Le geste popularisé par Dieudonné est certes douteux mais pas clairement antisémite, estime la justice genevoise.
La « quenelle », ce geste controversé, popularisé par l’humoriste-polémiste français Dieudonné, était hier au menu du Tribunal de police. Sur le banc des accusés, un jeune homme costaud aux cheveux ras. « Pourquoi avez-vous fait ce geste de « quenelle » devant la synagogue ? » lui demande la présidente du tribunal. L’idée, explique-t-il, lui a traversé l’esprit alors qu’il passait justement devant cette synagogue du boulevard Georges-Favon. Et d’ajouter : « Ça ne signifiait rien de spécial. Juste un geste de soutien à Dieudonné. »
Il n’aime pas BHL
Il a 20 ans. Après avoir achevé sa scolarité obligatoire dans le canton de Vaud, il a travaillé dans une ferme, puis a entrepris une formation de forestier-bûcheron. Une condamnation pour menaces figure sur son casier judiciaire. Après l’épisode de la « quenelle » en 2013, et la photo (ci-dessus) qui a circulé sur les réseaux sociaux, il a été condamné avec ses deux copains à des jours-amende avec sursis pour discrimination raciale. Ses amis ne se sont pas opposés à la condamnation ; du coup, elle est devenue définitive.
Mais lui, il a décidé de la contester. La juge poursuit son interrogatoire : « Est-ce que vous savez que certains considèrent ce geste comme un salut nazi inversé ? » Oui, il le sait. Il rit un peu. « Pourquoi riez-vous ? » Réponse : « Je trouve ça absurde. » Ce n’est pas lui qui a publié la photo sulfureuse sur les réseaux sociaux. Mais il savait que, en cas de publication, elle ferait du bruit. C’est pourquoi il a caché son visage. « Vous avez manifesté contre la venue de Bernard-Henri Levy en Suisse, pourquoi ? » poursuit la juge. « Je n’aime pas trop ce personnage, ni sa politique. »
Le cadre est posé. Reste la question centrale : le geste est-il punissable ? Pour le procureur, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. Par cet acte, dans un endroit public, les trois garçons ont propagé une idéologie visant à rabaisser une religion. « Leur geste est de nature antisémite. Ils sont en tenue d’assaut ou de black block, visage masqué, bras tendu. Leur comportement vise la communauté juive dans son ensemble. Il n’y a aucune autre raison de se trouver ainsi devant une synagogue. » Si le magistrat admet qu’au départ la « quenelle » était un geste humoristique, un bras d’honneur contre le système, il estime que, par la suite, Dieudonné lui a donné une connotation clairement antisémite. Il considère que la faute du prévenu n’est pas légère, que sa prise de conscience est nulle. Son geste « gratuit et futile » mérite 90 jours-amende (à 30 francs le jour) avec sursis.
L’interprétation de la « quenelle » est controversée, souligne pour sa part Me Pascal Junod, avocat du prévenu. À ses yeux, c’est le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) qui l’a diabolisée et interprétée comme un salut nazi inversé et comme un geste de mépris absolu envers les victimes de la Shoah. Or, il y aurait plus de 100 000 photos de « quenelle » mises en ligne, note l’avocat. Tous des antisémites ? Il ajoute que lors des spectacles de Dieudonné à Genève, ce dernier effectue des « quenelles » sans être inquiété. Pourquoi son client le serait-il ?
À ses yeux, le geste du prévenu est « une anecdote, une plaisanterie de potache » qu’on monte en épingle. Pour qu’il y ait discrimination raciale, un élément de propagande est nécessaire. « Il faut viser à faire des émules, vouloir convertir des tiers à ses idées. » Ici rien de tel. Et de rappeler qu’un arrêt du Tribunal fédéral (TF) a annulé l’année dernière la condamnation d’un homme faisant le salut nazi sur la prairie du Grütli. Le TF avait estimé qu’il exprimait ses propres opinions sans tenter de les propager. Me Junod demande l’acquittement de son client.
« Un geste douteux »
La juge lui donne raison et prononce l’acquittement. Elle souligne que l’interprétation de la « quenelle » est controversée. « Ce n’est pas un geste antisémite en soi, contrairement au salut nazi. » Même s’il y a une polémique autour de ce geste, même s’il est « douteux », on ne peut pas dire qu’il vise clairement à rabaisser et à discriminer les juifs. De plus, le prévenu a dit qu’il ne l’a pas fait dans un but de propagande antisémite. En outre, comme dans le cas du salut hitlérien au Grütli, « il ne suffit pas que le geste soit perçu par des tiers, il faut vouloir les influencer ». Ici, ce n’est pas le cas. Le jeune homme sera acquitté et recevra en prime 3000 francs de l’État pour couvrir ses frais de procédure.
Source : tdg.ch