Un dictionnaire, quelle bonne idée ! La ville d’Issy-Les-Moulineaux en offre un aux élèves qui quittent le CM2. Un livre qui permet d’accéder à d’autres savoirs, de découvrir de nouveaux mots, les choses inconnues qu’ils désignent, ou de nouveaux sens qu’ils ne soupçonnaient pas. S’ils aiment y musarder au gré du hasard, ils découvriront combien le monde est fascinant, et plus tard ils comprendront combien le langage qui décrit ce monde est lui aussi digne de toutes les études. L’initiative est donc louable, elle sert le bien public.
C’est une aubaine aussi pour l’éditeur, Flammarion, qui se voit commander un lot conséquent de ses dictionnaires. Bon prince, il a décidé d’offrir à ses frais un fascicule d’instruction civique, L’abcdaire (sic) de la citoyenneté, écrit par Nicolas Rousseau. Là encore, l’initiative est généreuse. Sauf que.
Dans ce manuel, il y a une page dont le titre est « Intégrisme ». Voici son dernier paragraphe :
« Les premiers mouvements intégristes sont apparus dans la religion catholique à la fin du XIX° siècle, en Espagne. Aujourd’hui encore, une part de la communauté catholique s’oppose à toute évolution de la société, notamment pour les questions relatives à la famille, au mariage et à l’avortement. Ils ont par exemple pris une part active dans l’organisation des “Manifs pour tous” en 2014. »
Il faut louer l’exploit de concentrer dans un si petit paragraphe autant d’informations fausses.
Le Wahhabisme, cet intégrisme musulman, est fondé vers 1740, soit un siècle et demi avant « la fin du XIXe ». Le Hassidisme Loubavitch (sans doute un intégrisme du judaïsme) trouve lui aussi son origine au XVIIIe siècle ;
Ce n’est pas une fraction présumée intégriste de l’Église catholique mais tout son magistère, ses récents papes et la majorité de ses prélats, ses prêtres et ses fidèles qui professent une nécessaire stabilité anthropologique sur le mariage et la famille, et leur refus de l’avortement ;
Les « intégristes » de Civitas ont effectivement manifesté contre le mariage entre personnes de même sexe, mais sans être jamais intégrés dans l’organisation de la Manif pour Tous qui est et souhaite rester aconfessionnelle (même si des catholiques y militent, j’en suis). Les deux mouvements vivent séparément une lutte dont ils partagent certains objectifs, et s’opposent sur les moyens d’y parvenir et le contenu des discours, en rien comparables ;
L’âge d’or des manifestations de la Manif pour Tous, c’était 2013, pas 2014 ;
Les intégristes et traditionalistes des Fraternités Sacerdotales Saint Pie X et Saint Pierre et leurs fidèles ne s’opposent pas à « toute évolution de la société ». Ils ne sont pas figés dans le jus d’une époque comme les amish : certains surfent sur Internet, par exemple.
Les erreurs sont suffisamment nombreuses et grossières, la caricature assez exagérée pour y déceler une exception au rasoir d’Hanlon : ce n’est pas la bêtise qui a présidé à cette rédaction/édition, mais la malignité d’idéologues hostiles au catholicisme. Ce qui relève de leur liberté d’opinion, mais ne devrait pas transparaître dans un livre à destination d’enfants.
La municipalité n’a pas bloqué la diffusion de cet opuscule digne de l’agit-prop d’un pays totalitaire. Carence de contrôle ou complicité assumée ? Je ne suis pas parent d’élève dans cette ville, mais si je l’étais, je tenterais d’obtenir des explications convaincantes face à ce scandale. Une explication de texte, dico à l’appui, quoi…