Médecin urgentiste qui avait sonné l’alarme lors de la canicule en 2003, Patrick Pelloux, également chroniqueur pour Charlie Hebdo, fut l’une des premières personnes à arriver sur les lieux de l’attentat.
(Morceaux choisis, NDLR)
Adolescent, vous regardiez avec admiration Bernard Kouchner défendre l’action de Médecins sans frontières à la télévision…
Ah mais je suis toujours adolescent, j’ai toujours 17 ans ! Ce qui est passionnant c’est de rester dans l’incertitude, c’est ce qui fait avancer. L’adolescence, c’est la soif de vie, de culture : je suis un adolescent attardé. Voilà. Au plus loin de mes souvenirs, je vois Kouchner, les boat people. Il fallait aider les gens. J’ai choisi médecine à cause de mon désir de faire de l’humanitaire. L’un de mes premiers stages s’est déroulé aux urgences de l’hôpital Trousseau à Paris. À cette époque, quand on était étudiant-stagiaire aux urgences, c’était « débrouille-toi ». En découvrant dans les années 1988-1989, les urgences, le SAMU, j’ai compris qu’il n’était pas forcément nécessaire de partir loin pour faire de l’action humanitaire.
« Ado attardé »… et le caractère qui va avec !
Bien sûr, un caractère un peu à l’emporte-pièce, avec des passions, des remords et des angoisses, qui sont de pire en pire. J’ai le caractère de ma mère. Elle était toujours dans l’empathie. C’était une femme au foyer. Si elle avait fait des études, elle aurait pu être psychologue. Et puis quand j’étais ado, c’était la période SOS Racisme, Coluche, Balavoine. Tout cela m’a beaucoup influencé. Si je fais la synthèse, je suis profondément rock’n’roll. En fait, je reste rock’n’roll.
Vous avez écrit dans une chronique que François Hollande était votre « pote ». C’est-à-dire ?
Oui, c’est un pote. Notre première rencontre a eu lieu en 2003, il était alors premier secrétaire du PS. C’est la canicule, je suis tout seul, les gens sont en train de mourir, je suis un lanceur d’alerte. Au ministère de la santé, Jean-François Mattei et son entourage pensent : « Pelloux c’est un mec de gauche, il veut passer à la télé, il dit n’importe quoi. » Il y a deux hommes politiques qui, à ce moment-là, m’appellent pour comprendre ce qui se passe. Le premier est Jean-Louis Debré, alors président de l’Assemblée nationale. Il me reçoit dans son bureau et me dit : « J’ai appelé le ministère, on m’a dit que vous n’étiez pas fiable et de gauche, donc qu’il ne fallait pas vous fréquenter. Et bien, c’est pour cela que je vous ai fait venir ! » Et le second, c’était Hollande. Il est venu aux urgences, c’est là que nous nous sommes rencontrés. Je l’estime énormément, je trouve que c’est un très bon président dans une situation absolument épouvantable. Je le considère comme un ami mais je n’ai pas son portable (contrairement à ce que dit la légende). La dernière fois que je l’ai vu, c’est à ma remise de Légion d’honneur.
Comment avez-vous rencontré Charb et l’équipe de Charlie ?
Quand j’étais ado, j’avais deux dadas. Mes études pour faire médecine et la musique : j’adorais jouer de l’accordéon avec mes potes. Et il y avait les Têtes raides qui faisaient les tournées des bistrots. Charb faisait des dessins pour leurs concerts. C’est comme ça que je l’ai rencontré la première fois. On a bouffé ensemble, j’ai trouvé ce mec génial et on s’est échangé nos numéros de téléphone. Après, c’est Philippe Val qui m’a demandé d’écrire pour Charlie Hebdo. Charb, c’était mon frère. Il était au-dessus du meilleur ami. On s’appelait douze fois par jour. Il y avait énormément de respect, de solidarité entre nous. Ce qui m’a fait le plus pleurer le jour de l’attentat, c’est lorsqu’un de ses cousins m’a dit : « Lors du réveillon de Noël, il nous a parlé de ton combat syndical, il était drôlement fier. » Cela m’a bouleversé. Il suivait ce que je faisais. On ne mesure jamais comment nos amis parlent de nous. Il me manque.
Le lendemain de l’attentat, vous étiez sur France Inter. Vous avez pleuré à l’antenne. Pourquoi être allé si vite dans les médias ?
Les larmes, ce n’est pas voulu. J’ai posé mon cœur par terre. J’étais comme mort. J’y suis allé parce qu’il le fallait. Si c’était à refaire, je le referais. Par-dessus tout, je ne voulais pas que le Front national ou la haine emporte tout. Il fallait apaiser et montrer à ceux qui pensaient avoir détruit le journal qu’on était encore debout. Au soir des attentats, je me suis souvenu que Charb – lorsque il y avait eu l’incendie criminel des locaux de Charlie en 2011 – m’avait dit : « Je vais faire tous les médias pour parler. » Charb, c’était un homme de courage, il fallait toujours être dans la lutte et résister, vivre debout et pas à genou.