Ceux qui ne sont pas versés dans les Écritures doivent savoir une chose : les Évangiles, au nombre de quatre et nommés canoniques, sont ceux qui ont été validés par l’Église. Il s’agit des textes de Matthieu, Marc, Luc et Jean, qui ont accompagné Jésus pendant sa vie publique. Textes qui se ressemblent beaucoup et dont on peut penser qu’ils ont été légèrement réécrits dans un but de lisser la parole du Christ. Ce qui a peut-être mis de côté des écrits incompréhensibles ou politiquement dangereux pour l’époque.
Ces Évangiles s’inscrivent dans ce que l’Église chrétienne a appelé le Nouveau Testament, avec les Actes des Apôtres et les Épîtres, mais là, on s’éloigne du sujet, et surtout de l’intérêt historique, qui tourne autour du mystère du Christ. Un Christ qui a bien existé, grâce à des écrits retrouvés, notamment chez les Romains, mais aussi parce que dans les Évangiles se dessine une personnalité bien humaine, bien définie, mi-homme mi-Dieu peut-être, mais qui a foulé la terre de Palestine.
Le temps de bosser un peu avec son père, de quitter la famille, de subir une révélation, de prêcher, de ramasser une bande de types, de leur enseigner le Royaume des Cieux et de se faire liquider par le Sanhédrin de l’époque, soit la haute bourgeoisie religieuse juive. Jusque-là, tout se tient, et on ne risque pas de se prendre des pierres de la part des exégètes, des chercheurs et autres érudits. D’ailleurs, Jésus a un bon petit Scud pour eux :
« Je te loue, Père, Seigneur du Ciel et de la Terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants. »
Revenons aux textes sacrés. Ils sont désormais intouchables, mais ceux qui s’intéressent à la chose christique savent que d’autres Évangiles ont été découverts, et écartés par l’Église dans les premiers siècles après la mort de Jésus. Écartés pour des raisons de fiabilité, les contenus s’éloignant trop de l’enseignement « officiel » du Christ, ou alors devenant par trop ésotériques, alors que Jésus s’exprimait en paraboles, soit des histoires simples pour les profanes de l’époque ; ou alors carrément délirants. L’évangile (on va mettre des minuscules sinon on n’a pas fini) de Philippe, par exemple, est douteux. Celui de Judas l’est encore plus, on ne sent pas la patte de Jésus, faite d’humour et d’intelligence globale des choses, qui donnent ces images si puissantes, si pénétrantes, si durables en un mot.
Mais il est un évangile qui a été écarté, et qui présente bien des aspects intéressants, et en disant cela on n’invente rien : beaucoup d’érudits sont passés sur l’évangile de Thomas, qui sent quand même l’extraction brute, les premiers temps, le parfum de Jésus. En tout cas, cet ensemble hétéroclite a échappé au lissage et aux retouches, et certaines images parmi la grosse centaine sont indubitablement christiques.
Mieux, elles demeurent mystérieuses. Et on va vous dire, écrire quelque chose de mystérieux, qui le reste et qui n’est pas délirant, qui frappe loin au fond de l’esprit, c’est pas tous les jours qu’on voit ça. Maintenant, laissons les spécialistes parler, ce qu’ils disent est intéressant. Oui, on sait, il y a des protestants dedans, mais leurs analyses ont l’avantage de la rationalité. Donc merci de ne pas leur jeter de pierres.
Passons à une analyse plus poussée, avec un développement sur la gnose.
Une petite louche de KTO qui passe en revue les évangiles apocryphes :
Entrons maintenant dans le texte lui-même, ou ces fragments de texte. Certains recoupent les quatre évangiles canoniques, d’autres semblent venus d’ailleurs, et une troisième partie carrément d’une planète inconnue. On a beau se gratter, on n’y comprend rien : c’est à la fois trop perché et trop en rapport avec des images bibliques. On va s’en tenir aux fragments venus d’ailleurs, relativement accessibles.
