Chômeur malgré ses diplômes et dépressif, à 33 ans Richard Durn vit toujours chez sa mère. Militant écœuré par les politiques, il part, un soir de mars 2002, armé comme à la guerre, au conseil municipal de Nanterre.
A 1 h 11, le mercredi 27 mars 2002, un habitant de Nanterre ouvre le feu à la fin du conseil municipal. Richard Durn a hésité toute la soirée à se servir de ses armes : « Durant tout ce temps, je me suis demandé si j’allais passer à l’action ou pas. Dans les dernières minutes du conseil, j’ai compris que je ne pouvais plus reculer, c’était maintenant ou jamais », expliquera-t-il plus tard aux policiers. Il attend plus de cinq heures avant de dégainer un pistolet automatique Glock et puis un second : « J’ai commencé par viser la mairesse, Mme Fraysse, droit devant moi. J’ai agi comme un robot. Je n’avais pas défini d’ordre précis dans mon exécution, je voulais tuer le plus de personnes possible puis me tuer. » Il a tiré trente-huit balles en cinquante-cinq secondes, a abattu huit élus de sa ville et en a blessé quatorze autres.
Ceinturé puis désarmé par trois conseillers municipaux, Richard Durn, qui se réserve une balle de revolver, rate son suicide : « J’ai été maîtrisé. Ils m’ont pris mon Smith & Wesson dans la poche intérieure gauche. C’est à ce moment-là que j’ai crié : "Tuez-moi, tuez-moi !" » En vain. Le voilà neutralisé. Puis menotté par les officiers de la brigade criminelle qui le trouvent « terriblement excité ». A l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris, un médecin juge son état de santé mentale compatible avec une garde à vue. Au 36 quai des Orfèvres, bureau 414 de « la Crim’ », Richard Durn livre les clés de son mécanisme de désintégration sociale et de sa « folie destructrice ».
Né le 3 décembre 1968 à Nanterre de père inconnu et d’une mère slovène, Richard Durn a toujours buté sur le mystère de ses origines et le silence obstiné de sa mère. Stéfania, employée de la biscotterie Heudebert, puis chez Citroën, eut en 1968 « une relation sans amour » avec « un homme de passage » qu’elle a « enterré » dans « son jardin secret ». Enceinte et sans argent pour avorter, Stéfania sort de la maternité avec son bébé un vendredi 13 : « Je savais que ça me porterait malheur », pressent-elle. Elle a du mal à materner ce « petit garçon renfermé, timide, contemplatif et câlin », qui apprend pourtant bien à l’école. « On ne peut pas se forcer à aimer quelqu’un qu’on n’a pas voulu, dit Stéfania. Je l’ai aimé petit à petit quand il a commencé à grandir. » Adolescent, Richard Durn pose des questions sur son géniteur. Sa mère lui explique juste qu’il est un enfant non désiré, « un accident », qu’elle a été « obligée de le garder ». Il réclame un nom, une image : « Montre-moi quelque chose de lui. » Elle ne lâche rien. « Mais je n’avais pas de photo, rien , prétextera Stéfania. Richard le vivait comme un drame. »
Missions humanitaires
A 18 ans, le garçon consulte un psychiatre, qui lui prescrit des médicaments. En 1990, il avale soixante comprimés pour en finir. Deux ans plus tard, il récidive, atterrit à l’hôpital Sainte-Anne. S’ensuivent dix ans de suivi psychiatrique en pointillé et de missions humanitaires dans les pays en guerre : « Si je vais là-bas, dit-il à sa mère, c’est dans l’espoir qu’on me bute ou que je saute sur une mine. » Etudiant à l’université de Nanterre, il est surveillant dans un lycée des Hauts-de-Seine. Depuis 1988, ce pion rigide et taciturne surnommé « Robocop » séduit néanmoins un élève, Gaël K. Ce dernier le trouve « très cultivé et super-intéressant quand il parlait des conflits dans le monde ».Il devient son unique ami . En 1993, Richard Durn, qui parle quatre langues, accompagne un premier convoi en Bosnie et renoue avec ses racines dans les Balkans : « C’est la seule aventure de ma vie. » Il obtient sa licence d’histoire en 1995, suit une maîtrise de sciences politiques, prend sa carte au Parti socialiste.
