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Pierre de Brague : "Proudhon, c’est le penseur du futur"

Propos recueillis par Monika Berchvok pour Rivarol

Note de la Rédaction

Un entretien paru dans le numéro 3602 de Rivarol du 21 février 2024.

Pierre de Brague, un des principaux dirigeants et animateurs d’Égalité et Réconciliation d’Alain Soral, vient de sortir un très intéressant livre intitulé Dictionnaire de conscience révolutionnaire, édité par Kontre Kulture. Ce vaste panorama philosophique est une véritable fresque de l’histoire de la pensée occidentale.

 

Rivarol : Comment définir l’esprit bourgeois dont vous faites la généalogie dans votre vaste avant-propos ?

Je le définis selon les termes de Werner Sombart et plus précisément par l’entremise de quatre traits caractéristiques : la « prudence réfléchie », la « circonspection qui calcule », la « pondération raisonnable » et « l’esprit d’ordre ». Comme défendu dans l’ouvrage, l’ensemble souligne la vocation naturelle et la fonction primordiale de la bourgeoisie, à savoir la gestion et l’organisation de la structure économique et sociale. À rebours d’une certaine lecture infantile des rapports de classe, le bourgeois originel est donc chargé par l’histoire d’une mission précise : assurer et assumer le principe de production.

 

L’âge d’or de la pensée bourgeoise correspond à quel moment historique pour vous ?

Deux grands repères selon moi : le Grand Siècle français de Pascal, Bossuet et Corneille, et le courant idéaliste allemand de Kant, Fichte et Schelling. Caractérisé par la conscience de sa responsabilité métaphysique, le premier marque la phase ascendante de la culture bourgeoise quand le second tente d’éviter sa décadence, ayant pris acte de l’expansion de la menace capitaliste...

 

Comment les courants philosophiques liés à la pensée juive ont-ils pris une place centrale dans la modernité ?

En termes philosophiques, leur place est beaucoup plus prépondérante dans la post-modernité que dans la modernité : Husserl, Popper, Wittgenstein, Adorno, Arendt, Levinas, Derrida (pour ne citer qu’eux)… tous ces penseurs représentent ce que j’appelle « la réponse juive à la crise du capital » et plus largement la réponse de la bourgeoisie capitaliste à la crise civilisationnelle dont le point d’acmé est la Première Guerre mondiale. En clair, avant la prise de contrôle culturelle, il y a eu une prise de contrôle économique.

 

Le wokisme est-il le « stade final » de la philosophie du gauchisme ?

Plutôt une extension des droits de l’homme et de l’humanisme sartrien. De ce point de vue, il serait plus cohérent d’incriminer la culture bourgeoise que la culture socialiste...

 

La philosophie révolutionnaire de Proudhon est d’une richesse fabuleuse. Comment définir sa place dans la pensée française ?

C’est le penseur du futur, l’un des plus à même de répondre aux problématiques sociales du XXIe siècle si l’on veut bien faire l’effort d’actualiser ce que recouvre sa « civilisation des producteurs » : mutuellisme, fédéralisme, banque du peuple, droit ouvrier, lutte contre les monopoles et in fine dépassement du capitalisme et priorité politique au travailleur.
Dans le livre, je défends l’idée que la nouvelle pensée progressiste doit s’appuyer sur deux triades : la triade allemande de Hegel, Marx et Nietzsche, et la triade française de Proudhon, Sorel et Bergson.

 

On vous sait proche de l’influence proudhonienne, moins de celle de Bergson. En quoi son vitalisme est-il selon vous à redécouvrir ?

À la croisée des chemins de l’idéalisme allemand et du pascalisme, le vitalisme de Bergson – à l’instar de celui de Nietzsche – paraît en effet bien éloigné du socialisme révolutionnaire.
Et pourtant, Georges Sorel et Édouard Berth en font un ferment indispensable à la révolte moderne, mettant en exergue son incompatibilité avec le positivisme scientiste bourgeois-capitaliste hérité de Descartes et allant jusqu’à suggérer que Lénine, qui vivait à la même époque, était aussi le résultat de ce paradigme. De quoi s’intéresser à la chose !