« Heureux est le lion que mangera l’homme et le lion sera homme. Méprisable est l’homme que mangera le lion et le lion sera homme. »
« Ce ciel finira et celui qui est au-dessus aussi. Les morts ne vivront pas et les vivants ne mourront pas. Quand vous mangez ce qui est mort, vous en faites quelque chose de vivant. Quand vous aurez été dans la lumière, imaginez ce que vous ferez ! Quand vous étiez Un, vous avez fait le deux ; mais désormais, étant deux, que ferez-vous ? »
« Les hommes croient peut-être que je suis venu dans le monde pour apporter la paix. Mais ils ne savent pas que je suis venu apporter des divisions sur terre : le feu, l’épée, la guerre. Dans une maison de cinq, trois seront contre deux et deux contre trois. Le père sera contre le fils et le fils contre le père. Ils se lèveront et seront l’Unique. »
« Je me suis tenu au milieu du monde et je me suis manifesté à eux en chair et en os. Je les ai trouvés tous ivres. Je n’ai découvert parmi eux personne qui eût soif : mon âme a souffert pour les fils des hommes, parce que leur cœur est aveugle. Ils ne voient pas qu’ils sont venus au monde vides et qu’ils s’apprêtent à en ressortir aussi vides. Mais ils sont ivres ; quand ils auront cuvé leur vin, ils changeront d’attitude. »
« Quand le corps vient à cause de l’esprit, c’est une merveille. Mais quand l’esprit vient à cause du corps, c’est une merveille des merveilles. Quant à moi, je m’émerveille que cette richesse ait habité cette pauvreté. »
Petite intervention en passant : vu le niveau des apôtres de l’époque, on a du mal à imaginer qu’ils puissent pondre des images aussi pures, à moins que Thomas n’ait été un surdoué. C’est carrément au-delà de leurs possibilités mentales. Ces phrases chargées d’inspiration viennent bien de quelque part. La suivante n’est pas nouvelle, mais elle tape bien là où elle doit taper, et résonne avec aujourd’hui :
« Les pharisiens et les scribes ont pris les clés de la connaissance et les ont cachées. Ils ne sont pas entrés et en ont empêché ceux qui le voulaient. Quant à vous, soyez prudents comme des serpents et purs comme des colombes. »
Attention, on arrive à la ligne rouge. La température va monter.
Ses disciples dirent à Jésus : « Qui es-tu, toi qui nous dis ces choses ? » Il leur répondit : « Par les paroles que je vous dis, ne savez-vous pas qui je suis ? Mais vous êtes comme les Juifs : ils aiment l’arbre mais détestent son fruit ; ils aiment le fruit mais détestent l’arbre. »
Ses disciples demandèrent à Jésus si la circoncision était utile ou non. Il leur répondit : « Si elle était utile, leur père les engendrerait circoncis de leur mère. Mais la vraie circoncision, celle de l’esprit, est totalement utile. »
« Si vous possédez de l’argent, ne prêtez pas à usure, mais donnez plutôt à celui qui ne vous le rendra pas. »
« Malheureux pharisiens ! Ils ressemblent à un chien couché dans la mangeoire des bœufs : il ne mange pas ni ne laisse les bœufs manger. »
Ou comment exécuter les talmudistes en trois sets. Poursuivons la moisson :
« Quand vous engendrerez cela en vous, ce qui est à vous vous sauvera ; mais si vous n’avez pas cela en vous, ce qui n’est pas à vous vous tuera. »
Il s’agit ici de produire sa propre pensée, pour être sauvé. Sinon, effectivement, on n’existe pas, et on disparaît comme on est arrivés, « vides », d’après le Christ. On termine sur la 114, étrangement contemporaine :
Simon Pierre dit : « Que Mariam sorte d’ici, parce que les femmes ne sont pas dignes de la Vie. » Jésus répliqua : « Voici que je l’attirerai, pour la faire mâle, pour qu’elle aussi soit un esprit vivant, semblable à vous les mâles. Car toute femme qui se fera mâle entrera dans le royaume des cieux. »
Bien sûr, on aurait pu analyser ces fragments, mais ça ferait l’objet de tout un livre. Ils sont comme des lois mathématiques abouties qu’il faut à chaque fois démonter, démontrer.