Serait-il naïf, imprudent, ou alors poursuivi par une obscure malédiction ? Loïk Le Floch-Prigent (photo ci-contre), bientôt 69 ans, ex-PDG du groupe Elf condamné pour diverses malversations, et reconverti comme consultant dans le pétrole depuis plusieurs années, a été arrêté samedi en Côte d’Ivoire, et aussitôt extradé vers le Togo.
Le Floch devait être entendu ce lundi par le doyen des juges d’instruction de Lomé, dans une sombre affaire « d’arnaque à la nigériane ».
L’enquête a démarré à la suite d’une plainte d’un homme d’affaires émirati, Abbas El Youssef (photo ci-dessous), qui affirme avoir été victime en 2008 d’une escroquerie portant sur un montant de 48 millions de dollars (environ 36,5 millions d’euros). Ce richissime homme d’affaires, originaire d’Abu Dhabi, n’arrive pas à récupérer sa mise de fonds.
Un ancien ministre togolais de l’administration territoriale, Pascal Bodjona (photo ci-dessous), vient d’être arrêté à son domicile puis inculpé, le 12 septembre à Lomé, dans le cadre de cette même affaire. Par ailleurs, un homme d’affaires togolais, Bertin Sow Agba, a également été inculpé.
Le plaignant émirati affirme que Loïk Le Floch-Prigent était son conseiller personnel à l’époque de l’escroquerie, en 2008.
Il assure également que c’est un homme d’affaires togolais, Bertin Sow Agba, qui aurait organisé un réseau pour lui soutirer de l’argent, en réussissant à lui faire croire que ses comparses et lui détenaient un magot provenant de feu le président ivoirien Robert Gueï, estimé à 275 millions de dollars, et bloqué sur un compte au Togo.
Selon RFI, l’arnaque aurait été montée dans un palace de Dubaï, avec un jeune homme et une femme se présentant à lui respectivement comme le fils et la veuve de feu Robert Gueï. Abbas El Youssef, ne connaissant pas l’Afrique, aurait alors fait appel à son conseiller Loïk Le Floch-Prigent et s’en serait remis à lui. C’est du moins ce qu’il prétend.
Dépêché à Lomé, Le Floch aurait rencontré Bertin Sow Agba, puis serait revenu confirmer à Abass El Youssef que le magot existait bien, et que des personnalités togolaises pourraient l’aider à le récupérer.
Pour ce faire, Abass El Youssef affirme avoir déboursé 48 millions de dollars (soit 36 millions d’euros) et divers cadeaux offerts à des personnalités, dont l’ancien ministre togolais de l’Administration territoriale, Pascal Bodjona.
Que vient faire Loïk Le Floch-Prigent dans cette galère ? « Il n‘est absolument pas à l’origine de tout cela, il était même assez méfiant au départ », répond son avocat, Patrick Klugman, contacté ce lundi à Paris par Mediapart. « Il faut croire que la chose était suffisamment bien montée pour que plusieurs personnes soient abusées. » En outre, poursuit l’avocat, « le plaignant n’est pas né de la dernière pluie ».
Me Klugman explique, plus généralement, qu’il est « très difficile de mettre la limite entre le sérieux et le farfelu dans ce type d’affaires, cela fait partie de l’univers de ces contrats internationaux ».
Une intervention chirurgicale programmée mercredi
Venu à Abidjan pour dédicacer son dernier livre, Loïk Le Floch-Prigent se croyait à l’abri. Un mandat d’arrêt international avait été émis par le Togo en 2011, mais « on lui avait assuré de façon assez floue que la procédure était plus ou moins éteinte », explique son défenseur. Pour qui Le Floch est une victime collatérale « de problèmes internes à la politique togolaise, dès lors qu’un ancien membre du gouvernement togolais a été poursuivi dans cette affaire ».
Sur le fond du dossier, Patrick Klugman se veut rassurant. Il a toutefois dénoncé un « enlèvement » de son client, l’extradition n’ayant selon lui pas été effectuée de façon légale. Il compte maintenant, avec son confrère togolais Rustico Lawson-Bankou, obtenir la mise en liberté de Loïk Le Floch-Prigent, qui souffre d’une grave maladie de peau et « doit subir une importante intervention chirurgicale à Paris ».
Mediapart a pu consulter l’attestation médicale établie ce 17 septembre par un dermatologue parisien, et transmise à la justice togolaise. Le médecin signataire certifie que « M. Loïk Le Floch Prigeant (sic) doit être opéré le 19/09/2012 d’un carcinome cutané, dans un contexte de psoriasis traité par photothérapie. Le retard de l’intervention peut favoriser l’extension de la lésion », est-il précisé.
Avant sa chute retentissante au milieu des années 1990, Loïk Le Floch-Prigent avait connu une carrière atypique et météorique. Diplôme d’ingénieur en poche, il a dirigé le cabinet du ministre de l’industrie Pierre Dreyfus (1981-82). Surnommé « Pink Floch » en raison de ses amitiés socialistes, il est bombardé PDG de Rhône-Poulenc (1982-86), poste dont il est chassé par la droite. Il devient PDG d’Elf-Aquitaine après le retour de la gauche (1989-93), puis PDG de Gaz de France (1993-96), et enfin PDG de la SNCF (1995-96).
Ce dernier poste lui est offert alors que l’affaire Maurice Bidermann a déjà éclaté, et devient très vite l’affaire Elf-Aquitaine. Confié à la juge d’instruction Eva Joly, ensuite épaulée par Laurence Vichnievsky puis Renaud Van Ruymbeke, ce dossier gigogne va révéler un vaste système de corruption et de rétro-commissions, qui sert tout autant à financer les partis politiques qu’à engraisser des intermédiaires avides.
Sous couvert de défendre l’indépendance énergétique de la France, le système Elf-Aquitaine, créé par les gaullistes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a aussi servi à abriter des opérations de diplomatie parallèle et quelques coups des services secrets en Françafrique.
Le procès de l’affaire Elf, en novembre 2003 à Paris, a été exemplaire. Au passage, une des ramifications du dossier a provoqué la chute de Roland Dumas. Loïk Le Floch-Prigent, lui, a effectué trois séjours en prison, d’une durée totale de dix-huit mois.