À l’heure où le monde semble chercher un nouvel équilibre autour de puissances émergentes, la France dispose-t-elle encore d’une parole légitime et souveraine ?
Le 7 mars 1966, le Général de Gaulle adresse à son homologue américain, Lyndon Johnson, une courte lettre qui aura l’effet d’une bombe. Il y annonce le retrait de la France de l’OTAN :
« La France, écrit-il, considère que les changements accomplis ou en voie de l’être, depuis 1949 (…) ainsi que l’évolution de sa propre situation et de ses propres forces ne justifient plus (…) les dispositions d’ordre militaire prises après la conclusion de l’alliance. (…) La France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation habituelle qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements « intégrés » et de ne plus mettre de forces à la disposition de l’OTAN. (…) La France croit devoir (…) modifier la forme de notre alliance sans en altérer le fond ».
Dans sa brutalité, cette lettre est le fruit d’une évolution engagée de longue date par le Général. À y regarder de près, elle constitue un formidable condensé de sa politique étrangère, une politique certes pleine de pragmatisme, mais fondée sur la doctrine de l’indépendance qu’il affiche déjà le 21 février 1966, lors de cette désormais célèbre conférence de presse à Paris.
Au-delà de tous les arguments développés alors par le Général de Gaulle autour de l’évolution des enjeux stratégiques et militaires, il va surtout utiliser une formule qui à elle seule pourrait résumer une très grande partie de ce qu’est le Gaullisme et qui donne les contours de cette fameuse indépendance nationale :
« Enfin, la volonté qu’a la France de disposer d’elle-même, volonté sans laquelle elle cesserait bientôt de croire en son propre rôle et de pouvoir être utile aux autres, est incompatible avec une organisation de défense où elle se trouve subordonnée ».
Presque cinquante ans plus tard, que reste-t-il de la volonté de la France à disposer d’elle même ?
La réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN, même si elle a été accompagnée d’un certain nombre d’aménagements, est le meilleur indice du degré de perte de l’indépendance nationale contre laquelle de Gaulle luttait sans cesse, l’alignement de la France sur le bloc atlantique l’empêchant d’être maître de ses décisions et surtout de pouvoir tisser des liens privilégiés avec certaines puissances non alignées. C’est au prix de ce désengagement de l’OTAN et de prises de position autonomes que de Gaulle a pu faire de la France un interlocuteur singulier pour bon nombre de nations qui cherchaient à se défaire des cours pressants des deux blocs hégémoniques.
Depuis, le bloc de l’Est a implosé et certains non-alignés d’hier sont en passe de devenir les superpuissances sur lesquelles se construiront les nouveaux blocs de demain… et la vision du vieux Général prend soudain toute son importance. Nous autres, européens, savons bien désormais que les centres de gravité économique et stratégique ne se situeront plus sur notre continent et que de notre capacité à pouvoir tisser des relations fortes avec certaines puissances d’Amérique du Sud ou d’Asie, dépend la légitimité de notre démarche dans un monde où tout communique.
De la même manière, l’incapacité de la France à asseoir une politique offensive d’investissements productifs et modernes dans certains pays africains de notre ancien empire a laissé la place à certaines de ces nouvelles puissances soudainement expansionnistes et dont la Chine est le meilleur exemple.
Mais au-delà de cette malheureuse décision atlantiste, et de l’échec de la Françafrique, la France a perdu sa capacité à disposer d’elle-même sur bien d’autres terrains, à commencer par celui qui nous occupe et nous préoccupe au premier chef aujourd’hui, celui de la dette. Or, la capacité à disposer de soi-même commence par la capacité à garantir sa propre autonomie financière.
La dette française, d’ores et déjà détenue pour moitié par des investisseurs étrangers, intéresse de plus en plus certaines puissances orientales. La cession de tout ou partie de notre dette publique à des États souverains signifierait ni plus ni moins que l’abandon pur et simple d’une part de notre propre souveraineté.
Il est d’une impérieuse nécessité que la France trouve seule, par sa capacité à réduire ses dépenses, les moyens de ramener sa dette à un niveau acceptable. Il s’agit là, non pas d’une mesure économique, non pas d’une mesure financière et encore moins d’une mesure partisane, mais bien d’une mesure de préservation de ce qui nous reste d’indépendance.
L’Europe, loin de nous aliéner, est une des voies majeures qu’il nous faut prendre pour retrouver l’espace nécessaire à notre souveraineté, et ce, pour la raison simple que nous en sommes les fondateurs en même temps que les tenants. Mais là encore, force est de constater que noyés par la croissance trop rapide de l’hyperstructure européenne et du nombre de ses États membres, nous avons laissé flotter les rubans jusqu’à ce que nous perdions le contrôle de la machine.
Remettre la France au cœur de l’Europe et l’Europe au cœur du monde, voilà une tâche à laquelle tous les Hommes de bonne volonté devraient s’atteler, au nom de la paix, mais aussi de la taille nécessaire qu’il nous est désormais nécessaire d’atteindre pour pouvoir discuter avec certains partenaires.
La France est de par son Histoire et l’universalité de certaines de ses valeurs fondatrices, un phare pour beaucoup de peuples. Il tient encore à nous d’éviter que ce phare ne se visite comme un musée plutôt que de poursuivre sa mission, celui de donner à ceux, désireux de trouver une direction, un repère et un exemple.
Pour cela, la France a besoin d’un dessein qui transcende ses propres frontières et qui ne sera possible que par la refondation de notre liberté de pensée et de parole, fille de l’indépendance respectueuse et amicale de notre pays envers ses alliés.