Pourquoi Hitler a-t-il ouvert des camps de concentration ? – Partie II
Hitler, nous l’avons vu, arriva au pouvoir alors que la république parlementaire était déjà morte. Ajoutons à cela que, depuis des mois, le monde politique admettait la nécessité d’une réforme constitutionnelle. En octobre 1932, un projet avait filtré dans la presse, dont l’objectif était de centraliser le pouvoir. Ce projet, tout le monde en admettait la nécessité urgente… Il n’y avait là rien de nouveau. Le 10 août 1930, le Berliner Börsencourier avait publié un texte posthume du député démocrate Ludwig Haas. Intitulé : « Le Reich au-dessus de tout ». L’auteur exprimait la nécessité d’une centralisation destinée à renforcer la puissance du gouvernement du Reich. On lisait :
Ce fut le malheur de l’histoire de l’Allemagne et la faute des dynasties allemandes que le pouvoir central ait été combattu et affaibli pendant des siècles. Novembre 1918 aurait dû s’appliquer à supprimer à tout jamais, dans l’État allemand, des constructions dues aux hasards des dynasties, à leurs héritages et mariages, aux guerres civiles et alliances avec l’étranger. On ne l’a pas fait. On ne l’a même pas essayé. Aussi, est-ce plus que jamais notre devoir de mettre le Reich au-dessus de tout, de garantir sa souveraineté, de renforcer sa puissance. Nous ne voulons pas de centralisation bureaucratique […] Nous voulons reconnaître la haute valeur du passé de l’Allemagne. Dans un sentiment de fierté justifiée pour notre passé, nous ne voulons pas oublier notre histoire. Mais la monarchie a échoué. La République nous a sauvés de très graves dangers. Le 11 août doit reprendre ce fait évident que servir la République c’est servir la patrie.
Bien qu’à son tour la République ait échoué, l’enseignement restait valable : il fallait à Allemagne un pouvoir centralisé, incarné par le Reich.
Hitler ne fait que prendre les mesures nécessaires
C’est pour atteindre ces objectifs qu’Hitler mit en pratique son slogan : « Ein Reich, Ein Volk, Ein Führer ». Contre le morcellement de l’Allemagne : un seul empire ; contre la division intestine, un seul peuple ; contre l’instabilité politique, un seul chef. Loin d’être une fantaisie nationale-socialiste par goût de la dictature, ce slogan était au contraire dicté par les nécessités de l’heure. Le 6 décembre 1932, le quotidien Le Matin avait qualifié Hitler de « rouage dans l’Allemagne qui s’éveille ». Il avait raison et je dirai même plus : Hitler allait incarner les aspirations d’un peuple décidé à ne pas mourir… Revenant d’un voyage en Allemagne, l’abbé Lambert écrivit :
[…] si Hitler commande en chef, ce n’est pas parce qu’il a imposé de manière artificielle son autorité sur l’Allemagne. Hitler, en fait, est l’émanation même du peuple allemand. Il incarne son intelligence, sa conscience, sa volonté. À ce titre, il n’est pas à proprement parler un dictateur, puisqu’il représente l’intelligence, la volonté, la conscience, non pas seulement de 10 000 individus, mais de millions d’êtres qu’il dirige, non seulement selon son inspiration à lui, mais selon leur inspiration [1].
C’est clair : le Führer n’avait pas eu besoin d’établir une dictature ; il avait simplement dû neutraliser les éléments extrémistes qui, en face, auraient pu être source de désordre. Telle fut l’origine des camps de concentration, une origine qu’il faut replacer dans son contexte particulier.
Lumière sur l’origine des camps de concentration
À Nuremberg, un avocat rappela qu’en Allemagne, les camps furent créés le plus légalement du monde [2]. En effet, l’article 48 de la Constitution permettait au président de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris le recours à la force armée, si la sécurité publique et l’ordre se révélaient menacés dans une région du pays. Parmi les mesures possibles figurait bien entendu l’internement préventif des citoyens jugés dangereux. En 1933, il s’agissait principalement des meneurs communistes. Pourquoi ? Parce que le communisme était une idéologie « révolutionnaire », dont l’objectif était de prendre le pouvoir par la force, voire la violence brutale.
a) La stratégie communiste de l’insurrection
Le 1er septembre 1928 à Moscou, les représentants de l’Internationale communiste avaient adopté un programme d’action [3]. La stratégie était très claire ; les auteurs écrivaient : « Le parti doit subordonner ces revendications et ces mots d’ordre à son but révolutionnaire qui est la prise du pouvoir et le renversement de la société capitaliste-bourgeoise. » Et plus loin :
Lorsqu’une poussée révolutionnaire a lieu, lorsque les classes dirigeantes sont désorganisées, les masses en état d’effervescence révolutionnaire, les couches sociales intermédiaires disposées dans leurs hésitations à se joindre au prolétariat, lorsque les masses sont prêtes au combat et aux sacrifices, le parti du prolétariat a pour but de les mener directement à l’assaut de l’État bourgeois. Il le fait par la propagande de mots d’ordre transitoires de plus en plus accentués […] À ces actions de masses se rapportent les grèves, les grèves et les manifestations combinées, les grèves combinées avec les manifestations armées, enfin la grève générale liée à l’insurrection armée contre le pouvoir d’État de la bourgeoisie.
