L’information a circulé de manière relativement discrète, via Médiapart : un nouveau projet de la Commission Européenne peut été interprété comme un nouveau pas vers la privatisation de la sécurité sociale, même si les autorités bruxelloises s’en défendent. Une évolution aussi prévisible que condamnable.
La « réforme », à la manière européenne
Il faut remercier Médiapart pour avoir informé les citoyens des méandres législatives de cette directive de décembre 2011 sur la passation des marchés publics, qui, dans son annexe 16, « propose d’appliquer aux services de sécurité sociale obligatoire certaines règles propres aux marchés publics. En clair, introduire des mécanismes de concurrence au sein d’un secteur jusqu’à présent régi par le seul principe de solidarité », comme le rapporte le site d’information.
Mais le plus incroyable est la suite des évènements. Naturellement, une partie des élus, notamment de gauche, a condamné cette annexe qu’ils déclarent ne pas avoir vue. Tout ceci en dit long sur le mode de fonctionnement de cette Europe, où les élus (y compris les plus impliqués comme Pervenche Berrès) découvrent 10 mois après les annexes des directives. De deux choses l’une, soit ils ne font pas bien leur travail, soit les procédures sont trop opaques.
Pire, le retour de la Commission inquiète fortement les défenseurs de notre sécurité sociale puisqu’elle propose de ne pas amender la fameuse annexe en question mais simplement « d’ajouter au texte un nouveau considérant, en amont de la directive, qui précise que les services de sécurité sociale obligatoire n’entrent pas dans le champ du texte, tout simplement parce qu’ils ne nécessitent pas, au préalable, la signature d’un contrat (et n’en fait pas un marché public). »
Quand la libéralisation est un échec
Bien sûr, Euractiv dénonce « la privatisation fantasmée de la sécurité sociale » avancée par Médiapart et évoque un manque de sens politique, affirmant même que « les assureurs ne veulent pas remplacer la sécurité sociale ». Mais cette interprétation des choses semble un peu naïve, pour ne pas dire autre chose. La Commission a toujours avancé un agenda dogmatiquement néolibéral et la nouvelle formulation qu’elle propose serait un coin dans la porte de la sécurité sociale.
En effet, il suffirait de contraindre les pays à instaurer un contrat pour alors ouvrir le marché… Bref, cette démarche reste extrêmement suspecte. Et comme le souligne Thierry de Cabarrus, une telle privatisation serait un véritable scandale. En effet, la libéralisation des services publics peut créer des rentes pour des groupes privés, augmenter les coûts pour les usagers, sans forcément améliorer la qualité, y compris pour les universités étasuniennes pourtant citées en exemple.
On voit bien aux États-Unis que la libéralisation de la santé est une catastrophe dénoncée en 2008 par Paul Krugman, qui soulignait que le pays dépense 50 % plus qu’en France par rapport au PIB (soit près du double par personne) pour une navrante 37ème place au classement de l’OMS avec 15 % de personnes non couvertes ! En effet, cette libéralisation créé une santé à deux vitesses avec des mutuelles toujours plus chères, couvrant les patients solvables, et un service public croupion…
Tout choque dans cette histoire : les procédures opaques de cette Europe, qui semble avancer son agenda néolibéral de manière cachée, mais aussi une volonté de libéralisation d’un service public dont les faits démontrent pourtant qu’outre le fait d’être souvent un échec, les peuples n’en veulent pas.