Dans l’affaire de la tentative d’assassinat d’une coach, deux hommes liés à la DGSE sont passés aux aveux : un ancien policier du renseignement et un « frère Templier ». Selon un rapport de synthèse de la brigade criminelle, ils sont soupçonnés de huit autres crimes ou barbouzeries. Dont certaines impliquant des personnalités politiques. Les révélations de Marianne.
Un jeu de piste en forme de poupées russes. Les « missions » s’emboîtent. Sordides. Un assassinat. Deux autres tentatives. Il est aussi question d’un passage à tabac. Dans l’enquête sur le projet « d’élimination » d’une coach, mettant en cause des pieds nickelés de la DGSE, les policiers de la brigade criminelle vont de découvertes folles en découvertes folles. Un dossier déjà hors normes, sur fond de loge maçonnique et de services secrets… Deux personnages y jouent les premiers rôles. Leurs procès-verbaux de garde à vue sont édifiants.
Le premier est un flic à la retraite, ancien des services de renseignement. Daniel B. semble tout droit sorti d’un roman d’espionnage. Il évite le téléphone. Donne ses rendez-vous gare de Lyon ou porte Maillot, en tout cas toujours dans des hôtels ou des lieux publics. Chez lui, même son code de téléphone, 0007, ramène aux services secrets.
Et sa vie privée aussi à des parfums de série noire. Les policiers de la brigade criminelle ont découvert que depuis une vingtaine d’années, le commandant B. partageait son temps entre deux compagnes… qui chacune ignorait l’existence de l’autre. Même en dehors du travail, Daniel B. devait jongler entre deux rôles. D’un côté l’homme marié, père de cinq enfants, et de l’autre, l’amant fidèle d’une femme qui pensait être la seule compagne de ce vieux flic toujours très mystérieux et occupé. « B. se confiait peu », ont conclu les policiers de la brigade criminelle après avoir entendu les deux compagnes qui sont l’une et l’autre tombées des nues…
Une société de conseils référencée auprès des Nations unies
Né en 1954 à Agen, Daniel B. entre dans la police en 1975, comme inspecteur. D’abord aux renseignements généraux, puis à la DST, le service de lutte contre l’URSS, puis à la DCRI quand les services de renseignement extérieurs ont fusionné. Au sein de ces services, il travaille dans les unités en charge de la lutte contre les « groupes extrémistes » et dans des unités en charge des « politiques » et des affaires financières.
À la retraite à partir de 2009, le commandant B. crée alors sa propre société de conseils, DB ressources. Depuis 2014, signe que l’ancien flic a aussi de l’entregent, DB ressources est référencée « expert en intelligence économique » pour le continent africain auprès des Nations unies. Ce qui lui permet, selon ses dires, d’effectuer quelques missions discrètes « de recueil de renseignement » pour le compte de la DGSE, les services secrets français.
Autre facette du personnage, Daniel B. est depuis une vingtaine d’années membre de la franc-maçonnerie au sein de la loge Athanor au grade de maître au « 1er degré de maîtrise ». C’est aussi via la maçonnerie qu’il dit communiquer avec la DGSE. « Par quel protocole ? » le questionnent les enquêteurs. « Un frère travaille à la DGSE et c’est à lui que je répercute les informations qu’il répercute à qui de droit », leur répond le commandant B… désignant comme « le frère de la DGSE » un homme en poste au Kosovo.
Une relation d’emprise
Le second personnage de cette affaire hors norme est lui aussi franc-maçon. Frédéric V., ex-journaliste et communicant, est un ancien vénérable de la loge Athanor et il se présente comme « Templier ». Lui aussi œuvre aujourd’hui dans la sécurité et l’intelligence économique. Il navigue entre la France et Genève. « Un personnage extrêmement charismatique » dit de lui le commandant B. se décrivant même « sous son emprise ». « Mon très cher frère, je ne t’ai pas encore payé, mais cela va arriver. C’est ce genre de discours qu’il tient et qui me fait finir par accepter la mission suivante », a confié Daniel B. sur procès-verbal en évoquant ses relations avec « Maître V. »… et leur dizaine d’opérations communes, tout aussi édifiantes qu’illégales.
Au point de départ de cette enquête, il y a celle ayant visé Marie-Hélène Dini, une coach de Créteil en juillet dernier. L’histoire est connue. Le 24 juillet, deux hommes, dont le comportement paraît suspect à un voisin, sont arrêtés par une équipe du commissariat de Créteil en repérage devant le domicile de leur « cible ». Il s’agit de deux militaires affectés à la surveillance d’une base de la DGSE et qui se prétendent en « mission » officielle. Ils croient, disent-ils (l’enquête devra déterminer s’ils sont de bonne foi), que Marie-Hélène Dini est un agent du Mossad, les services secrets israéliens. Au-dessus des deux militaires, les enquêteurs remontent sur un opérationnel, un agent de sécurité du nom de Sébastien L., mais pendant plusieurs mois, la brigade criminelle bute sur le nom du commanditaire.
Le commandant B. passe à table
Jusqu’à ce 21 janvier dernier où les limiers de la « Crime » placent en garde à vue Daniel B., dont le nom est simplement apparu sur le téléphone de la compagne de Sébastien L. La prudence de sioux du commandant lui a probablement permis ces quelques mois de répit. Lors de la perquisition à son domicile, Daniel B. tente de jeter par son balcon 4 800 euros en liquide, mais à part ce comportement suspect, les enquêteurs n’ont, de prime abord, pas grand-chose contre lui. Sébastien L. ne l’a jamais mis en cause.