Ce dernier mot d’ordre, gardons-le en mémoire, car il est capital pour comprendre la suite.
b) Une stratégie tentée en 1918 dans de nombreux pays européens
Cette stratégie communiste n’était pas nouvelle. L’objectif était de profiter des crises de la société dite « bourgeoise » pour prendre le pouvoir par la force. Or, une grande crise survint en 1918, avec la fin de la guerre et l’effondrement des régimes au sein des pays vaincus. Le 10 novembre, la presse annonça l’abdication du Kaiser allemand, Guillaume II. Trois jours plus tard, elle rapporta celle de l’empereur d’Autriche-Hongrie, Charles Ier. Ces trois pays allaient donc devenir des proies de choix pour les communistes. Dès le 13 novembre 1918, la révolution en Allemagne fut annoncée : le drapeau rouge flottait sur Berlin. Rapidement, le mouvement révolutionnaire s’étendit, avec son cortège de violence et de victimes. Il en vint même à déborder hors d’Allemagne. Certains sonnèrent alors l’alarme face au péril bolchevique qui, telle une pieuvre, pénétrait partout dans cette Europe meurtrie par la guerre [4]. Le 6 avril, aux USA, le Star Press Sun titra : « Le bolchevisme se répand. L’Allemagne, l’Autriche, la Pologne et les nouvelles nations tombent aux mains des Soviets ». Parmi les cas les plus flagrants figurait celui de la Hongrie où, quelques semaines plus tôt, les communistes avaient pris le pouvoir. À leur tête se trouvait le révolutionnaire juif Bela Kun. Pour des raisons diverses, pas toutes imputables aux révolutionnaires, l’expérience hongroise se solda par un échec. Mais le règne des bolcheviks fut sanglant. La « terreur rouge » frappa le pays pendant plusieurs semaines. Les chefs furent accusés de multiples meurtres et tortures [5]. L’expérience hongroise marqua fortement les esprits. En 1920, une brochure-témoignage parut en Allemagne et en Autriche. Elle dénonçait les horreurs bolcheviques en Hongrie et sonnait le tocsin face à la menace rouge [6].
c) 1918-1923 : le bolchevisme à l’assaut de l’Allemagne
Dès la signature de l’armistice, profitant de la déstabilisation de la société, les rouges passèrent à l’action, à Berlin puis dans toute l’Allemagne. Début janvier 1919, des « scènes de révolution » survinrent dans la capitale. Violences, barricades, échanges de tirs. Début mars, des troubles similaires furent signalés en Bavière, plus précisément à Munich.
À Berlin, l’armée intervint pour mater la révolte spartakiste. Face à des révolutionnaires armés et organisés, il lui fallut recourir aux bombardements. Mais à Munich, les communistes prirent le dessus : début avril, la république des Soviets fut proclamée. Très rapidement, le pouvoir bolchevique se mit en place, employant des méthodes révolutionnaires, dont la prise d’otages. Là encore, l’armée dut intervenir. Le 1er mai, elle pénétra dans Munich. Deux jours de combats acharnés et sanglants furent nécessaires pour venir à bout des rouges. Ceux-ci n’hésitèrent pas à fusiller des otages. Les horreurs de Bavière marquèrent fortement les esprits. Mais ce n’était pas fini.
Après une courte accalmie, en mars 1920, la fièvre communiste remonta soudainement. Dans toute l’Allemagne, des émeutes survinrent, provoquant la mort de centaines de personnes. Conformément à leur programme, les révolutionnaires tentaient de renverser le pouvoir et de prendre le contrôle du pays par la force. Tout comme en Hongrie, on parla de « terreur rouge » qui frappait les zones touchées par l’agitation [7]. Neuf mois plus tard, des perquisitions révélèrent que les bolcheviques disposaient d’une véritable armée clandestine, bien organisée et équipée [8].
