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Qui étaient les Illuminés de Bavière ? – Entretien avec Sébastien Jean

Propos recueillis par Monika Berchvok pour Rivarol

Rivarol : Qui étaient les Illuminés de Bavière ?

Sébastien Jean : La société secrète des Illuminés de Bavière a vu le jour, comme l’indique son nom, en Allemagne, à la fin du XVIIIe siècle. Composée essentiellement d’étudiants, de notables et d’intellectuels, mais également de membres de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie, cette confrérie se faisait passer pour une société de savants prônant l’éducation pour tous et l’universalisme… mais derrière cette sensiblerie humaniste se cachait un ordre élitiste rigoureusement structuré, qui se donnait entre autres buts la destruction des autels et des trônes. Une perspective historique simpliste nous porterait à résumer les choses ainsi : les Illuminés de Bavière étaient une force progressiste luttant contre un ordre ancien et une franc-maçonnerie conservatrice.

 

Quelles sont les origines occultistes de ce groupe ? Les Illuminés étaient-ils en lien avec la franc-maçonnerie européenne ?

Si l’on veut approcher les origines de cette société, il faut aller chercher dans les écrits des auteurs de l’Antiquité et ce qui nous est parvenu des cultes à mystères de la même période (les Mystères d’Éleusis, pratiqués autrefois par les Grecs, étaient portés au pinacle par Adam Weishaupt, chef et créateur de l’ordre des Illuminés de Bavière), et dans certaines valeurs infantilisantes des Lumières, certainement pas dans la magie, l’alchimie ou le satanisme. Si Weishaupt évoque « de petits et de grands mystères », ce ne sont là que des appellations emphatiques et euphémiques pour les hauts grades de son ordre. Weishaupt ne montrait aucun intérêt pour l’occultisme.

Les Illuminés de Bavière n’étaient ni un groupe d’occultistes ni une confrérie de chrétiens hermétisants. Les écrits qui nous sont parvenus démontrent que cette société était in fine une force d’attaque purement athée et matérialiste. C’est même ce qui la différenciait des groupes occultes qui lui étaient contemporains, et c’est ce qui faisait sa force. Weishaupt était un pragmatique. Pour lui, la franc-maçonnerie, avec sa liturgie, ses symboles et ses recherches occultes, piétinait, perdait son temps. Elle devait travailler à des desseins réalisables, se donner les moyens financiers et guerriers d’imposer un ordre des choses nouveau. Il est important de comprendre qu’une certaine franc-maçonnerie, peu dangereuse, était tolérée par le pouvoir royal et qu’une partie de la noblesse en faisait partie. Les postes de certains illuminés dans la société civile, et les grades qu’ils occupaient dans la franc-maçonnerie le démontrent.

Les Illuminés de Bavière ont noué en Allemagne des liens très forts, via certains membres, avec la Loge Saint-Théodore du Bon conseil (Marius, qui tenait la caisse de l’ordre, en était par exemple issu) et la Stricte Observance templière (Adam Weishaupt a été initié à son Rite maçonnique). La Loge Ernest au Compas resta fidèle à l’ordre des illuminés après son interdiction. Trois grades des Illuminés de Bavière étaient maçonniques, donc reconnus par la franc-maçonnerie allemande, qui servait de pépinière de recrutement (afin d’attirer des hommes prêts à embrasser les « mystères » de Weishaupt), ou de voie de garage (pour les éléments les moins actifs ou pouvant à terme représenter un danger).

Les Illuminés de Bavière avaient des loges dans le Palatinat, le Tyrol, en Souabe, en Franconie, dans toutes les grandes villes d’Allemagne ; mais ils en avaient aussi en Suisses, en Autriche, en Pologne, etc. Ils ont aussi et surtout influencé les Français du convent des Philalètes, ainsi que la très importante Loge des Amis réunis, qui eurent un rôle déterminant durant la Révolution française.

 

Votre présentation de la personnalité du fondateur de l’ordre, Adam Weishaupt, montre le cynisme et l’esprit calculateur de l’individu. Comment décrire ce personnage et son parcours ?