 

Quelle est la place de Marx dans votre réflexion ?

Une place centrale dans le sens où je le présente comme l’un des piliers de la Nouvelle Métaphysique (potentiellement charriée par la culture révolutionnaire) aux côtés de Spinoza, Hegel, Proudhon, Sorel, Bergson et Nietzsche.
Débarrassé des extrapolations en tout genre – marxistes ou anti-marxistes – et corrigé à l’aune des critiques de Costanzo Preve, Marx apparaît comme le plus grand médecin légiste du devenir capitalistique, un adversaire acharné de l’individualisme libéral et de l’égoïsme bourgeois, et surtout l’indispensable libérateur de la conscience de classe des peuples européens. En somme, il me semble peu pertinent et peu fertile de prétendre développer une pensée révolutionnaire globale sans passer par Marx.

 

Dans votre Dictionnaire, qui incarne le sommet de la pensée pour vous ? À l’inverse, qui pourrait être le néant philosophique incarné pour vous ?

Le sommet de la pensée ? Probablement Hegel mais comment ne pas citer Pascal, Nietzsche, Lukács, Sorel et évidemment Proudhon ? Pour le reste, je me garderais de parler de néant mais plutôt de perversion philosophique : dans ce cadre, je pense que le couple Arendt-Levinas mérite les applaudissements du jury.

 

Au moment où le RN trahit son électorat et que La France insoumise est dans l’impasse de ses contradictions, est-il possible pour vous de voir émerger une nouvelle force « rouge-brune » ?

En Macronie, tout est possible (mais rien n’est permis, pour paraphraser le grand Michel Clouscard) ! Merci pour vos questions et meilleurs vœux à vos lecteurs.

 

Ne manquez pas Pierre de Brague à Lille le 24 février

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7 Commentaires

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  • #3325227
    Le 21 février à 15:25 par Réformisme
    Pierre de Brague : "Proudhon, c’est le penseur du futur"

    Si le futur c’est l’homme aliéné à l’exploitation salariale alors oui

     

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    • #3325410
      Le 21 février à 21:46 par goy pride
      Pierre de Brague : "Proudhon, c’est le penseur du futur"

      L’exploitation de salariale, c’est à dire la prolétarisation du travailleur dépouillé de la possession de ses moyens de production..., c’est le présent. Le futur, du moins celui que l’hyperclasse projette, sera sans travail et salaire, il y aura juste un revenu universel accordé sous la condition d’accepter une identité numérique fusionnée à un compte de monnaie crypto et une injection ARNm par an...
      Soit dit en passant, je ne suis pas radicalement opposé au toute forme de salariat ! J’ai bien conscience que ce n’est pas tout le monde qui peut avoir les aptitudes ou le tempérament pour être entrepreneur, petit artisan, commerçant...indépendant. De plus il y a aura toujours besoin de salariés et fonctionnaires même dans une société idéal où l’Etat doit être réduit à sa portion et à ses fonctions les plus congrues. De plus il y a des secteurs économiques qui ne peuvent pas être fragmentés. Par exemple si on peut fragmenter une exploitation agricole de 1000 hectares en 100 petites fermes de 10 hectares sans perte d’efficacité avec même un gain de productivité...il serait difficile voire dangereux de fragmenter le réseau de centrales nucléaires alimentant un pays en électricité ! Forcément il doit être unifié, uniformisé, et ceux qui y travaillent seront des techniciens et ingénieurs salariés, et le tout sous contrôle public.