En 1997, Durn se rend en Israël avec Gaël : « C’est l’une des rares fois où j’ai vu Richard épanoui, détendu, sans noirceur dans le regard. Il avait un visage d’enfant. » Après une semaine à l’auberge de jeunesse de Jérusalem, Durn veut se recueillir dans la colonie juive de Kyriat Arba sur la tombe de l’extrémiste sioniste Barush Goldstein qui a assassiné vingt-neuf Palestiniens en 1994. « Richard trouvait ça abject mais courageux qu’un type puisse aller dans une mosquée avec une arme et tirer », témoigne Gaël. De même, Durn se rend à la forteresse de Massada où, en 74 après Jésus-Christ, les résistants juifs encerclés par les Romains se sont suicidés plutôt que de se rendre. Sur place, Durn se met en rage pour une broutille et menace de mort son ami qui, terrorisé, rentre en France. « J’ai cru que tu allais me tuer », lui dira plus tard Gaël. Mais quand Richard dit de lui-même qu’il est « fou », son ami ne le croit pas.
De retour à Nanterre, Richard Durn prend des cours de théâtre, insiste « pour travailler des textes à caractère politique », selon son professeur qui lui propose de jouer le Baladin du monde occidental, de l’Irlandais John Millington Synge. Le rôle de Durn commence par ses mots : « Avant le jour où j’ai tué mon père… » Depuis 1996, Durn s’entraîne en secret au tir, a un permis pour ses deux Glock et un Smith & Wesson. Il les trimbale dans un sac. Un jour de 1998, il exhibe une arme à feu face à la psychiatre du bureau d’aide psychologique universitaire de Paris : « Je pourrais tuer des gens. » Le médecin informe la Ddass des Hauts-de-Seine, qui classe l’affaire. Pas de placement d’office ni d’obligation de soins. Richard Durn prend de temps en temps des antidépresseurs, du Prozac, et continue à s’enfoncer. « Il se dévalorisait continuellement , "je ne vaux rien", "tout ce que je fais tombe à l’eau, ça marche pas", "à quoi me servent mes diplômes ?", « qu’est-ce que je vais devenir ?" » rapporte Gaël.
Trop âgé pour rester pion, Durn devient chômeur, et bientôt RMiste. Célibataire à presque 30 ans, il vit aux crochets de sa mère, qui fait des ménages. S’il emménage dans un logement trouvé par Gaël, il retourne vite chez sa mère, « incapable de vivre tout seul ». En 1998, il encadre des missions humanitaires au Monténégro, en Bosnie, au Kosovo, en Albanie. Joël Le Tensorer, président de cette association d’aide aux Balkans, ne voit pas en Richard Durn une tête brûlée ou border line, mais un « homme solide », préparant les convois avec « sérieux et énormément de rigueur ».
« Je n’ai rien vécu »
Mais là encore, Richard Durn encaisse un échec majeur qu’il souligne dans son journal intime : « Le 9 octobre 1999 a été une date importante dans ma vie de lâche et de crétin. Voyant que je n’ai pas été accepté dans l’école Bioforce pour devenir logisticien humanitaire, que je n’avais ni logement ni petite amie (je n’avais pas fait l’amour depuis des années, ni pendant les grandes vacances), j’ai renoncé à la vie, j’ai baissé les bras. » Un ligament sectionné au genou l’angoisse au-delà du raisonnable. « Je ne veux pas finir comme un boiteux, comme un malade. Je suis de plus en plus déglingué physiquement », écrit-il en 2001. « Je n’ai jamais su me battre ni apprendre à m’aimer un peu. Je tends toujours des perches et des bâtons pour me faire flageller. J’en ai marre d’être le dépressif et le type qui fait pitié. J’en ai marre d’avoir dans la tête cette phrase qui revient perpétuellement : je n’ai pas vécu, je n’ai rien vécu à 30 ans. »
Il essaie de provoquer des « rencontres déterminantes » pour « sauver » sa peau. Milite à la section locale de la Ligue des droits de l’homme et avec les candidats de la liste des Verts « Réinventons Nanterre » aux municipales, mais il a l’impression qu’« on [le] prend pour un con ». La mairie de Nanterre lui propose un logement social qu’il refuse, selon Gaël, à cause « des murs moisis, des cafards ». « Ça l’énervait. Il disait : "Je fais des trucs pour ma ville, j’essaye de m’investir, et eux tout ce qu’ils trouvent pour m’aider, c’est un truc pourri où je finirai par me tuer, parce que de toute façon je ne peux pas vivre dedans." »
Il revient du sommet antimondialisation de Gênes en juillet 2001, plus écœuré que jamais par les « politiques », qui « nous manipulent et s’en mettent plein les poches », persuadé que « la seule solution, c’est la violence ». Claquemuré dans sa chambre, le « bâtard » - selon ses mots - réclame encore à sa mère des renseignements sur son père inconnu. Comme en témoigne sa lettre à une amie, fin 2001, Richard Durn a dû attendre l’âge de 33 ans pour en savoir un peu plus : « Ma mère m’a enfin révélé la probabilité pour ma paternité. Il semblerait que ce fut un Algérien. Ma mère connaissait plusieurs hommes. La contraception n’était pas répandue. Je ne porte aucun jugement sur ma mère. Elle a toujours été courageuse et seule. Personne ne l’a jamais conseillée ni aidée. Seulement, les choses qu’elle m’a dites, c’est vraiment con qu’elle ne les ait pas dites plus tôt. J’aurais su d’où je venais. C’est peut-être important. » Il se sent « un mort-vivant », envahi par des « idées de carnage » et de suicide. « Je suis fou, je suis devenu un clochard », écrit-il encore dans son journal intime : « J’ai mal et je suis plein de haine, mais elle est refoulée. » Il n’a pas renouvelé son autorisation de détention d’armes fin 2000 mais les a gardées sans que nul ne s’en soucie.
