Le 14 janvier 2020, Valeurs Actuelles a interrogé Olivia Sarton sur la prise en charge à 100% de la PMA par l’Assurance maladie.
Valeurs actuelles : L’association Juristes pour l’Enfance a annoncé avoir saisi la Cour des comptes au sujet de la prise en charge à 100 % des actes d’assistance médicale à la procréation (AMP) par l’Assurance maladie. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Olivia Sarton : Notre association Juristes pour l’Enfance a en effet adressé un courrier à la Cour des comptes le 12 décembre 2019 pour lui demander de se saisir de la question de l’emploi des fonds publics dans le régime dérogatoire de remboursement de l’AMP et de la légitimité d’un tel usage de ces fonds. Tous ne le savent pas, mais la prise en charge de l’AMP constitue une exception au droit commun de notre système de protection sociale. En France, le principe est la participation de l’assuré à ses dépenses de santé. L’assurance maladie prend en charge une quote-part des soins, définie par ce qu’on appelle le ticket modérateur. Le ticket modérateur, c’est-à-dire ce qui reste à la charge des assurés sociaux s’applique sur tous les frais de santé remboursables : consultation chez le médecin, analyse de biologie médicale, examen de radiologie, achat de médicaments prescrits, etc…
À titre d’exception, il est prévu une prise en charge des soins à 100 %. Elle est réservée aux médicaments reconnus irremplaçables et particulièrement coûteux, ou encore conférée à certaines prestations ou selon certaines caractéristiques du bénéficiaire, ce qui concerne principalement les affections dites « affections de longue durée ». Parmi les autres cas de prise en charge à 100 %, figurent le diagnostic et le traitement de la stérilité, c’est-à-dire tous les actes, médicaments et soins afférents à la PMA, y compris ceux qui ne sont habituellement pris en charge pour les malades qu’avec application du ticket modérateur. À titre d’exemple, un médicament prescrit dans le cadre d’un parcours de PMA sera pris en charge à 100 % par l’assurance maladie alors que le même médicament prescrit à une femme enceinte dans les 5 premiers mois de la grossesse, sera soumis au ticket modérateur.
Pourquoi estimez-vous que cette prise en charge à 100 % est contestable ?
La prise en charge à 100 % doit normalement respecter des critères de hiérarchisation des besoins de santé, d’équité et d’efficience. Ce n’est pas le cas pour l’AMP. Dans le projet de loi de bioéthique en cours d’examen devant le Sénat, l’AMP prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie est ouverte à tous sans condition d’infertilité, c’est-à-dire sans nécessité thérapeutique. Le critère de la gravité de la maladie et de ses conséquences en termes de dégradation de l’état de santé ou d’espérance de vie est donc mis de côté. Dans le même temps, le déficit de l’Assurance maladie conduit à exclure ou à limiter la prise en charge de soins ou médicaments pourtant primordiaux pour la qualité de vie des patients : déremboursement régulier de médicaments, hausse récurrente du ticket modérateur (fixé à 20 % par l’ordonnance du 19 octobre 1945, il n’a cessé de croître depuis (30% pour les consultations médicales, 40% pour les soins infirmiers, etc…)), retrait de certaines maladies de la liste des affections longue durée pour mettre fin à leur prise en charge à 100 %. Au-delà de la question de la prise en charge, le manque de moyens se retrouve partout : secteurs d’urgence médicale, de psychiatrie, de neurologie, les hôpitaux publics en général. Les services de réanimation pédiatrique sont obligés de fermer de plus en plus de lits…
Que représente le poids de l’AMP dans le budget de l’Assurance maladie ?
