À l’occasion de sa réédition en format poche chez Stéphane Million, petit résumé d’un méconnu mais néanmoins sympathique roman, analyse au vitriol de notre dégénérescence systémique et de l’anthropologie absurde qui en découle.
Le hamburger du titre représente notre planète, détruite par le libéralisme mondialisé et subissant l’influence de la culture de masse américaine.
La principale originalité du roman est son approche : une analyse sous l’angle de la guerre des sexes. Une secte féministe radicale, les Hystérocrates, vise à la domination puis à l’éradication des hommes. Exclusivement composée de membres du sexe féminin et de gays, l’organisation a infiltré et contrôle toutes les positions dominantes de la société postmoderne. Dès lors, leur plan d’action peut être mis en œuvre, d’abord en colonisant les esprits et en reprogrammant les comportements sociaux, ensuite en comptant sur les avancées scientifiques pour pouvoir se passer des hommes dans le processus de procréation (parthénogenèse, ectogenèse).
Nous en sommes à la première phase. Le monde traditionnel, et dans une certaine mesure le début de la modernité, sont fondés sur l’écrit, la transcendance, le principe de Raison. L’homme sublime par là ses instincts grégaires et pulsionnels pour se dépasser et accéder à la maturité. Dans une optique déconstructiviste dont les émules sont légion – merci mai 68 – les Hystérocrates veulent passer à une civilisation de l’image, centrée « autour des médias du Spectacle et du principe de Séduction. » Tous les secteurs ad hoc sont mis à contribution : « jeunisme », industrie du loisir et du divertissement, théâtralisation des affects, dénaturation des sentiments devenus un simple écho des normes comportementales prescrites par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Mais aussi et surtout : promotion de l’impudeur, de la pornographie et de tout ce qui peut esclavagiser l’homme, exacerber sa libido et le rendre dépendant du pouvoir sexuel des femmes. Tyrannique, castratrice, l’Hystérocratie empêche l’homme de se réaliser en tant que sujet par un maintien dans l’infantilisme et le désir effrayé de l’autre sexe. Par cette dévirilisation, elle entraîne les individus dans la féminisation et/ou la névrose : toujours plus de tentations, mais toujours moins de possibilités réelles. Une sorte de tittytainment, en fin de compte, où seuls les aliénés sont heureux.
Bien entendu, l’auteur saisit la tartufferie du féminisme.
En premier lieu, les Hystérocrates sont tous membres de la fameuse classe transnationale privilégiée cosmopolite – toutes les capitales d’Europe semblent d’ailleurs avoir été infiltrées et converties au mode de vie voulu par la secte. Aucune caissière de chez Auchan n’y pointe le bout de son nez ; aucun homosexuel non plus d’ailleurs, style Roehm ou Pasolini, pour qui l’homosexualité n’était qu’une simple préférence sexuelle, et rien d’autre.
En second lieu, la présidente, Barbara, épouse du président des États-Unis, symbolise à elle seule les contradictions du féminisme. Obsédée sexuelle, partouzarde, botoxée, liposucée, son seul désir est de plaire. Son Hystérocratie n’est en réalité qu’un besoin de dominer et d’attirer l’attention, le désir infantile et psychologique de toute-puissance non sublimé. Bref, changer la marche du monde pour un caprice de « mal-baisée ». On pensera ici bien entendu à toutes ces pseudo-féministes qui prétendent haïr l’homme, ce dominant phallique, mais continuent de s’habiller de manière aguicheuse pour attirer les regards de ceux qu’elles affirment détester.
La thèse du roman est d’inspiration psychanalytique : chez l’être humain, l’identité sexuelle, homme ou femme, fournit la matrice des comportements sociaux, or cette matrice identitaire est un rapport de forces. Vue sous cet angle, la narration se présente dès lors comme une suite de variations sur le thème de l’identité sexuelle, des troubles qui en naissent spontanément et de la manière dont ils sont gérés, d’une part, dans les sociétés traditionnelles, l’Islam n’étant ici qu’un exemple d’actualité ; d’autre part, comment ces troubles dans le genre sont instrumentalisés par des « minorités actives », sociétés secrètes ou autres, pour provoquer des tensions sociales, sous prétexte de libération sexuelle et d’émancipation de la femme.
La secte féministe radicale imaginée par l’auteur condense ainsi à elle seule de manière humoristique tous les groupes d’influence et les lobbies modernes qui visent, non seulement à féminiser les esprits, comme diraient Alain Soral ou Éric Zemmour, mais encore à les rendre carrément hystériques et à propager ainsi le chaos en faisant régresser la fonction phallique du psychisme, c’est-à-dire la capacité au contrôle des émotions.