« Apparatchik inamovible »
Le 26 mars 2002, Richard Durn écrit une dernière lettre à sa mère : « Maman, il y a longtemps que je devrais être mort. Je ne sais rien faire dans la vie, même pas mourir sans faire de mal. Maintenant, la lâcheté, c’est fini. Je dois crever au moins en me sentant libre et en prenant mon pied. C’est pour cela que je dois tuer des gens. Une fois dans ma vie, j’éprouverai un orgasme. »
Le soir, il part armé comme à la guerre à la mairie de Nanterre. Il expliquera aux enquêteurs qu’il a tiré « au hasard sans regarder la personne ni l’étiquette » politique des élus, sauf pour la maire communiste, Jacqueline Fraysse. « Je l’ai visée intentionnellement pour sa qualité de maire et comme incarnation d’un apparatchik inamovible, créant un système de clientélisme et représentant typique de la grande bourgeoisie rouge hypocrite. » En garde à vue, Durn dévide sa folie antisociale et termine le procès-verbal par ces mots : « Je veux mourir car je suis une chose, un déchet. » Le lendemain matin, Richard Durn a bondi « comme une fusée » à travers un vasistas pour chuter de quatre étages dans la cour du 36 quai des Orfèvres. Sans un cri.
PATRICIA TOURANCHEAU
Source : http://www.liberation.fr
A 1 h 11, le mercredi 27 mars 2002, un habitant de Nanterre ouvre le feu à la fin du conseil municipal. Richard Durn a hésité toute la soirée à se servir de ses armes : « Durant tout ce temps, je me suis demandé si j’allais passer à l’action ou pas. Dans les dernières minutes du conseil, j’ai compris que je ne pouvais plus reculer, c’était maintenant ou jamais », expliquera-t-il plus tard aux policiers. Il attend plus de cinq heures avant de dégainer un pistolet automatique Glock et puis un second : « J’ai commencé par viser la mairesse, Mme Fraysse, droit devant moi. J’ai agi comme un robot. Je n’avais pas défini d’ordre précis dans mon exécution, je voulais tuer le plus de personnes possible puis me tuer. » Il a tiré trente-huit balles en cinquante-cinq secondes, a abattu huit élus de sa ville et en a blessé quatorze autres.
Ceinturé puis désarmé par trois conseillers municipaux, Richard Durn, qui se réserve une balle de revolver, rate son suicide : « J’ai été maîtrisé. Ils m’ont pris mon Smith & Wesson dans la poche intérieure gauche. C’est à ce moment-là que j’ai crié : "Tuez-moi, tuez-moi !" » En vain. Le voilà neutralisé. Puis menotté par les officiers de la brigade criminelle qui le trouvent « terriblement excité ». A l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris, un médecin juge son état de santé mentale compatible avec une garde à vue. Au 36 quai des Orfèvres, bureau 414 de « la Crim’ », Richard Durn livre les clés de son mécanisme de désintégration sociale et de sa « folie destructrice ».