L’AMP représente déjà aujourd’hui une part non négligeable dans le budget de l’Assurance maladie : dans son rapport publié en octobre 2019 sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, la Cour des comptes a souligné « l’effort financier significatif consacré à l’activité de PMA par l’Assurance maladie ». Selon la Cour, en 2016 le coût global de l’AMP pour l’Assurance maladie s’est élevé à 295 M€, soit un coût moyen de 7 088 € pour la conception d’un enfant par insémination artificielle, et 13 849 € pour celle résultant d’une fécondation in vitro. Ce sont des coûts de conception, qui ne prennent pas en compte les coûts liés à la grossesse elle-même et à la naissance. Le calcul opéré par la Cour est minoré car il ne tient compte que des dépenses « médicales » c’est-à-dire séjours hospitaliers, consultations, actes cliniques et actes de biologie. Or, le coût des indemnités journalières versées aux patients en arrêt de travail dans le but de réaliser les différents actes nécessaires à la PMA devrait être réintégré.
Depuis 2016, le budget de l’AMP n’a cessé d’augmenter et avec le projet de loi de bioéthique, nul n’est besoin d’être grand prophète pour prévoir qu’il va s’envoler : augmentation du nombre de PMA réalisées avec de nouvelles demandes formées par des femmes célibataires, des couples de femmes et des couples homme/femme ne souffrant pas d’infertilité ; nécessité de soutenir l’activité insuffisante de don de gamètes des centres clinico-biologiques (soutien déjà annoncé par le gouvernement lors de son audition en décembre 2019 devant la Commission spéciale du Sénat) ; incitation à l’autoconservation des gamètes défendue par des acteurs financiers qui y ont intérêt, ce qui va amplifier le recours à la PMA.
Quels sont ces acteurs financiers que vous évoquez ?
L’enjeu de l’ouverture de la PMA à tous sans nécessité médicale, ne se situe pas avant tout comme on pourrait le croire sur le terrain idéologique ou celui de la revendication de droits. C’est en réalité essentiellement un enjeu financier de très grande envergure, pour des investisseurs rêvant de mettre la main sur ce nouveau marché du vivant qui se profile devant eux, avec des promesses de gains fabuleux. Le marché de l’AMP attire investisseurs privés et fonds d’investissement. Aux États-Unis, ce marché est évalué à plusieurs milliards de dollars. En Europe, financiers et fonds d’investissement se sont lancés dans la course à l’acquisition de parts de marché qui se chiffrent également en milliards d’euros. En France, environ 50 % des actes d’AMP sont déjà pratiqués dans des cliniques privées à but lucratif. Dans près d’un tiers des départements pratiquant des FIV, ce sont 100 % des actes d’AMP qui sont pratiqués par des cliniques privées à but lucratif. Bon nombre de ces cliniques font l’objet de rachat par des fonds d’investissement étrangers qui ont un projet avant tout financier et une logique de rentabilité. Pour optimiser leur investissement, ils vont chercher à augmenter le chiffre d’affaires des cliniques.
Or, le secteur de la PMA constitue un secteur dynamique que les investisseurs ont intérêt à développer puisqu’il permet de facturer des actes récurrents assurant des revenus réguliers bénéficiaires dont la solvabilité est assurée par l’État français. La particularité en France du régime d’Assurance maladie et de la prise en charge à 100 % des actes de PMA, fait que ces bénéfices vont provenir pour l’essentiel de financement public et, dans les cliniques privées détenus par des fonds d’investissement, ils vont être captés par ces fonds sous forme de dividendes ou d’abondement. On l’a dit, ces investisseurs ont intérêt à doper la demande. C’est le but caché derrière la prétendue « demande sociétale » invoquée pour justifier le projet de loi de bioéthique. Mais la conséquence est que la prise en charge à 100 % de la PMA va permettre à des fonds d’investissement ou à d’autres actionnaires privés de réaliser des plus-values de plus en plus conséquentes sur des actes pratiqués sans indication thérapeutique et entièrement financés par les cotisations sociales collectées. Est-ce là la vocation de l’Assurance maladie ?
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Aux États-Unis, PMA rime avec argent, business et trafic :