Mais en garde à vue, le commandant B. va se mettre à table. Et dans les grandes largeurs ! Non seulement il admet avoir recruté l’équipe opérationnelle, mais il désigne « Frédéric V. » comme étant la personne qui lui a commandé en fait deux « contrats » contre Marie-Hélène Dini. Dans un premier temps, à l’automne 2019, il a eu pour mission de « la bousculer » pour lui voler son ordinateur. Puis il s’est agi est « d’aller plus loin ». « Qu’entendait Frédéric V. par "aller plus loin" ? » interrogent les policiers. « Les intentions de Frédéric étaient claires, réplique froidement Daniel B. Il fallait que cette personne soit exécutée mais que ça serait bien que cela ressemble à un accident ». « Vis-à-vis de votre passé dans la police, servir d’intermédiaire en vue de l’exécution d’une personne… Cela ne vous choque pas ? » lui font remarquer les enquêteurs. « Je suis mal à l’aise avec cela mais sur le moment… Ça pouvait m’amener de super contrats… Et Frédéric m’a dit que cette personne était gênante », se défend l’ancien policier des RG.
Un troisième homme
Dans la foulée de cette première garde à vue, Frédéric V. est arrêté à son tour, mais il ignore encore tout de ce qu’a déclaré l’ex-commandant. Pendant de longues heures, il « chique », ce qui dans le jargon policier désigne quelqu’un qui nie jusqu’aux évidences. Puis « frère V. » se ravise. « Nous vous écoutons », lui disent les enquêteurs, l’invitant à commencer son récit. Il va durer plusieurs heures.
« Je ne suis pas le commanditaire de cette affaire, car les demandes ont été faites par Jean-Luc B. », prévient Frédéric V. Entre en scène, un troisième homme, Jean-Luc B., un autre maçon de la loge Athanor, et qui est à la tête d’une école de coaching concurrente de celle de Marie-Hélène Dini. Frédéric V. raconte avoir été d’abord mandaté, à l’automne 2019, pour « qu’il se renseigne » sur Marie-Hélène Dini. Frédéric V. dit jouer les intermédiaires avec l’équipe opérationnelle du commandant B. Il est d’abord convenu du vol à l’arraché de l’ordinateur de la coach. « B. a dit OK », raconte Frédéric V qui se fait payer, via une fausse facture, 10 000 euros… La machine est en route.
Une « neutralisation » à 70 000 euros
En avril 2020, les deux maçons Frédéric et Jean-Luc se retrouvent dans le bureau de ce dernier, au sein de sa société Linkup. Jean-Luc B. se lance dans un long monologue contre Marie-Hélène Dini, qu’il accuse de vouloir « tuer le coaching »… « Il était fin énervé, raconte Frédéric. Et il m’a demandé ce que je pouvais faire ». Frédéric V. se tourne à nouveau vers le commandant B.. « J’ai demandé à Daniel ce qu’il pouvait faire de plus. Il a fini par me dire que l’on pouvait la neutraliser. » La phrase donne froid dans le dos. À la question des policiers de la « crime », Frédéric V. « imagine bien » ce que neutraliser veut dire.
Fin avril, début mai 2020, il retourne voir Jean-Luc B. qui lui dit qu’il a « besoin de réfléchir ». Puis ce dernier lui demande « combien cela coûterait ». Le commandant B. assure qu’il a « une équipe pour le faire pour 50 000 euros », raconte « frère Frédéric ». Avec les frais et la TVA, il réclame 70 000 euros pour l’opération, « car sinon je savais que j’allais y laisser de l’argent », précise-t-il. Le « deal » a lieu dans une galerie marchande lyonnaise où les deux « frères » Frédéric et Jean-Luc déjeunent. Ce dernier dit : « OK pour 70 000 euros ». « Il m’a précisé qu’il fallait que ça soit fait avant l’été sans me dire pourquoi », précise Frédéric V. aux policiers. Ceux-ci veulent en avoir le cœur net : « Nous sommes d’accord que la finalité de cette entreprise était l’assassinat de Madame Dini ? » « Moi, je l’ai compris comme ça », admet le « frère Templier », décrivant une forme d’engrenage de la part de Jean-Luc B. contre une rivale en affaire. « Il s’est monté la tête et il était persuadé qu’elle était à la manœuvre sur tout ». Édifiant.
Iceberg criminel
Placé à son tour en garde à vue, Jean-Luc B. commence par tout nier en bloc. Il se dit d’abord « sans voix » face à ces accusations. « Je n’ai jamais missionné V. », se défend-il. « Je n’ai jamais demandé à ce qu’on agresse et assassine… Je récuse tout ce qui est dit, c’est ridicule ». Puis, lui aussi, finit par se raviser. « Oui, j’ai accepté la proposition faite par V. de "neutralisation" de Marie-Hélène Dini. » Les policiers lui demandent ce qu’il entend par « intenter à ses jours » : « Sa mort ? », questionnent les enquêteurs. « Ben, oui voilà », leur répond sèchement Jean-Luc B. en clôturant ses aveux.
Entre le commandant B., le « frère V » et le « commanditaire Jean-Luc B. », il est question « d’emprise » mutuelle de « relations illogiques », et « irrationnelles ». « Je suis dans une extrême confusion mentale », confesse Jean-Luc B. au terme de sa déposition, présentant ses « excuses » et réclamant une pause pour pouvoir répondre par la suite plus « sereinement ». Les policiers ne sont pas au bout de leurs surprises. Le projet d’assassinat de Marie-Hélène Dini n’est que la face immergée d’un iceberg criminel. Ce qui va suivre dépasse l’entendement…
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L’introduction du Parisien sur cette incroyable affaire laisse à désirer :
« Deux hommes, armés, ont été interpellés devant chez elle, alors qu’ils se préparaient à la tuer. Agents de la DGSE, la direction générale de la sécurité extérieure, ils croyaient agir dans le cadre d’une mission ultra secrète pour l’État français. »