Tour d’horizon des points chauds du Grand Jeu...
À tout seigneur tout honneur, le chef de l’Organisation de coopération de Shanghai a appelé la grande formation eurasienne à intensifier la coopération avec le Caspian Five (Iran, Russie, Azerbaïdjan, Kazakhstan et Turkménistan), notamment dans les infrastructures de transport afin de mieux intégrer le continent-monde. Chose intéressante, il a convié l’Afghanistan à y participer au moment où Washington, la queue entre les jambes, tente piteusement de s’extraire de l’interminable bourbier.
Ces déclarations de l’OCS sonnent familièrement à l’oreille du fidèle lecteur de nos Chroniques qui en avait eu un avant-goût il y a trois ans :
« Le corridor RAI (Russie-Azerbaïdjan-Iran) se combinera avec les voies chinoises pour former un maillage eurasien serré par lequel transiteront marchandises et hydrocarbures. De Lisbonne à Pékin et de l’océan Indien à l’océan Arctique. Un seul absent dans tout cela : les États-Unis, dont la capacité de nuisance s’amenuise à mesure que l’intégration de l’Eurasie se poursuit. » [1]
Le RAI est sur les rails et sera à terme raccordé aux nouvelles routes de la soie. On comprend la fébrilité des stratèges impériaux, qui ont d’ailleurs bien d’autres raisons de se prendre la tête à deux mains...
En Argentine, le président Mauricio Macri, gentil toutou des USA, vient de se prendre une volée aux élections primaires, répétition générale de l’élection présidentielle du mois d’octobre. Pour Washington, c’est une bien mauvaise nouvelle, d’autant que le grand vainqueur est le parti de l’ancienne présidente Cristina Kirchner, elle aussi bien connue des lecteurs. Nous en parlions entre autres dans un billet consacré à l’établissement d’une base radar chinoise dans la pampa :
« L’accord sino-argentin avait été signé en 2015, du temps de Cristina Kirchner, égérie de la multipolarité. Ironie du sort, l’objet de l’accord se réalise sous son successeur et adversaire, pion de l’empire comme nous l’expliquions il y a deux ans :
"Macri, dans la plus pure tradition des leaders latino-américains dévoyés, est l’homme de paille des États-Unis en Argentine, permettant l’installation de deux bases US dans son pays, plaçant sa fortune chez son maître, s’attirant les louanges de son suzerain." [2]
... et acceptant avec gloutonnerie tout accord avec le FMI visant à esclavagiser un peu plus son pays. Sans surprise, la Cristina, maintenant sénatrice, s’y oppose résolument et préfère les prêts de la banque des BRICS ou de la Chine. D’où la base radar, facilité donnée au dragon contre des espèces sonnantes et trébuchantes à un moment où l’Argentine était étranglée financièrement. Le combat continue entre la pasionaria et le vassal. Macri est largement devancé par C.K dans les projections du premier tour (39 %-30 %). Quel que soit le résultat, la base chinoise est là pour rester, l’accord ayant été signé pour 50 ans. » [3]
C’était l’année dernière et les sondages étaient en deçà de la réalité. Si Cristina ne s’est pas présentée elle-même, son parti a gagné par 47 % contre 32 %. Un retour du clan Kirchner à la Casa Rosada apporterait à coup sûr un regain d’activité au processus de multipolarité en Amérique du Sud, un temps mis à mal par la destitution de Dilma au Brésil et l’élection de Macri. On se rappelle que l’Argentine de Cristina, bien que ne faisant pas officiellement partie des BRICS, y faisait souvent figure de membre associé, ce qui sera sans doute à nouveau le cas dans deux petits mois...
Dans les Balkans, les oreilles impériales ont également dû siffler. Le patron de la Republika Srpska (ou République serbe de Bosnie) a réaffirmé son refus de rejoindre l’OTAN, torpillant de facto la marche de la Bosnie vers l’Alliance atlantique. En effet, le pays est, depuis les accords de Dayton ayant mis fin à la guerre en 1995, divisé en deux entités : la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska, qui cultive des liens étroits avec Belgrade.
Or, la présidence bosniaque est collégiale et les décisions prises, théoriquement du moins, de manière collective. Dans ces conditions, on ne voit pas comment ce pays pourrait accéder à l’OTAN, d’autant que Milorad Dodik, le dirigeant des Serbes de Bosnie n’y va pas par quatre chemins : « Nous sommes liés à la Serbie. Si celle-ci rejoint l’OTAN dans 100 ans, nous le ferons aussi. Si elle n’y adhère pas dans 300 ans, nous n’y serons pas non plus. Le partenariat pour la paix est largement suffisant. Si cela ne plaît pas à l’OTAN, elle est libre de le quitter ». Sans fioritures...
Est-ce ce qui pousse le bras armé américain en Europe à exprimer sa mauvaise humeur du côté de la Baltique ? Dans ce qui paraît être une évidente provocation, l’avion du ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a été titillé par un F18 otanien au-dessus des eaux internationales avant que celui-ci ne soit joliment éconduit par un Sukhoï (admirez la manœuvre).