En mars 1921, nouvel accès de fièvre avec son cortège de grèves, de troubles et d’attentats à la bombe, plus particulièrement dans les régions industrielles. Selon leur habitude, les communistes firent régner la terreur là où ils eurent le dessus. Et à nouveau, l’armée dut intervenir car les communistes étaient suffisamment armés pour tenir tête aux seules forces de Police. En mai 1923, dans la Ruhr, deux millions de mineurs communistes entrèrent en révolte. Recourant à la violence pour empêcher les non-grévistes de rejoindre leur poste, des heurts les opposèrent aux forces de l’ordre, qui firent 7 morts et 93 blessés [9]. La ville de Dortmund fut plus particulièrement touchée par la terreur rouge. Trois mois plus tard, nouvelle alerte sérieuse avec cette tentative de soulèvement dans la région d’Aix-la-Chapelle : de nombreuses attaques furent à déplorer, au cours desquelles des policiers tombèrent sous les balles des insurgés.
Avec ces nouvelles tentatives de soulèvement avortées, l’année 1923 marqua la défaite du front rouge en Allemagne. Mais marqués par les atrocités bolcheviques, les esprits allaient redouter bien longtemps les méthodes communistes. Cette réalité, il ne faut pas l’oublier.
d) 1923-1933 : le front rouge contre le front brun
Car c’est pour répondre à la terreur communiste qu’Hitler créa les sections d’assaut. Dans Mein Kampf, il raconte comment, au début des années 20, les marxistes avaient tenté de saboter par la violence les réunions du Parti national-socialiste, comme ils l’avaient fait avec les autres partis d’ailleurs. Sachant que les nationalistes ne pourraient compter sur les autorités et la police de la république, Hitler forma sa propre police chargée de protéger les réunions. D’abord embryonnaires, les sections d’assaut grossirent rapidement et furent organisées en centuries, elles-mêmes subdivisées en groupes [10].
Pourquoi un tel déploiement de force ? Parce que malgré sa défaite de 1923, le front rouge n’avait pas abandonné la partie : les organisations communistes ou affiliées regroupaient encore près d’un million et demi de membres actifs. La crise économique allait faire grossir ses rangs et ses ambitions.
Au début des années 30, en Allemagne, le front rouge comptait six millions de sympathisants dont les plus extrêmes étaient bien résolus à imposer, dès que possible, la dictature du prolétariat. Sans surprise, les nationaux-socialistes étaient leurs ennemis principaux. Fin 1931, la presse hitlérienne annonça que, durant ces dernières années, 200 militants avaient été tués, dont plus de la moitié par des communistes. Le seul mois d’octobre avait compté 14 victimes. En guise d’illustration de la terreur politique, l’organe citait les dossiers déposés au bureau d’assistance par les familles de militants tués ou blessés : 360 en 1928, 880 en 1929, 2 501 en 1930 et depuis le 1er janvier 1931 : 4 618 [11]. L’année 1932 fut également meurtrière. En voici quelques exemples :
janvier : 70 nationaux-socialistes qui revenaient d’une réunion furent attaqués par 200 individus. Dix-sept furent blessés et un tué.
mars : un militant national-socialiste fut mortellement blessé lors d’une rixe.
avril : en période électorale, deux nationaux-socialistes furent tués : l’un par balle à Berlin, l’autre à Hamborn, poignardé par des communistes qui avaient attaqué un rassemblement.
juin : un autre hitlérien fut tué par des membres de la Reichbanner lors d’une bagarre.
juillet : de violents heurts opposèrent les uns aux autres, occasionnant de nombreux dégâts et nécessitant l’intervention de la police pour disperser les militants. À Altona notamment, une banlieue de Hambourg, des communistes embusqués sur un toit et aux fenêtres d’un immeuble tirèrent sur un cortège électoral national-socialiste. Une véritable bataille rangée s’ensuivit, au cours de laquelle douze personnes furent tuées et cinquante blessées, dont six femmes et deux policiers. L’enquête permit de découvrir que le chef communiste local était un agent soviétique venu en Allemagne sous une fausse identité.
septembre 1932, dans le métro de Berlin, un national-socialiste en uniforme qui circulait tranquillement fut roué de coups et tué par une bande de communistes [12].
Le 20 janvier 1933, un responsable des SA tomba sous des balles tirées par des communistes [13]. Deux jours plus tard, lors d’une grande manifestation anti-gouvernementale, 80 000 communistes défilèrent au cri de « mort aux fascistes » [14]. De 1923 au mois de janvier 1933, 200 militants nationaux-socialistes avaient été tués par les communistes. En quatre ans, le nombre de morts violentes était passé de 9 à 84 [15]. Les menées communistes échouèrent tout d’abord parce que la division régnait dans les rangs. Les rouges allemands étaient fractionnés en tendance diverses et bien souvent ennemies. Mais c’est là qu’intervient un élément capital.
(À suivre)