Adam Weishaupt, dit Spartacus, a perdu son père très tôt. C’est son parrain, curateur de l’université d’Ingolstadt, qui lui donna accès à certains livres. Certains écrits étaient à l’époque interdits par les jésuites, qui dirigeaient l’université où travaillerait plus tard Adam Weishaupt. Weishaupt était un homme brillant, dévoré par l’ambition. Il détestait la religion, en particulier l’ordre des jésuites, à qui il devait pourtant son éducation. Fasciné par la franc-maçonnerie, aspirant à une meilleure place dans la société, Weishaupt entra en contact avec les loges maçonniques de Nuremberg et de Munich… mais si l’accueil fut chaleureux, les frais d’admission étaient beaucoup trop importants pour sa maigre bourse. Weishaupt s’inspira alors des sociétés estudiantines qui fleurissaient dans les universités protestantes pour former son propre groupe, au départ composé d’élèves proches et dévoués.

Adam Weishaupt était un beau parleur, un chicaneur. Il savait inspirer l’admiration et la crainte, mais son mauvais caractère et sa vanité intellectuelle lui coûtaient parfois des appuis importants. Son génie reposait surtout dans sa compréhension de la notion de secret et sa maîtrise des moyens de soumettre ceux que le secret enchaîne. Adam Weishaupt avait une très haute opinion de lui-même et entendait bien prendre le contrôle de l’élite de son temps. Son ordre n’aurait certainement pas connu une telle ascension au sein de la franc-maçonnerie et de l’aristocratie sans l’aide de disciples aux têtes bien faites, travaillant à des postes clés et aux relations nombreuses. Notons enfin que si Adam Weishaupt, déterminé et dévoué à sa cause, jurait dans ses lettres qu’il n’abandonnerait jamais « son affaire » – dût-il pour cela perdre la vie ! –, il fuira dans le duché de Saxe-Gotha dès l’édit d’interdiction promulgué.

Un homme comme Weishaupt avait compris l’importance du double langage : parler de liberté totale et d’égalité, notions qui se contredisent ; vendre une illumination, un moyen d’arriver à un stade supérieur de l’humanité où l’homme s’autodirige, mais qui doit avant cela obéir aveuglément à certains principes… des notions qui donnèrent à Weishaupt une forte autorité, bien que transitoire… Ces contradictions contrôlées ont depuis été exploitées et valorisées par notre personnel politique : le catéchisme télévisuel, l’universalisme, l’interventionnisme, la destruction de la famille, de la Foi, de la Nation, en somme les bornes du discours de l’actuelle bien-pensance !

 

Quelles étaient ses motivations ? Pourquoi cette haine pour le catholicisme ?

La motivation de Weishaupt était avant tout la perspective de diriger des hommes, de créer de toutes pièces une élite prête à suivre des valeurs nouvelles, à même de servir le but qu’il voulait atteindre : saper les autorités spirituelles et temporelles, s’emparer du pouvoir, sans oublier de créer les conditions de la conservation de ce même pouvoir, un pouvoir total. Nous sommes donc bien loin du partage éclairé, démocratique, des pouvoirs et de l’autorité, ou encore de l’idéal rousseauiste d’un homme dans la lumière, à même de s’autodiriger et de gérer raisonnablement sa vie, entraînant mécaniquement une société de paix, d’équilibre et de bon ordre. Les jésuites, le premier ennemi des Illuminés, étaient les maîtres de l’université où travaillait Weishaupt. La bulle papale de 1773 censée avoir dissous leur ordre ne pouvait évidemment empêcher ces hommes de conduire les affaires d’une institution qu’ils dirigeaient depuis presque un siècle ! Avec pas moins de 23 000 membres, les jésuites étaient la première force catholique en Allemagne… prendre le contrôle de ce pays revenait en d’autres termes à écraser cette force, ou tout au moins à la délégitimer, afin de mieux l’écarter des postes importants.

 

Comment les Illuminés réussirent-ils à s’infiltrer dans les élites germaniques ?