Né le 3 décembre 1968 à Nanterre de père inconnu et d’une mère slovène, Richard Durn a toujours buté sur le mystère de ses origines et le silence obstiné de sa mère. Stéfania, employée de la biscotterie Heudebert, puis chez Citroën, eut en 1968 « une relation sans amour » avec « un homme de passage » qu’elle a « enterré » dans « son jardin secret ». Enceinte et sans argent pour avorter, Stéfania sort de la maternité avec son bébé un vendredi 13 : « Je savais que ça me porterait malheur », pressent-elle. Elle a du mal à materner ce « petit garçon renfermé, timide, contemplatif et câlin », qui apprend pourtant bien à l’école. « On ne peut pas se forcer à aimer quelqu’un qu’on n’a pas voulu, dit Stéfania. Je l’ai aimé petit à petit quand il a commencé à grandir. » Adolescent, Richard Durn pose des questions sur son géniteur. Sa mère lui explique juste qu’il est un enfant non désiré, « un accident », qu’elle a été « obligée de le garder ». Il réclame un nom, une image : « Montre-moi quelque chose de lui. » Elle ne lâche rien. « Mais je n’avais pas de photo, rien , prétextera Stéfania. Richard le vivait comme un drame. »
Missions humanitaires
A 18 ans, le garçon consulte un psychiatre, qui lui prescrit des médicaments. En 1990, il avale soixante comprimés pour en finir. Deux ans plus tard, il récidive, atterrit à l’hôpital Sainte-Anne. S’ensuivent dix ans de suivi psychiatrique en pointillé et de missions humanitaires dans les pays en guerre : « Si je vais là-bas, dit-il à sa mère, c’est dans l’espoir qu’on me bute ou que je saute sur une mine. » Etudiant à l’université de Nanterre, il est surveillant dans un lycée des Hauts-de-Seine. Depuis 1988, ce pion rigide et taciturne surnommé « Robocop » séduit néanmoins un élève, Gaël K. Ce dernier le trouve « très cultivé et super-intéressant quand il parlait des conflits dans le monde ».Il devient son unique ami . En 1993, Richard Durn, qui parle quatre langues, accompagne un premier convoi en Bosnie et renoue avec ses racines dans les Balkans : « C’est la seule aventure de ma vie. » Il obtient sa licence d’histoire en 1995, suit une maîtrise de sciences politiques, prend sa carte au Parti socialiste.
En 1997, Durn se rend en Israël avec Gaël : « C’est l’une des rares fois où j’ai vu Richard épanoui, détendu, sans noirceur dans le regard. Il avait un visage d’enfant. » Après une semaine à l’auberge de jeunesse de Jérusalem, Durn veut se recueillir dans la colonie juive de Kyriat Arba sur la tombe de l’extrémiste sioniste Barush Goldstein qui a assassiné vingt-neuf Palestiniens en 1994. « Richard trouvait ça abject mais courageux qu’un type puisse aller dans une mosquée avec une arme et tirer », témoigne Gaël. De même, Durn se rend à la forteresse de Massada où, en 74 après Jésus-Christ, les résistants juifs encerclés par les Romains se sont suicidés plutôt que de se rendre. Sur place, Durn se met en rage pour une broutille et menace de mort son ami qui, terrorisé, rentre en France. « J’ai cru que tu allais me tuer », lui dira plus tard Gaël. Mais quand Richard dit de lui-même qu’il est « fou », son ami ne le croit pas.
De retour à Nanterre, Richard Durn prend des cours de théâtre, insiste « pour travailler des textes à caractère politique », selon son professeur qui lui propose de jouer le Baladin du monde occidental, de l’Irlandais John Millington Synge. Le rôle de Durn commence par ses mots : « Avant le jour où j’ai tué mon père… » Depuis 1996, Durn s’entraîne en secret au tir, a un permis pour ses deux Glock et un Smith & Wesson. Il les trimbale dans un sac. Un jour de 1998, il exhibe une arme à feu face à la psychiatre du bureau d’aide psychologique universitaire de Paris : « Je pourrais tuer des gens. » Le médecin informe la Ddass des Hauts-de-Seine, qui classe l’affaire. Pas de placement d’office ni d’obligation de soins. Richard Durn prend de temps en temps des antidépresseurs, du Prozac, et continue à s’enfoncer. « Il se dévalorisait continuellement , "je ne vaux rien", "tout ce que je fais tombe à l’eau, ça marche pas", "à quoi me servent mes diplômes ?", « qu’est-ce que je vais devenir ?" » rapporte Gaël.
Trop âgé pour rester pion, Durn devient chômeur, et bientôt RMiste. Célibataire à presque 30 ans, il vit aux crochets de sa mère, qui fait des ménages. S’il emménage dans un logement trouvé par Gaël, il retourne vite chez sa mère, « incapable de vivre tout seul ». En 1998, il encadre des missions humanitaires au Monténégro, en Bosnie, au Kosovo, en Albanie. Joël Le Tensorer, président de cette association d’aide aux Balkans, ne voit pas en Richard Durn une tête brûlée ou border line, mais un « homme solide », préparant les convois avec « sérieux et énormément de rigueur ».