Ces chamailleries sont tout sauf nouvelles dans la zone :
« Un Sukhoi russe a de nouveau intercepté de manière acrobatique un avion américain vendredi dernier, au-dessus de la Baltique. Il s’est approché à une dizaine de mètres et s’est permis un audacieux tonneau, louvoyant autour du RC-135 de reconnaissance de l’US Air Force. Le Pentagone est furieux, parlant de "manoeuvre dangereuse" dans l’espace aérien international. Le ministère russe de la Défense répond que l’avion américain tutoyait la frontière russe et que son transpondeur était éteint : "Soit vous arrêtez de voler près de nos frontières, soit vous vous identifiez". Ambiance, ambiance... » [4]
Interceptions d’avions ou survols menaçants de navires sont presque devenus un sport national dans la Baltique et le coup fumant sino-russe d’il y a deux ans n’a rien fait pour arranger les choses...
Dans ce qui peut être vu comme un évident pied de nez à l’empire américano-otanien, les marines russe et chinoise commencent aujourd’hui des exercices navals communs en mer Baltique. C’est la première fois que Pékin envoie sa flotte dans la zone et c’est tout sauf un hasard. Un expert militaire russe nous en donne un intéressant éclairage [5] :
« Depuis 2015, les exercices russo-chinois s’approchent de plus en plus des "points chauds" potentiels aux frontières des deux pays. Ce processus se déroule parallèlement à l’augmentation de la présence militaire des alliés européens des États-Unis en Asie […]. L’ingérence européenne dans des litiges à l’autre bout du monde serait loin de plaire à la Chine qui a décidé d’envoyer ses navires en mer Baltique.
Les deux pays soulignent le caractère humanitaire et antiterroriste des manœuvres, mais on sait que lors des exercices Joint Sea précédents, les marins des deux pays se sont entraînés à mener une guerre locale, notamment à parer des attaques aériennes, à combattre les sous-marins et à utiliser des missiles antinavires ». [6]
L’empire n’est pas plus heureux au Moyen-Orient où la croisade saoudienne au Yémen tourne au fiasco. Même le Figaro, dont le propriétaire est pourtant si amène avec les pétromonarchies pour leur vendre des armes, se croit obligé de le reconnaître. Non seulement la coalition anti-houthi fait du surplace mais elle se déchire maintenant au grand jour. À Aden, des séparatistes sudistes liés aux Émirats arabes unis se sont retournés contre les forces de l’ex-gouvernement soutenues par l’Arabie saoudite. Le palais présidentiel a été pris et les combats ont fait une cinquantaine de morts et des centaines de blessés. Pour ajouter à la farce, Riyad a répliqué en bombardant ses anciens alliés tandis que les Houthis profitent de la situation.
Si les grassouillets cheikhs des deux bords tentent d’éteindre le feu, cette semi-rupture ne trompe pas. Réduction des troupes émiraties au Yémen, retournement de veste partiel vis-à-vis de l’Iran, peut-être même discret rabibochage avec le Qatar, bête noire de Riyad : Abu Dhabi semble, depuis quelques temps, prendre ses distances avec le voisin saoudien, désormais bien esseulé.
À 2 000 km de là, les loyalistes syriens continuent leur avance dans l’Idlibistan malgré la résistance acharnée des djihadistes "modérés", dont la dernière contre-attaque a d’ailleurs fini en désastre. Le kotel prévu dans notre dernière livrée se met peu à peu en place vers Khan Cheikhoun et l’ambiance n’est pas à la fête chez les barbus, dont les officines, habituées à minimiser les succès de Damas, ne nient pas cette fois l’urgence de la situation.
Hong Kong, enfin. Les manifestants si sorossement démocratiques commencent à montrer leur vrai visage. Les gentilles manifestations pacifiques ont fait long feu, ce qui n’étonnera personne quand on sait qui est derrière. Place désormais aux armes parfois sophistiquées (comme cet élégant lanceur de grenade), au blocage d’aéroport, aux violences anti-chinoises (blessés battus, journalistes ligotés), aux drapeaux US et au soutien plein et entier de la presstituée occidentale. Bref, tous les éléments d’une « révolution colorée »...
Hélas pour Washington, nous ne sommes plus au début des années 2000, quand les pays victimes de ces agissements ne savaient pas comment y faire face. Chinois et Russes sont parfaitement au jus et vont d’ailleurs rapidement se consulter pour contrer l’ingérence américaine, ce qui confirme en creux notre billet du 30 juillet évoquant une offensive du Deep State contre ses deux bêtes noires. Une matérialisation parmi d’autres de l’alliance de plus en plus stratégique entre l’ours et le dragon.
Pékin, qui vient d’ailleurs de refuser la prochaine escale à Hong Kong de deux navires américains, veut en finir et envoie ses troupes vers l’ancienne colonie britannique. Si les pions made in Sorosland s’entêtent, la direction chinoise ne pourra pas faire autrement que de « lâcher les chiens ». Un massacre à la Tien An Men ferait les affaires de l’empire et le consolerait en partie de tous les revers qu’il connaît par ailleurs. Le but de ses manigances dans le comptoir excentré de Hong Kong n’est évidemment pas de « changer le régime » chinois mais de le mettre dans l’embarras, de lui faire perdre prestige et légitimité alors que le dragon est en train de prendre la place de n°1 des États-Unis dans un nombre croissant de domaines et projette l’intégration de l’Eurasie. Gageons que Pékin a parfaitement compris la manœuvre et agira avec fermeté mais aussi discernement. Les prochains jours nous en diront plus...