La langue française, lieu de notre rassemblement
L’identité québécoise est faite de beaucoup de choses. Elle tient de notre situation singulière en Amérique, d’une vision du monde qui nous vient de notre expérience de minoritaires et, en même temps, du sentiment de notre originalité. Elle est faite de ces valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons et de cette culture qui emprunte à la fois à l’Europe et à l’Amérique. Mais par-dessus tout, les Québécoises et Québécois de toutes origines ont en commun une langue qui est aujourd’hui le lieu de leur rassemblement.
Une histoire d’affirmation et d’ouverture
Notre peuple a vécu des changements rapides et profonds. D’hier à aujourd’hui, nous nous sommes reconnus sous quatre identités (française, canadienne, canadienne-française, puis québécoise) et nous avons vu se succéder plusieurs vagues d’immigration. Le Québec a changé, et il change encore.
En 1977, le gouvernement du Parti québécois adoptait la Charte de la langue française. Elle a soulevé de vigoureux débats, mais cette fameuse « loi 101 » a fini par faire un large consensus au sein du peuple québécois. Par exemple, le fait que la maîtrise du français des jeunes anglophones ait connu une importante progression reflète une évolution sociale significative.
À la même époque, nous avons pris partiellement le contrôle de notre immigration. Même si nous n’avons toujours pas la maîtrise de l’ensemble des leviers pour agir aussi librement que nous le souhaiterions, il nous est possible de sélectionner les travailleuses et travailleurs qui viennent s’installer sur notre territoire.
Il y a quarante ans à peine, la vaste majorité des personnes immigrantes envoyaient leurs enfants à l’école anglaise et s’intégraient tout naturellement à la communauté anglophone. Les progrès accomplis en matière d’intégration des immigrants à la communauté francophone sont énormes et nous pouvons en être fiers, même si beaucoup de travail reste à faire pour favoriser leur intégration en emploi et accroître la proportion de nouveaux arrivants qui s’installent à l’extérieur de la région de Montréal. Nous pouvons aujourd’hui ouvrir les bras de façon plus assurée à celles et ceux qui veulent bâtir le Québec avec nous.
Les plus jeunes générations, à Montréal surtout, ont côtoyé des enfants d’autres origines à l’école, et ceux-ci sont devenus leurs collègues de travail, leurs amis, voire leur famille. Ces jeunes francophones ont peu à peu voulu parler et écrire un meilleur anglais, sans y voir un renoncement de leur identité. C’est un fil conducteur de notre histoire : plus nous avons confiance en notre capacité, plus nous nous ouvrons à la diversité québécoise et planétaire.
Des progrès notables, mais insuffisants
Par ailleurs, du travail reste à accomplir. Bon nombre de nouveaux arrivants ont une connaissance du français. Certains parlent et écrivent un français exemplaire, mais d’autres ont une maîtrise relative du français, peut-être suffisante pour faire leur épicerie, mais pas pour exercer la profession d’ingénieur, enseigner ou soigner les gens, comme ils le faisaient souvent dans leur pays d’origine. À ces derniers, s’ajoutent aussi d’autres catégories d’immigrants, tels les réfugiés, qui connaissent rarement le français à leur arrivée au Québec. Par conséquent, même si notre immigration est de plus en plus francophone, les défis de francisation demeurent importants. Notre objectif reste clair cependant : préserver le caractère français du Québec et assurer une intégration des personnes immigrantes qui soit respectueuse de notre caractère distinct.
Un glissement du français
Ces derniers temps, les progrès se sont faits plus rares. On constate, surtout depuis une quinzaine d’années, un glissement du français sur le territoire québécois, particulièrement à Montréal. L’usage de l’anglais comme langue de travail reprend de la vigueur. L’exigence du bilinguisme devient de plus en plus la norme plutôt que l’exception. Les institutions et organismes relevant du gouvernement fédéral fonctionnent encore sans tenir compte des dispositions de la Charte de la langue française. Même les organismes publics relevant du gouvernement du Québec ont parfois relâché leur vigilance. La présence de nouveaux arrivants francophiles permet de ralentir la baisse du pourcentage de francophones sur l’île de Montréal, sans y mettre fin. Qu’il s’agisse de la langue de travail, du commerce ou de l’affichage, la situation de notre métropole est préoccupante.
Il est inquiétant de constater qu’un grand nombre de nouveaux arrivants francophones doivent suivre des cours d’anglais pour espérer trouver du travail. Nous leur avons pourtant affirmé, en les sélectionnant, que le français était la langue commune du Québec, et il nous faut bien reconnaître que cela n’est pas tout à fait exact. Nous sommes aujourd’hui retombés sur la pente de l’anglicisation de Montréal et même de ses banlieues. Nous en sommes arrivés, à Montréal, à un déséquilibre linguistique qui n’est pas acceptable. Et nous sommes de plus en plus nombreux au Québec à vouloir exercer notre droit de vivre et de travailler en français sans que cela soit possible. Ce « nous » inclut des Québécoises et Québécois de toutes origines.
La grande aventure du Québec français en est une de persévérance, de progrès, puis de piétinement. Au cours des prochains mois, il nous faut passer efficacement à l’action pour améliorer l’intégration des immigrants et donner un nouvel élan à la langue française au Québec.
De nombreuses avancées peuvent et doivent être faites dès maintenant pour atteindre nos objectifs les plus rassembleurs : faire du Québec un endroit où toutes et tous peuvent vivre, réussir et s’épanouir en français.
Voilà les faits et les idées qui m’inspirent et m’animent, ce matin, au moment même où je présente à mes collègues de l’Assemblée nationale le résultat du travail des deux derniers mois.
Diane De Courcy