainement la promotion d’un étrange système de notation reposant sur un seul chiffre allant de 50 à 100. Les notes comprises entre 50 et 59 (F) indiquant un vin inacceptable (alors pourquoi lui attribuer 50 dans ce cas ?) et les notes comprises entre 90 et 100 (ou A voire A+ pour une note supérieure à 95) un vin exceptionnel "Quel sens cela a- t-il de noter 95 plutôt que 94 sur 100 ?" s’interroge un caviste parisien (5). Il faut savoir qu’un vin noté 100 peut voir sa côte tripler en quelques heures après publication. Indicateur simple voire simpliste, donc rassurant pour les consommateurs non avertis, qui permit de modifier en profondeur le marché international du commerce de vins en particulier vers les États-Unis dès les années 80. Puis à partir de la fin des années 90, l’indice Parker servit de standard commercial pour la conquête de nouveaux marchés (Chine, Brésil, Russie, Japon).
Certes, Robert Parker produit des notes de dégustations bien plus complètes mais ce type de notation associé à une image d’expert international bien peaufiné suffit à créer des effets de sidération et d’autorité apte à intimider le consommateur et à orienter les acheteurs vers des vins dont la note Parker est élevée. Ainsi, aux États-Unis, la note Parker figure à côté du prix chez les cavistes et il est bien vu dans la haute société américaine un brin snobinarde d’organiser des réceptions 100/100 parker sur la seule base des notes du critique. On voit là la tendance profonde, appliquée aux vins, de décrire des produits complexes et culturels par un indicateur unique. Insidieusement, c’est aussi un moyen de standardiser la production et d’entraîner toute une profession, souvent des entreprises familiales, dans une concurrence frénétique et impitoyable, sur un marché déstabilisé d’une année à l’autre, avec les grandes exploitations californiennes. En effet, afin d’obtenir les grâces de Robert Parker, certains producteurs n’hésitèrent pas à travestir l’expression traditionnelle de leur vins. C’est l’avènement d’un style dit international de vins faciles à boire mais sans caractères (6), capable de plaire à une clientèle de jet setters voguant de Hong-Kong à New York.
Robert Parker est certes un excellent dégustateur mais son jugement reflète simplement son goût personnel. Bien qu’il s’en défende, son influence fut telle sur le marché que naquit un goût unique, celui du bourgeois-bohème distingué et cosmopolite au fort pouvoir d’achat. Inversion suprême, après avoir imposé une grille de lecture uniforme, il attribue son succès au fait que son goût pour les vins denses et alcoolisés est celui de la grande masse des consommateurs de par le monde ! Sans aucun doute, son système de notation devenu hégémonique fût responsable de la plus fantastique uniformisation du marché du vin dans l’histoire. Finalement, on pourrait aussi dire qu’à l’instar de Steve Jobs ou de Bill Gates, Robert Parker appartient à cette race des grands gourous à l’audience planétaire à l’aise comme des poissons dans l’eau dans la mondialisation et capable de tenir un discours suffisamment simple et réducteur destiné (pourvu qu’il en ait les moyens) à n’importe quel habitant de la planète.
C’est donc aussi bien aux novices qu’aux amateurs qui s’insurgent contre cette uniformisation qu’il convient de renouer avec le lent réapprentissage du goût de vins plus typiques et de redécouvrir les fabuleux terroirs français, fruits d’une rencontre singulière entre une géographie exceptionnelle et le travail passionné des hommes.
(1) Robert Parker, l’avocat du vin , Le Point - Publié le 04/10/1997.
(2) Acronyme américain pour Young Urban Professional.
(3) Robert Parker, Anatomie d’un mythe d’Hanna Agostini Editeur : Scali, Paris. L’image d’impartialité du célèbre critique y est écorné et l’auteur ancienne collaboratrice de Parker dévoile les amitiés qu’il entretient avec le monde de la production et de la négoce.
(4) The million-dollar nose http://www.theatlantic.com/past/doc... (5) Jean Christophe Estève, l’un des meilleurs cavistes de Paris, qui s’astreint, lui aussi, chaque année, à goûter tous les bordeaux primeurs. Et qui s’avoue légèrement agacé par la folie Parker : "Quel sens cela a- t-il de noter 95 plutôt que 94 sur 100 ? Sa hiérarchie est à la fois fictive et incontestable ; c’est la sienne, c’est tout." Express L’Attila des vignobles Par Conan Eric, publié le 10/06/1999.
(6) Profonds, alcoolisés, peu acides et aux tanins très présents mais fondus.
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