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Pétrole Syrien : chronique d’un embargo annoncé

Comme prévu, l’Union européenne a confirmé, ce vendredi 2 septembre, l’embargo sur toutes les importations de pétrole syrien sur son territoire, confirmant aussi, par la même occasion, son alignement sur la diplomatie américaine.

Les fédéralistes gémissant sur l’absence d’une réalité et d’une volonté politique européenne commune pourront se consoler : leur Europe existe au moins pour relayer, de la Syrie à la Libye en passant par la Yougoslavie, la Géorgie, la Côte d’Ivoire, le Soudan, l’Iran, les volontés et mots d’ordre du département d’Etat de Washington.

Cette décision était attendue, s’inscrivant dans le « jeu » de mesures économiques prises ou annoncées par les Américains et leurs seconds pour mettre à genoux le régime – en accroissant les difficultés de la population : c’est, ni plus ni moins, une façon « libérale » de pratiquer l’ingérence – et la subversion.

Cette décision européenne n’est certes pas anodine : 95% des ventes de pétrole syrien se faisaient avec les pays de l’Union européenne. On estime qu’entre un quart et un tiers des recettes syriennes pourrait être compromis par l’embargo sur le pétrole. Celui-ci, pour être précis, concerne non seulement l’achat, l’importation et le transport du pétrole et des produits dérivés, mais aussi les services financiers et d’assurance liées aux transactions.

Toutefois, l’embargo est, en quelque sorte, « à la tête du client » des Syriens : l’Italie a obtenu en effet de ses partenaires européens que les contrats de livraison de pétrole syrien actuellement en cours, et impliquant deux compagnies pétrolières nationales italiennes – Syria Petroleum et Sytrol -, soient honorés jusqu’au 15 novembre. Et, par ailleurs, les experts es-blocus économique de l’Union ont décidé de surseoir, pour un temps indéfini, à la mesure d’interdiction de tout investissement européen dans le secteur pétrolier syrien : les « droits de l’homme » et la « démocratie » c’est bien, mais les affaires demeurent les affaires, surtout en ces temps de crise.

Peut-être les Européens, et singulièrement les Français, espèrent-ils, à plus ou moins brève échéance, s’abreuver désormais en pétrole à la « source » libyenne, leur opération « humanitaire » et « pro-démocratie » en Libye s’assimilant chaque jour d’avantage à une opération de captation de ressources énergétiques.

Le salut économique viendra-t-il de l’Est ?

Pour en revenir à la Syrie, quelle parade peut-elle trouver à cette décision, qui frappe un pays fragile économiquement, où 12% de la population était, selon une estimation de 2006, en dessous du seuil de pauvreté, et où le taux de chômage atteignait un peu plus de 8% en 2010 – selon un site de documentation de la CIA ?

Voici dix ans, la Syrie occupait le 29e rang mondial avec une production de 26 millions de tonnes de pétrole brut. Toutefois, ses exportations sont passées, entre 2005 et 2011, de 285 000 barils/jour à 155 000/jours, et n’occuperait plus que le 56e rang des exportateurs pétroliers cette année – ces chiffres-estimations étant eux aussi de la C.I.A. !

Ce qui est certain c’est que le pays était, au moment où a éclaté la crise politique, en pleine restructuration de son économie, avec la modernisation de ses infrastructures, notamment portuaires. Il connaissait aussi un taux de croissance appréciable : 2,2% en 2009. Les principaux secteurs économiques étaient, outre l’industrie pétrolière, l’agro-alimentaire, le bâtiment, la métallurgie, ainsi qu’un important secteur artisanal produisant vêtements, tapis et produits en cuir. Les exportations reflétant l’activité de ces différents secteurs.

Mais c’est surtout le secteur touristique qui a connu une véritable explosion, passant de 1 276 000 touristes en 1996 à près de 7 500 000 en 2010. Naturellement, cette activité a été frappée de plein fouet par les six mois de troubles.

Le pétrole est donc une part importante de la richesse de la Syrie. Avec le gaz : tout récemment un accord pour la construction d’un « gazoduc islamique » a été conclu entre Damas, Bagdad et Téhéran (voir notre article « Syrie/Irak/Iran : un gazoduc très politique« , mis en ligne le 27 juillet). Un partenariat qui pourrait, symboliquement, témoigner d’une réorientation de l’économie syrienne vers « l’Est », c’est-à-dire, outre l’Iran et l’Irak, des nations ayant jusqu’à présent soutenu diplomatiquement la Syrie, et en concurrence économique avec le bloc occidental, comme l’Inde et la Chine. Enfin, on voit mal la Russie laisser « tomber » son allié historique et principal au Proche-Orient, surtout après le raid stratégico-économique » de l’OTAN sur la Libye et son pétrole.

De toute façon, les mesures de rétorsion économiques ont toujours davantage pénalisé les populations qu’abattu les régimes : l’Irak en est le plus récent, le plus notable et le plus désolant exemple. L’Union européenne a certes tiré une assez grosse cartouche contre Damas, mais on peut penser que c’est une des dernières. Car que faire de plus, la guerre ?