L’ordre des Illuminés de Bavière connut des débuts laborieux, mais l’arrivée dans leurs rangs de Xavier von Zwack (Caton), jeune commis au ministère des Affaires étrangères qui prendra les rênes des campagnes de recrutement, et du baron Knigge (Philon), membre de la Stricte observance templière qui perfectionna la structuration de l’ordre des Illuminés et lui donna ses entrées dans la franc-maçonnerie, facilitera grandement les choses.

Pour Weishaupt, il fallait infiltrer la franc-maçonnerie dans la seule perspective de la supplanter.

 

Quel fut le rôle réel de cette secte dans la subversion de l’autorité traditionnelle en Allemagne ?

Weishaupt et ses affidés étaient bien décidés à se débarrasser des souverains par la force. Mais pour que l’ordre fût en mesure d’agir, il lui aurait fallu un contexte favorable, un monarque frileux et indécis comme Louis XVI, par exemple. Le gouvernement bavarois a pris des mesures rapides et efficaces. Il s’est montré intraitable dès que l’ordre sembla représenter un danger. Il n’a pas laissé Weishaupt prendre les rênes des réseaux financiers et de l’armée.

En 1785, au moment de son interdiction, les Illuminés de Bavière comptaient dans leurs rangs des hommes influents, très haut placés, et bien décidés à mettre à exécution un plan nettement formulé. Les conséquences de la célébrité de l’ordre auraient pu s’avérer funestes.

Vis-à-vis de l’autorité traditionnelle, l’ordre des Illuminés de Bavière publiait des pasquilles moquant les puissants, imprimait et distribuait des livres interdits, dangereux pour l’ordre en place. Il faut conditionner l’esprit des adeptes et l’opinion publique avant de pouvoir espérer s’en servir comme bélier…

Des surveillances, des enquêtes et des révélations relatives au meurtre par empoisonnement de l’héritier de Charles II Auguste de Palatinat-Deux-Ponts jetèrent une certaine lumière sur les expédients de la secte. Une lettre d’ordres de l’Électeur de Bavière nous apprend « combien est nuisible et dangereuse pour l’État et la religion la secte des Illuminés, si répandue dans nos États et au dehors ». Les Illuminés furent bannis de Bavière et tout membre actif de l’Ordre de Weishaupt encourait la peine de mort, quel que fût son titre, son patronyme ou les circonstances. Les sympathisants voyaient la confiscation de leurs biens et subissaient le bannissement.

 

Comment l’Ordre fut-il combattu par les autorités et l’Église ? Comment expliquer la survie de sa doctrine ?

La doctrine des Illuminés de Bavière a survécu car elle synthétisait un esprit du temps, et disposait de ce que les autres entités occultes n’échafaudaient que difficilement, que ce soit par omission ou par peur : un plan nettement formulé. Une importante série de mesures nous donne les preuves de ce qu’ont entrepris les autorités pour contrer la subversion qui se préparait… Un an avant l’interdiction des sociétés secrètes en Bavière, Weishaupt sent le danger approcher. Il demande alors par courrier à son disciple Caton de proposer au Prince électeur le protectorat de l’Association des Loges éclectiques ! Au mois d’août de l’année suivante, le secret s’évente. Les Rose-Croix calomnient l’Ordre des Illuminés, et des documents de la communauté sont exposés à des membres du gouvernement. L’affaire est reconnue dangereuse pour l’État. Les sociétés secrètes, par une ordonnance qui inquiète, sont subitement interdites en Bavière.

Neuf années après la création de l’ordre, le 2 mars 1785 exactement, le gouvernement bavarois promulgue un édit interdisant les rassemblements de l’ordre et ses activités, et pour faire bonne mesure, interdit du même coup toutes les loges maçonniques ! Les Illuminés de Bavière seront définitivement dissous par le gouvernement l’année suivante. La découverte de précieuses archives chez le baron allemand Franz Xaver von Zwack ne laisse plus l’ombre d’un doute : des mesures plus contraignantes s’imposent.