Comme modèle totalisant, l’ennemi juré de l’Hystérocratie est donc l’Islam. Il reste un système patriarcal hiérarchisé dont le symbolisme est antagoniste de l’immanence spontanéiste et grégaire d’un Occident en phase terminale de dégénérescence.
En idéal-type victime de l’Hystérocratie se trouve Lucien, le personnage principal. Trentenaire RMIste, il vit chez sa mère dans un HLM parisien. Incarnation du Français citadin déraciné sur son propre sol, en perte complète de repères, sa vie et son environnement sont la photographie de l’anomie postmoderne ordinaire. Bref, un cauchemar. Tous ses voisins, destruction du civisme aidant, sont spécialistes du tapage diurne comme nocturne. Sa mère, une « célibattante » libidineuse jamais parvenue au stade adulte ne s’occupe pas de ses enfants.
La sœur de Lucien est une petite bécasse aliénée par les modèles d’identification que la culture de masse lui vend, et, aussi, une future obèse. Son petit frère est du même acabit, enfant capricieux, impoli, gavé aux jeux vidéo et en dérive scolaire. Quant à Lucien, c’est un asocial, en perpétuelle interrogation, opposé au paraître, timide, terrorisé par la pornocratie omniprésente et le désir morbide, qu’elle induit mais dont il est exclu. Faute de famille, de repères, de relations stables et de symbolisme auquel s’identifier, il est à la dérive, complètement déstructuré par un système dément.
En prison à la suite d’un incident, Lucien se retrouve confronté à un autre monde, celui des musulmans (Certaines pages « réalistes » auraient pu inspirer Jacques Audiard.) Par la fréquentation de ses codétenus, il découvre que le refus de la décadence occidentale qui le ronge est partagé. Néanmoins, il récuse les arguments théologiques. Le second axe du roman émerge ici. La lutte des sexes, que l’on retrouve lorsque Lucien sort de prison, est un temps mise de côté et permet d’appréhender le roman dans une approche plus globale, par l’opposition de valeurs.
Barbara, l’Hystérocrate en chef, est poursuivie par les assiduités de Mustapha, un business man saoudien. Musulman de naissance, ce dernier est en réalité à l’image des élites occidentales, un assoiffé de pouvoir. Ceci, dans un sens tout orwellien : le pouvoir pour le pouvoir. Un ami de Lucien, Ahmed, est musulman mais fréquente les soirées branchées et se fiche de la religion et de ses implications ontologiques. Deux de ses sœurs portent le voile et suivent des études supérieures. La troisième, délurée, est en rupture avec sa culture traditionnelle. Quant à Lucien, il a pour voisin de cellule un musulman pratiquant conspirationniste, mais dont il se sent par certains égards bien plus proche par les valeurs que de tout ce que le système hystérocrate véhicule.
Pour résumer : les questions de valeurs priment sur les questions d’origine ethnique ou culturelle. D’un côté, nous avons les mondialistes dont les oppositions de façade convergent dans la pratique. Mustapha pense d’ailleurs à ses amis de la CIA et du Mossad pour organiser une opération terroriste sous faux-drapeau, devenue depuis fameuse (indices donnés par Dieudonné : une paroi verticale, des machines à café et une photocopieuse).
Leurs meilleurs relais sont les aliénés qui consomment, reproduisent et défendent un système macabre, aux différents niveaux de la pyramide sociale. Avec quelques années d’avance sur l’actualité (la première édition date de 2006), le roman dépeint ainsi les mœurs privées d’une certaine oligarchie dans un grand hôtel de New York : « On entendait aussi des cris de douleur en provenance de la salle sadomasochiste. Dans le jargon du SM, le rôle dominé-passif était de préférence occupé par les politiciens, tandis que le rôle dominant-actif revenait plutôt aux banquiers et aux patrons des multinationales. Leurs épouses, des « maîtresses », s’étaient munies de godes-ceintures et sodomisaient à la lueur des chandelles.
