La Banque mondiale, en 2017, a inventé un nouveau produit particulièrement bien rémunéré : les pandemic bonds. Le projet était de proposer un produit financier de type assurantiel à des prêteurs qui, sauf survenue d’une pandémie, se voyaient très bien rémunérés en plus de récupérer leur mise de départ. Destinés à pouvoir couvrir les frais d’une épidémie généralisée, les pandemic bonds sont donc un placement philanthropique. Mais pour qui ?
En effet, parvenue à lever 320 millions de dollars, la Banque mondiale a su séduire de nombreux investisseurs privés dont Amundi (groupe Crédit Agricole), Baillie Gifford, Stone Ridge Asset Managmement et autres organismes étonnamment caritatifs*. Il faut dire que la proposition était alléchante : sur la tranche A de 225 millions de dollars, les investisseurs ne peuvent perdre que 16,67 % de leur capital. Autant dire moins que ce qu’ils auront gagné en profit depuis l’émission des pandemic bonds ! Certes la tranche B est davantage risquée, avec une perte totale du capital mais à 11 % l’an, tout de même.
« Les pays qui ont besoin d’aide ne sont pas ceux qui reçoivent les fonds. Ce sont les investisseurs de Wall Street qui en profitent »
Felix Stein, chercheur à l’université de Cambridge, à Associated Press
Car, les pandemic bonds ont été élaborés pour ne jamais s’activer. En effet, pour que le paiement soit déclenché, il faut au moins 250 morts dans le pays d’origine de l’épidémie, mais aussi 20 décès dans un deuxième pays. Ainsi, l’épidémie d’Ebola, toujours en cours en République Démocratique du Congo, ayant pourtant coûté la vie à plus de 2200 personnes, ne verra aucun fonds se débloquer en raison des critères restrictifs énumérés plus haut.
Pour la Banque mondiale, si l’on veut attirer les investisseurs dans le mécanisme, il est nécessaire d’adjoindre des critères restrictifs et des taux d’intérêt élevés. Mais lorsqu’on découvre que les pandemic bonds pourraient finalement permettre de débloquer 132,5 millions de dollars alors que 96 millions de dollars d’intérêt ont déjà été versés aux investisseurs, et alors que la même Banque mondiale a déjà engagé 14 milliards de dollars pour lutter contre la pandémie du SARS-CoV-2 et envisage un futur engagement de 160 milliards, on pouffe !
Une fois encore il s’agit donc de financiariser tout ce qui est possible, y compris la santé et la mort. L’argent passe ainsi du public au privé, pour le plus grand bénéfice des investisseurs, puis, la crise arrivée, c’est le public qui passera à la caisse. La fameuse et éternelle privatisation des bénéfices et socialisation des pertes. La crise du coronavirus aura peut-être permis d’ouvrir certains yeux encore fermés jusque-là.
*Négociées de gré à gré, les obligations de pandémie ne sont pas cotées en bourse, il est donc impossible de connaître leur valeur actuelle, tout comme on ne peut pas savoir qui sont précisément les investisseurs impliqués. Mais leur valeur s’est de toute évidence effondrée, avance Arturo Bris : « S’ils étaient cotés sur des marchés publics, ces “pandemic bonds” de la Banque mondiale vaudraient probablement 10 % de leur valeur. » Source : Le Temps