Les Documents originaux de la secte des Illuminés furent imprimés et envoyés aux souverains d’Europe, sans visiblement les apeurer. Le projet illuministe était visiblement trop abracadabrant pour être pris au sérieux. Ce manque de clairvoyance n’empêcha pas le gouvernement de Bavière d’arrêter plusieurs membres de la secte. Weishaupt, dont la tête avait été mise à prix, reçut la protection du duc de Saxe-Gotha, l’un de ses adeptes.

À partir de l’année 1790, il n’était plus question d’« Ordre des Illuminés ». Malheureusement pour les adeptes de l’illuminisme, le 4 novembre de la même année, un Édit interdisait aux membres du personnel de l’État d’appartenir à une quelconque société secrète. Une seconde interdiction datée du 5 mars 1804 devait définitivement mettre un terme à l’illuminisme tel qu’on l’avait connu.

 

Quel fut son rôle dans l’émergence des idées des révolutionnaires en Europe ? Existe-t-il des « illuminés » français ?

Renvoyons nos lecteurs aux Illuminés d’Avignon, fondés en 1784 par l’alchimiste Dom Pernety. Ils peuvent être qualifiés d’« illuminés français ». Mais je préfère inviter les Français à porter leur regard sur le célèbre Mirabeau, alias l’Orateur du peuple (pour l’Éducation nationale) ou Léonidas (pour les Illuminés de Bavière). L’homme, devenu membre de la secte bavaroise en 1786, a été initié aux secrets de Weishaupt, ce qui implique qu’il connaissait le caractère séditieux et infiniment violent de l’entreprise. Mirabeau se rendit trois fois dans la capitale allemande entre 1786 et 1787, sous la houlette d’un illuminé nommé Lucien Nicolaï. Mirabeau, qui conseillait secrètement le roi contre quelques livres d’or tout en se piquant de représenter « le peuple », fut réellement le promoteur de l’illuminisme en France, et faisait partie de la loge martiniste des Philalèthes, citée plus haut. Avons-nous besoin d’en dire plus pour démontrer l’influence et le rôle des Illuminés de Bavière dans ce carnage et cet honteux pillage que fut la Révolution française ?

 

Vous saluez le travail d’Henry Coston et d’Emmanuel Ratier. Que devez-vous à ces deux auteurs ?

Nous devons à Henry Coston l’ouvrage intitulé La Conjuration des Illuminés, publié en 1979, qui nous livre une traduction des documents saisis chez Caton-Zwack, documents que j’ai attentivement épluchés. Emmanuel Ratier m’a livré une liste d’ouvrages de référence, et m’a donné entre autres conseils de m’intéresser au Convent des Philalètes. Ses conseils ont été très précieux pour la préparation de mon ouvrage. Malheureusement, l’homme rendait son dernier souffle au moment où je me préparais à lui soumettre mon manuscrit…

 

La figure de l’Illuminati est devenue un classique des romans pseudo-ésotériques et de la contre-culture américaine. Comment expliquer cette fascination ?

Le mythe de l’Illuminati se rencontre dans les essais de David Icke ou les fictions de Dan Brown, par exemple. Je sais que certaines personnes croient que des reptiliens, des extraterrestres, ou tout au moins une élite sataniste homogène dirigent le monde. Pour moi, une réalité préexiste à tout cela. Avant que le mythe de l’Illuminati naisse dans l’esprit d’un auteur ou prenne place dans le cerveau d’un « complotiste » – mettons ici de côté les conjectures historiques et l’héritage de Weishaupt –, ce mythe prend place dans le réel. C’est à la fois la fascination et le rejet vis-à-vis d’une élite politique hors-sol, dévorée par l’ambition, en tous points étrangère à la population qu’elle est censée représenter, qui donne naissance à des fantasmes, et partant à une contreculture. C’est parce que des hommes politiques et des huiles prospèrent en dehors des réalités, et se mettent au-dessus des lois que certaines personnes se mettent à délirer. Quand des jeunes disent de bonne foi qu’ils croient aux Illuminati, ils expriment la plupart du temps un rejet et une fascination vis-à-vis d’une élite politique qui nous donne tous les jours les preuves d’ententes occultes. C’est la dichotomie entre la réalité vécue par le peuple et le cocktail « promesses électorales/discours politique » qui creuse la distance entre une population acculturée et ses représentants. Pour moi, la manifestation actuelle du mythe vient de là : le cynisme d’une élite néolibérale qui montre un visage toujours plus monstrueux. Visage monstrueux que la télévision et le théâtre politique ont de plus en plus de mal à grimer en super-héros de l’humanité.