« Je n’ai rien vécu »
Mais là encore, Richard Durn encaisse un échec majeur qu’il souligne dans son journal intime : « Le 9 octobre 1999 a été une date importante dans ma vie de lâche et de crétin. Voyant que je n’ai pas été accepté dans l’école Bioforce pour devenir logisticien humanitaire, que je n’avais ni logement ni petite amie (je n’avais pas fait l’amour depuis des années, ni pendant les grandes vacances), j’ai renoncé à la vie, j’ai baissé les bras. » Un ligament sectionné au genou l’angoisse au-delà du raisonnable. « Je ne veux pas finir comme un boiteux, comme un malade. Je suis de plus en plus déglingué physiquement », écrit-il en 2001. « Je n’ai jamais su me battre ni apprendre à m’aimer un peu. Je tends toujours des perches et des bâtons pour me faire flageller. J’en ai marre d’être le dépressif et le type qui fait pitié. J’en ai marre d’avoir dans la tête cette phrase qui revient perpétuellement : je n’ai pas vécu, je n’ai rien vécu à 30 ans. »
Il essaie de provoquer des « rencontres déterminantes » pour « sauver » sa peau. Milite à la section locale de la Ligue des droits de l’homme et avec les candidats de la liste des Verts « Réinventons Nanterre » aux municipales, mais il a l’impression qu’« on [le] prend pour un con ». La mairie de Nanterre lui propose un logement social qu’il refuse, selon Gaël, à cause « des murs moisis, des cafards ». « Ça l’énervait. Il disait : "Je fais des trucs pour ma ville, j’essaye de m’investir, et eux tout ce qu’ils trouvent pour m’aider, c’est un truc pourri où je finirai par me tuer, parce que de toute façon je ne peux pas vivre dedans." »
Il revient du sommet antimondialisation de Gênes en juillet 2001, plus écœuré que jamais par les « politiques », qui « nous manipulent et s’en mettent plein les poches », persuadé que « la seule solution, c’est la violence ». Claquemuré dans sa chambre, le « bâtard » - selon ses mots - réclame encore à sa mère des renseignements sur son père inconnu. Comme en témoigne sa lettre à une amie, fin 2001, Richard Durn a dû attendre l’âge de 33 ans pour en savoir un peu plus : « Ma mère m’a enfin révélé la probabilité pour ma paternité. Il semblerait que ce fut un Algérien. Ma mère connaissait plusieurs hommes. La contraception n’était pas répandue. Je ne porte aucun jugement sur ma mère. Elle a toujours été courageuse et seule. Personne ne l’a jamais conseillée ni aidée. Seulement, les choses qu’elle m’a dites, c’est vraiment con qu’elle ne les ait pas dites plus tôt. J’aurais su d’où je venais. C’est peut-être important. » Il se sent « un mort-vivant », envahi par des « idées de carnage » et de suicide. « Je suis fou, je suis devenu un clochard », écrit-il encore dans son journal intime : « J’ai mal et je suis plein de haine, mais elle est refoulée. » Il n’a pas renouvelé son autorisation de détention d’armes fin 2000 mais les a gardées sans que nul ne s’en soucie.
« Apparatchik inamovible »
Le 26 mars 2002, Richard Durn écrit une dernière lettre à sa mère : « Maman, il y a longtemps que je devrais être mort. Je ne sais rien faire dans la vie, même pas mourir sans faire de mal. Maintenant, la lâcheté, c’est fini. Je dois crever au moins en me sentant libre et en prenant mon pied. C’est pour cela que je dois tuer des gens. Une fois dans ma vie, j’éprouverai un orgasme. »
Le soir, il part armé comme à la guerre à la mairie de Nanterre. Il expliquera aux enquêteurs qu’il a tiré « au hasard sans regarder la personne ni l’étiquette » politique des élus, sauf pour la maire communiste, Jacqueline Fraysse. « Je l’ai visée intentionnellement pour sa qualité de maire et comme incarnation d’un apparatchik inamovible, créant un système de clientélisme et représentant typique de la grande bourgeoisie rouge hypocrite. » En garde à vue, Durn dévide sa folie antisociale et termine le procès-verbal par ces mots : « Je veux mourir car je suis une chose, un déchet. » Le lendemain matin, Richard Durn a bondi « comme une fusée » à travers un vasistas pour chuter de quatre étages dans la cour du 36 quai des Orfèvres. Sans un cri.
PATRICIA TOURANCHEAU
Source : http://www.liberation.fr