Faut-il imposer les œuvres d’art dans le cadre de l’impôt de solidarité sur la fortune ? Voici le genre de question que se pose à intervalle régulier la représentation nationale, depuis que fut instauré par la majorité de gauche de 1981 l’impôt sur les grande fortune.
Dès le départ les œuvres d’art en furent exclues. De méchantes langues attribue ce privilège à Laurent Fabius, alors ministre du Budget, dont la famille exerce la profession d’antiquaire.
L’intéressé proteste : il aurait refusé de participer à ce débat, au nom de « sa conception éthique de la politique ». Il ne prend toujours pas position sur le sujet, mais lorsqu’il en parle c’est pour dire tout le mal qu’il en pense… On attribue aussi l’existence de cette niche fiscale à la passion dévorante de de François Mitterrand pour les livres anciens, voire à l’intervention toujours auprès du président Mitterrand d’un vieil ami de droite, André Bettencourt.
Le débat est donc revenu sans surprise avec l’alternance, et le premier projet de loi de finances soumis à la nouvelle majorité. Le rapporteur du budget, le socialiste Christian Eckert, a proposé et fait voter par la commission des finances un amendement réintégrant les œuvres d’art « qui ne sont pas exposées au public » et dont le prix est supérieur à 50000 euros dans la déclaration des biens soumis l’ISF. Marianne d’il y a trois semaines avait déjà fait état de la préparation de cet amendement.
Très logiquement la ministre de la Culture s’est déclarée opposée à cet amendement… en faisant savoir à l’AFP par son cabinet : « C’est la liberté des parlementaires de déposer les amendements qu’ils souhaitent. Mais la ministre de la Culture est contre cette mesure ».
C’est net mais pas très combatif. Aurélie Filippetti qu’on avait connue plus accrocheuse, et prête à en découdre à visage découvert, lorsqu’il s’agissait de défendre son pré carré, s’est abstenue de toute déclaration publique. L’explication de cette soudaine discrétion tient peut-être au souvenir du temps où la ministre était député de la Moselle, membre de la commission des finances, quand, en octobre 2011, elle avait défendu le même amendement, proposé par Jérôme Cahuzac alors président de la commission des finances.
Comme elle était éloquente lorsqu’elle jetait en séance publique à la face de la droite, opposée à l’imposition à l’ISF : « La majorité vient, une fois de plus, de pérenniser une énorme niche fiscale sur les œuvres d’art, qui bénéficiera à quelques milliers de contribuables extrêmement fortunés. On a évoqué ici les détenteurs d’œuvres d’art, mais à aucun moment n’ont été mentionnés les créateurs, qui sont les premières victimes de la spéculation, étouffés qu’ils sont par une masse d’argent qui vient gonfler artificiellement le marché de l’art, en particulier dans notre pays. »
L’embarras de la ministre est donc aujourd’hui réel, qui la voit défendre une niche fiscale établie au nom du « maintien du marché de l’art », ce qui n’est pas tout à fait la même chose que la défense de la création, on en conviendra.
Reste qu’il ne faut pas être totalement naïf. L’amendement tel qu’il est rédigé laisse perplexe. Comment vérifiera-t-on que les œuvres sont exposées ou non ? De plus, le rapporteur Chrisaian Eckert, interrogé par Marianne, estime que l’entrée des œuvres dans le périmètre de l’ISF ne rapporterait pas grand chose au budget de l’Etat. D’où une interrogation : cet amendement, préparé en bonne entente avec le ministre du Budget dont on sait les relations exécrables avec sa collègue de la Culture, pourrait-il n’avoir pour objectif, au moins principal, que de l’enquiquiner ?
Si c’est vrai, on peut dire qu’il a manqué son coup puisque l’arbitrage de l’Elysée est de s’opposer à l’amendement… Ironie de l’histoire, c’est Jérôme Cahuzac lui-même qui a annoncé la position du gouvernement au journal Le Monde. C’est fou ce qu’on peut s’aimer dans ce gouvernement…