La prochaine visite du Pape au pays des cèdres est confirmée, malgré les tensions qui agitent le Liban depuis la Syrie et sur lesquelles pèse « l’opportunisme économique » occidental. C’est par ces mots que le patriarche syro-catholique Youssef III Younan (photo ci-contre) parle de la visite imminente du Pape à Beyrouth, depuis son siège du patriarcat à Charfat, où se tiendra la rencontre œcuménique avec le pape Benoît XVI le 16 septembre.
Béatitude, où en est la guerre en Syrie ?
Nous sommes très inquiets pour le pays. Et particulièrement à Alep, même dans le centre-ville, où les combats se poursuivent entre l’armée et les rebelles. Les habitants restent terrés chez eux, sans pouvoir sortir. Le seul moyen de fuir est l’aéroport d’Alep, mais la route pour y accéder est devenue très dangereuse à cause des check-points de la dite Armée syrienne libre. Les dernières semaines ont été tragiques pour la sécurité et pour l’approvisionnement de l’alimentation comme de l’énergie.
Que pensez-vous faire ?
La suite des événements est imprévisible, et il est difficile de savoir comment agir. Le régime se dit prêt au dialogue, mais les rebelles et l’opposition ont mis comme condition pour s’asseoir à la table des négociations la démission de Bachar al-Assad au pouvoir. Une demande inacceptable pour le président. Nous sommes donc au point mort.
Comment évaluez-vous l’attitude de la communauté internationale ?
L’un des paradoxes de la crise syrienne est que les monarchies du Golfe, qui sont majoritairement sunnites, cherchent à renverser le régime syrien pour des raisons religieuses. Et les pays occidentaux, au lieu de refuser le sectarisme et de tenter une médiation, soutiennent les pays de Golfe à cause du pétrole. Nous devons nous demander pourquoi l’Occident - une communauté de pays qui se disent laïcs, composée de sociétés fondées sur les droits de l’homme et qui fait fi de la foi des citoyens - accepte sans réserve qu’au XXIe siècle, l’Organisation de la Conférence Islamique - composée de 57 pays musulmans ayant la même appartenance à une religion commune - tienne un sommet en Arabie Saoudite pour prendre des décisions politiques !
Vous avez parlé d’« opportunisme économique » ...
Bien sûr, parce que le langage de l’Occident est politiquement correct alors que les grandes puissances ne veulent pas affronter les contradictions des pays qui siègent à l’ONU et qui refusent de donner les mêmes droits à tous les citoyens, quelle que soit la religion à laquelle ils appartiennent. On critique par exemple la Chine pour les traitements réservés aux dissidents politiques, mais pas un mot sur les dépenses de l’Arabie Saoudite, à cause du pétrole. C’est une attitude que je n’hésite pas à définir d’économiquement opportuniste.
Les chefs religieux des chrétiens de Syrie n’ont pas immédiatement soutenu la révolte. Que répondre à ceux qui vous accusent de soutenir une dictature ?
En tant que chefs religieux, nous devons redire encore une fois : nous ne sommes ni pour une personne, ni pour une famille, ni pour une secte, ni pour un système politique contre un autre. Au contraire, nous sommes soucieux du sort de la population syrienne, nous vivons attentivement le déroulement de cette crise. Et tous ces derniers mois nous n’avons rien fait d’autres que de demander à tous ceux qui sont impliqués dans le conflit de déposer les armes et de s’asseoir autour de la table avec un médiateur international, principalement les Nations-Unies en collaboration avec l’Union européenne et d’autres pays tels que la Russie. Nous avons demandé à tous les partis liés au conflit, tant l’armée que les rebelles, de défendre la liberté de tous les citoyens, qu’ils soient sunnites, chrétiens ou d’autres religions. Il est donc absurde de dire que comme leaders chrétiens, nous devons rester avec l’un des deux partis. Ou que par exemple, nous devons nous allier avec les rebelles parce qu’ils représentent une majorité confessionnelle qui tôt ou tard va conquérir le pouvoir, car il est aidé par les puissances qui sont contre le régime syrien. Nous, chrétiens du Moyen-Orient, en particulier en Syrie, en Irak et au Liban, nous nous sentons abandonnés par l’Occident connu pour être un monde civilisé, parce que les politiciens ne font que des promesses et ne poursuivent que leurs propres intérêts économiques.
Vous venez de rentrer d’un voyage à Erbil, dans le Kurdistan irakien. Quelle situation avez-vous trouvée ?
De 2003 à aujourd’hui, au moins la moitié des 800 000 chrétiens qui vivaient en Irak avant la guerre sont partis. Cette hémorragie se voit surtout dans les grandes villes : Bagdad, Mossoul, Bassora. Pendant le Synode pour le Moyen-Orient de 2010, les patriarches et les évêques ont tenté d’analyser les causes de cet exode. Nous avons vu très clairement que les chrétiens n’émigrent pas parce qu’ils n’ont pas de travail, ou parce qu’ils souffrent de la faim, mais d’abord et avant tout à cause de l’insécurité. A cause des conflits internes à l’Islam dont ils sont les victimes innocentes. Il est normal qu’ils cherchent un avenir où ils peuvent construire un futur meilleur. Mis à part le Liban, où subsiste une égalité substantielle entre les fidèles de différentes religions, dans tous les autres pays, l’impossibilité de séparer la religion de la politique se traduit par une diminution généralisée du nombre de chrétiens.
Certaines rumeurs disent que le pape pourrait annuler son voyage prévu mi-septembre à Beyrouth. Qu’en pensez-vous ?
La situation n’est pas inquiétante aujourd’hui, mais personne ne peut dire comment les choses évolueront. Certes, il y a des tensions à ne pas sous évoluer, mais à ne pas exacerber non plus. Notre espoir a toujours été que cette visite soit un appel à l’espérance pour un avenir meilleur pour tous les peuples de cette région. Non seulement pour les chrétiens, mais aussi un appel à une cohabitation de tous les citoyens des différentes communautés. Les rumeurs qui circulent dans certains journaux ne sont que des hypothèses : pour le moment, la situation n’est pas assez grave pour empêcher le pape de faire son voyage. Au Liban, il y a des tensions, c’est vrai, mais pas au point de reporter une visite très attendue par toute la population.
Quels sont à votre avis les principaux thèmes de la visite du Pape ?
Le pape Benoît XVI vient transmettre une parole de confiance pour encourager les Églises du Moyen-Orient à faire face à ce qui est leur plus grand défi aujourd’hui : convaincre les jeunes de ne pas émigrer. Au Liban, nous avons reçu des milliers de réfugiés, d’abord de l’Irak et maintenant de la Syrie : on ne peut pas leur demander de rentrer chez eux ou de ne pas émigrer en Occident. Ils se plaignent que même quand ils réussissent à trouver un emploi, il reste la peur de ne pas pouvoir assurer l’avenir de leurs enfants ou la crainte de ne pas pouvoir construire une vie digne d’un homme doté de droits civils. C’est pourquoi nous continuons à proclamer l’Évangile et à nourrir la foi en Dieu par des exhortations et des encouragements. Mais nous le faisons dans un contexte socio-politique où la religion en majorité musulmane influence de plus en plus la vie publique et privée des citoyens. Que va devenir le christianisme dans cette région dans 20 ou 30 ans ? C’est le plus grand défi que nous vivons aujourd’hui, en ayant en tête les massacres d’il y a un siècle en Turquie, le conflit en Terre Sainte, la crise sanglante en Irak après l’invasion de 2003 et les terribles combats qui dévastent la Syrie.