Dans cette figure de l’Illuminati née à la fois de l’occultisme et de l’entregent, il y a deux choses : tout d’abord l’homme politique, soit l’élite conjoncturelle, transitoire ; un homme au statut de star médiatique, pareil à un bien de consommation télévisuel, qui n’a pas pour vocation de prendre des décisions sur le long terme pour le bien du pays, mais de faire de l’argent et d’assurer un certain ordre. Cet homme de l’élite conjoncturelle incarne le Système, ou tout au moins son acteur modèle. Il est après tout censé représenter la volonté nationale via le sacro-saint suffrage universel. En grand défenseur du catéchisme télévisuel servi à la masse, il vient divertir, et valider certains scénarios qui la plupart du temps ne résolvent en rien les difficultés économiques et sociales des « vrais gens ». Derrière cette élite conjoncturelle, il y a le pouvoir structurel, celui de la ploutocratie bien installée, quelle que soit la tendance du régime en place. Cette élite regroupe des personnalités diverses : intellectuels, économistes, financiers, technocrates, des gens qui ne sont pas démocratiquement élus, mais qui ont une influence directe et déterminante sur les affaires nationales. Car si une élite politique conjoncturelle est payée pour valider le catéchisme télévisuel servi à la masse, c’est bien qu’une autre instance, supérieure, compose ce même catéchisme, a les moyens de contraindre un personnel médiatico-politique, et impose de ce fait les bornes du discours que les politiciens veillent à appliquer et à faire respecter. Ce pouvoir structurel, plus ou moins occulte, est suivi, écouté. En d’autres termes, il soumet et commande. Ces personnalités riches et influentes suscitent la fascination et le rejet au gré des scandales financiers, écologiques et sanitaires. Elles représentent une figure un peu surréelle, hors du commun, qui donne nécessairement naissance à des mythes. N’oublions pas que nous sommes en présence d’une population constamment divertie, infantilisée, nourrie de fictions, et à qui il arrive de fictionnaliser une réalité qu’elle comprend mal ou qu’elle accepte difficilement. La réalité vécue est parfois peu supportable, et on en voit les conséquences : alcoolisme, surmédication, drogues, fuite en avant dans le virtuel, la consommation et le divertissement low cost, etc. On voit que les gens ont de plus en plus de mal à supporter la réalité telle qu’il leur faudrait la vivre. Pour se venir en aide, nous l’avons tout vécu à moment ou à un autre, à un niveau ou à un autre, l’homme moderne édulcore, fictionnalise son entourage et ses échanges. Le mythe de l’Illuminati est le résultat de tout cela : une fictionalisaiton de la figure du politicien, de l’oligarque, de l’huile, du conseiller spécial.

Cette fascination/rejet est du même ordre que celle éprouvée par le public américain visà-vis des tueurs en série : un phénomène d’attraction-répulsion exacerbé, qui dope un lien au départ factice, lointain. La pellicule qui sépare la réalité des modèles fictionnels distillés par les films, les séries et les romans est parfois très fine, et cette tendance déforme parfois la réalité vécue.

La figure de l’Illuminati est née outre-Atlantique et n’est qu’une pure illusion. Pour moi, la culture américaine pose une barrière entre les Français (ce qu’ils sont, ce qu’ils veulent) et la réalité.

Existe-t-il des reptiliens venus de l’espace pour diriger le monde : oui ! dans les séries américaines…

Existe-t-il des monstres prêts à tout pour conserver le pouvoir, globaliser le contrôle des populations et in fine diriger le monde : oui ! nos élites néolibérales dégénérées…

Qu’un jeune croit aux Illuminati, je peux l’excuser. Qu’un journaliste l’accuse de complotisme et se moque de lui pour cela, alors que ce même journaliste passe son temps à désinformer la jeunesse, passe encore. Mais que l’on s’extasie devant un « conseiller spécial » qui affirme en prime time qu’il serait bénéfique qu’un gouvernement mondial soit établi à Jérusalem, cela me dérange. Des personnalités influentes accusent aujourd’hui notre jeunesse de conspirationnisme tout en lançant d’inquiétantes assertions, aussi sérieuses que délirantes.

