Pour France Stratégie, organisme lié au premier ministre, supprimer les « discriminations à l’emploi » augmenterait le PIB français de 150 milliards d’euros. Derrière cette affirmation mirobolante gît une campagne de propagande que le quotidien économique les Échos relaie avec enthousiasme. Les voies de la Révolution ont bien changé.
Surprise pour les enfants qui ne se tiennent pas au courant des évolutions de la Révolution : son journal, désormais, ce sont les Échos ! La Pravda d’aujourd’hui, ce n’est plus l’Huma, ce sont les Échos ! Le journal des milieux d’affaires que Jacqueline Beytout, elle-même businesswoman internationale, avait chipé aux Servan-Schreiber avant de le revendre à un groupe anglais pour qu’il ne risque pas de tomber dans des mains françaises, ce journal s’est donné tant de mal pour chanter les louanges du rapport sur les discriminations à l’emploi que son papier mérite un commentaire de texte en règle.
Selon le rapport les discriminations font perdre 150 milliards au PIB
Avant de commencer, un bref rappel : le commanditaire à qui le rapport a été remis, sous les ordres de Manuel Valls, est le ministre Myriam El Khomri. Vous avez aimé sa loi travail, vous allez adorer son rapport. En voici l’argument, comme on parle de l’argument d’une pièce de théâtre, car c’en est une en quelque sorte : les « discriminations à l’emploi » selon « le sexe et l’origine » priveraient le PIB français de 150 milliards d’euros ! Rien que ça ! Peu importe qu’on ne définisse pas plus précisément ces discriminations ni qu’on en évalue de façon un peu crédible les effets, peu importe qu’on ait choisi comme base de référence et de comparaison le PIB, notion comptable dont on sait qu’elle elle est éminemment manipulable (la controverse de l’an dernier était : faut-il y incorporer le produit de la drogue et de la prostitution ?), qu’importe tout cela, il s’agit de désigner des méchants et de justifier l’action à venir des bons, de donner une ardente obligation aux militants de la Révolution. Une révolution qui satisfait en même temps le socialisme et le marché. Comme l’écrit notre confrère les Échos, « les discriminations dans l’emploi ne portent pas seulement atteinte au principe républicain d’égalité. Elles freinent le développement économique ».
La Révolution a remplacé la Pravda par les Échos
Examinons maintenant le petit chef d’œuvre de communication moderne produit par les Échos. La première chose dont il fallait convaincre ses lecteurs, dans une France qui prend l’eau de toute part, est que le rapport commandé par Myriam est utile et urgent. Aucun argument rationnel ne venant spontanément à l’esprit, Les Échos ont joué de la corde sensible avec élégance et simplicité : la remise du rapport survient « au lendemain de la publication par le Défenseur des droits de témoignages poignants sur le sujet (Les Échos du 20 septembre) ».
L’œil encore humide de ces témoignages poignants, le fondateur de start-up qui lit son journal apprend au passage comment a été conçu le projet : non pas à l’initiative de parlementaires, ou d’acteurs économiques, qu’ils soient employés, cadres, petits ou grands patrons, mais à celle d’un ministre qui s’aide des médias, du Défenseur des droits, et enfin d’un institut d’études, France Stratégie. En somme, aucun élu, aucun entrepreneur ni aucun travailleur ne participe au processus, réservé à des organismes cooptés. C’est si bien ciselé qu’on s’en aperçoit à peine. Il faut dire que Les Échos poussent la discrétion jusqu’à repousser au quatrième paragraphe l’information qui révèle la nature du procédé : on y apprend alors seulement que France Stratégie est un « organisme rattaché à Matignon ».
Discriminations à l’emploi liées au sexe et à l’origine
On ne s’étonnera donc ni de l’orientation de sa recherche ni des résultats du rapport. Étaient dans le viseur « les discriminations liées au sexe ou à l’origine des personnes nées en France de parents étrangers ou de celles originaires des DOM ». Deux remarques. D’abord, les Échos reprennent avec une touchante absence de recul le catéchisme trotskiste commun à la gauche radicale américaine et au néo-socialisme français, qui se sert des « communautés défavorisées » au profit de la révolution. Ensuite, ils y casent les femmes, dans une démarche sexiste, et le produit de l’immigration étrangère y est mêlé aux Français des Dom, dans une démarche radicalement antinationale et raciste.
Après ce tour de passe-passe idéologique vient le rôti de bœuf de « l’information » à faire avaler, et il est de belle taille : « La suppression des inégalités d’accès à l’emploi en général, et plus particulièrement celle des inégalités d’accès aux postes qualifiés, augmenterait le PIB de 6,9 %, soit 150 milliards d’euros. Elle ferait aussi progresser les recettes publiques de 2 % et réduirait les dépenses de l’État de 0,5 %. » Pardi ! On était en train de se chipoter pour un demi-point de croissance en plus ou en moins, pour une décimale dans le déficit du budget, pour quelques malheureuses centaines de milliers de chômeurs imputés à François Hollande, et là, il y a un pactole à portée de main qui va propulser la France en tête de l’OCDE, et en plus on fera notre BA !