       
    • #3325481

      Faut être réaliste hein, il doit y avoir de manière générale seulement 20% de gens ayant une mentalité d’entrepreneur et à être en capacité d’entreprendre un jour.
      Le salariat est bien plus facile que l’entreprenariat, être proprio de ces moyens de production c’est un luxe que peu de gens peuvent s’offrir car c’est lié à tout un tas de risque que ne connaitra jamais le type salarié qui touche son salaire quoi qu’il arrive même en étant pas tjr à 100% de ces capacités au travail (encore pire quand c’est un fonctionnaire)
      Comme l’explique Pride ci dessus, dans tout les cas, il y a plein de domaine économique dans les quels il est impossible de ne pas être salarié car les structures économique doivent être imposante pour être efficace.
      Bref Marx et le capital c’est 1867, l’économie et le monde ont pas mal évolué depuis et le débat est un peu plus complexe que l’aliénation du salariat... ou autre théorie fumeuse comme la baisse tendanciel du taux de profit.

       
    • #3325817
      Le 22 février à 18:26 par Chantier
      Pierre de Brague : "Proudhon, c’est le penseur du futur"

      Sortez du tertiaire et des bouquins. Un chantier ne marche pas du tout de cette façon. Une usine peut être automatisé a 80%. Un chantier non. "moyen de production" hahaha.
      Vous savez ce qu’est vraiment un moyen de production ? Ce sont les matériaux et les outils mais surtout celui qui installe.
      Un contracteur ne paie pas les sous contracteurs, tout les corps de métier se barre du site. Sans preavis. Sans machin administratif. Sans grèves. Sans syndicats.
      Bizarrement ce fait est complètement inconnu de ceux qui parlent de classes et de ré-appropriation.
      Savez vous qui produit la laine de roche, les rivets, le mastic, les struts,les dizainzes de types de vis utilisées par tout les corps de métiers, les planches de plâtres, les différents câbles électriques, les conduits de ventilations etc etc.
      Le rapport de force sur un chantier est simple. Non payé, tu te barres. Pas de bras de fer futile.
      Et très souvent, tout est payé. Et si ce n’est payé, tu menaces de desinstaller pour rendre le coût de réinstallation tellement haut que ca plie.
      Merci.

       
    • #3325910

      @chantier
      Alors oui un chantier peut être automatisé à 80%, je te laisse taper sur youtube "maison impression 3D" tu vas être choqué je crois...

      Sinon, autre détail il n’y a pas que le BTP dans l’économie.
      Dans ce cas précis, être proprio de ces moyens de production, c’est avoir sa camionnette avec tout le matos dedans, c’est une métaphore les moyens de production hein, c’est ce qui te sert à effectuer ton travail.

       
  • #3325395
    Le 21 février à 21:03 par goy pride
    Pierre de Brague : "Proudhon, c’est le penseur du futur"

    Il faut que les producteurs se réapproprient leur souveraineté, cassent les féodalités concentrant les moyens de production, et remettent à leur place les marchands et autres spéculateurs s’engraissant sur le dos des producteurs. Point barre. Le reste c’est de la branlette intellectuelle de penseurs qui ne sont pas dans le monde concret de la production, mais dans celui du concept. Je ne cherche pas à minimiser l’importance du penseur et philosophe, j’en suis un moi même, mais souvent il obscurcit, complexifie...des choses qui sont en réalité très simples !

     

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  • #3326015

    Proudhon est un penseur essentiel et - c’est un de mes mantras - ce fut un fine un penseur LIBÉRAL.

    À la fin du cheminement de sa pensée (il a beaucoup évolué), il se fit apologiste radical du système de Jean-Baptiste Say de l’école libérale française.

    Proudhon fut un proto-libertarien minarchiste, populiste et localiste, et "conservateur" sociétalement.

    Certains provocateurs en parlent même comme d’un pré-anarcho-capitaliste via divers aspects, ce qui n’est pas une "absurdité".

    Son anarchisme fut individualiste au bon sens du terme - encourageant simultanément le mutuellisme, via divers mécanismes sociaux, entre individus libres.

    Ces termes font peur à ceux des proudhoniens (la majorité) qui veulent absolument se revendiquer du mot "socialisme" en toutes circonstances, mais c’est la réalité (et c’est très bien).

     

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