 

Comment jugez-vous la « mouvance conspirationniste » sur Internet ?

Tout dépend de ce que vous entendez par « mouvance conspirationniste ». Si nous parlons des personnes qui font l’effort de se réinformer, et d’utiliser la perspective historique pour mieux comprendre le théâtre politique de la jungle qu’est devenu notre pays, je salue l’effort. Si vous parlez de certains jeunes qui, par maladresse, laissent parler leurs frustrations et leurs peurs, ou se réfugie dans des croyances idiotes, je ne peux que déplorer la complaisance et le cynisme des médias qui trouve là l’occasion de se moquer du peuple qu’il a pris le temps d’acculturer.

Je pense que la majorité des gens savent que de tout temps, les sociétés humaines ont été pétries par des complots et des montages que l’on ne comprend que trop tard. Les grands scandales des XXe et XXIe siècles le démontrent, même si tout est fait pour que nous ayons la mémoire courte. Pour moi, l’essentialisme, les simplifications, voire la paranoïa, viennent des médias. Sans l’influence néfaste des médias, et avec un peu de volonté et de culture générale, les gens sont parfaitement en mesure de garder la tête froide et de reconnaître avec discernement le rôle que jouent les oligarques dans nos sociétés, et leur responsabilité dans les grands bouleversements que nos pays connaissent.

Les jeunes savent que les élites ne vivent pas dans la même réalité qu’eux. Ils savent que des oligarques disposent des moyens de modifier profondément la société, les modes, les cultures, l’avenir en somme. Les jeunes qui « croient aux Illuminati » ne sont pas si idiots que ça : encore une fois, quand on montre du doigt la « mouvance conspirationniste » dans ce qu’elle a de plus risible, on confond cause et conséquence. C’est en réaction au cynisme de ces élites qui rabâchent des valeurs contradictoires que les gens assimilent ces mêmes élites à un groupe de monstres aux ambitions planétaires. Les hommes politiques d’aujourd’hui sont le pur produit du matérialisme athée de Weishaupt, qui était lui-même le produit des Lumières et de la montée en puissance d’une haute bourgeoisie, immensément riche, mais écartée des postes importants, donc avide de pouvoir.

Les bien-pensants demandent à la « mouvance conspirationniste qui croie aux Illuminati » de s’aveugler sur une réalité qui doit forcément être considérée comme normale, acceptable. Cependant, beaucoup de gens ne considèrent pas que l’état des choses, à notre époque, peut ou doit être regardé comme « normal ». Internet permet d’exprimer ce ras-le-bol. Pourquoi Internet est-il un terrain favorable ? Il n’est pas un média comme la télévision, devant laquelle la personne est coupée de ses quatre membres et avale passivement un prêt-à-penser. Internet permet à n’importe qui d’être pleinement actif, et créateur de contenu ; et c’est une bonne chose. Je ne juge pas la « mouvance conspirationniste » dangereuse. S’il y a radicalisation, je pense plutôt qu’elle a pour terreau la propagande d’État. Tout ceci est finalement un jeu de dupe où ceux qui contrôlent les limites du langage et de la légalité veulent faire taire toute réflexion et toute contestation. Il faut à tout prix aider les gens à identifier les fauteurs de guerres et de crises économiques qui mènent la danse depuis deux cents ans ; mais cela ne peut pas aller sans simplifications et errements ici et là. Le conspirationnisme délirant et contre-productif est une goutte d’eau dans l’Océan de la prise de conscience générale.

 

Voyez-vous des descendants des Illuminés dans les sociétés secrètes et les groupes d’influences d’aujourd’hui ?

Tout à fait. J’y vois un mélange de l’illuminisme à la Weishaupt et de la Haskala, elle aussi née en Allemagne.

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