Un peu à l’écart, des enfants étaient enfermés dans une cage, pour un usage ultérieur. Et pour que tout soit parfait, les tenues vestimentaires en cuir et latex avaient été dessinées par les grands couturiers « porno chic » à la mode, qui étaient également invités. De la sorte, chacun y trouvait son compte, tout le monde était content et la soirée était une réussite. » (p. 83)
D’un autre côté, nous trouvons les opposants au système. Les valeurs philosophiques dont ils se réclament, communes aux trois monothéismes méditerranéens, sont celles de l’humain. Pas un humanisme béat, mais ce qui correspond à l’homme tel qu’il est dans sa structure psychique, à savoir un être qui a besoin de stabilité, de hiérarchie, de valeurs transcendantes et de sens.
En sus, les questions de classe jouent aussi leur rôle. Sorti de prison, Lucien rencontre des étudiants étrangers Erasmus, dont la vie insouciante de parasites à la pensée-magique perdus dans le paraître est à des lieues des considérations politiques et métaphysiques de Lucien. Économiquement à l’aise, cosmopolites en germes, ils s’accommodent parfaitement d’un système dont ils profitent. Bénéficiaires de ses fruits aux dépens des autres, ils sont l’émanation du positivisme le plus niais et le plus naïf.
On est là aux antipodes du portrait des bobos heureux-de-l’être que dresse un Cédric Klapisch dans « L’auberge espagnole ». L’auteur, toutefois, a la bonne idée de ne pas idéaliser les milieux populaires. Avec un soupçon d’anarchisme de droite, il renvoie dos à dos les mondialistes dégénérés et le prolétariat lumpenisé qui n’aspire finalement qu’à devenir ces modèles qu’on lui présente à la télévision.
En résumé, « Photographies d’un hamburger » se révèle une analyse pertinente de notre France urbaine de ce début de 21ème siècle. N’en déplaise aux obsédés de la race, il démontre que le vrai clivage, le vrai danger pour la civilisation réside dans la marchandisation de l’humanité et sa réduction en esclavage par le mondialisme, aidé par la servitude volontaire que réclament les aliénés de tous poils. De fait, son slogan pourrait être « Antimondialistes du monde entier, unissez-vous ! »
La seule chose que l’on pourrait lui opposer, en tant que nationaliste, serait toutefois que la question identitaire, si elle est instrumentalisée dans un but évident de racialisation des rapports sociaux, doit tout de même être prise en compte. Elle implique des référents culturels spécifiques à différents pays et civilisations, construits par l’Histoire au fil des siècles. Démocratie (ha ha ha !) oblige, il importe, dans une perspective de continuité historique, que les groupes allogènes restent minoritaires.
Mais ce que nous pouvons retirer de ce très bon roman, c’est que l’origine ethnique n’entraîne aucune conduite innée, tandis que la convergence de valeurs s’opère au-delà de faux clivages construits et entretenus par le système. Pour le dire d’un mot, de l’Occidental mondialiste, droit-de-l’hommiste et américanisé ou du musulman soucieux des convenances, des traditions, de la pudeur et de la transcendance, l’ennemi n’est pas celui qu’on croit. Et pour plus de précisions : la racaille est un sous-produit de la culture américaine, un admirateur du ghetto, de la flambe et de la pornocratie, ce n’est donc pas un musulman, mais un « américain » héritier du sloanisme (la culture du divertissement).
Citation :
« Nous gagnerons ! Les valeurs hystérocrates sont celles de la société de consommation capitaliste, qui se confond aujourd’hui avec le modèle civilisationnel de l’Occident démocratique et libéral. Notre domination sur le monde croîtra à proportion de la mondialisation de ce modèle. Il nous faut donc en finir avec toute résistance possible en décapitant toutes les autorités et les transcendances symboliques ! Vous l’avez deviné, je pense à l’Islam et aux cultures traditionnellement phallocrates et patriarcales. À cette fin, les programmes des universités doivent tous répondre aux critères « politiquement corrects » ! Les développements du secteur tertiaire, des services, des relations publiques, d’Internet, de l’idéologie de la communication instantanée serviront naturellement notre cause en participant à rendre insupportables l’attente, l’ennui, les recherches, les longueurs, la patience. L’accélération de tous les processus interdit la réflexion à long terme, favorise la libre expression des humeurs à court terme et transforme tout citoyen en une jeune fille impulsive. Nous devons évidemment travailler à la promotion de la presse féminine ! Ces magazines sont nos organes médiatiques : le sexe comme thème exclusif, les textes courts, la mise en page colorée avec beaucoup de photos obligent à une lecture fragmentée et amenuisent la puissance de concentration. La recherche du plaisir immédiat, la séduction doivent remplacer le vieux principe de Raison phallocentrique et son ordre discursif linéaire ! »