Le clash est inévitable" nous assène Michel Danthe dans Le Matin Dimanche du 19 avril. Quel clash ? "Ceux qui doutent encore que la planète ne soit confrontée à ce que le politologue américain Samuel Huntington a appelé le choc des civilisations verront à l’œuvre ce qu’il signifie". Quel est diable cet événement cataclysmique que le journaliste nous annonce avec un ton si menaçant ? La troisième guerre mondiale ? Les invasions barbares ? Non, tout simplement Durban II, la conférence internationale de l’ONU contre le racisme… Déroutant, non ?
A feuilleter Le Matin Dimanche, d’ailleurs, on se rend assez vite compte qu’il n’est pas le seul de cet avis et que la glorieuse lutte anti-raciste, d’habitude considérée très favorablement par les médias, semble être passée de mode pour quelques jours, en tout cas le temps que l’ONU lève la séance et que chacun rentre chez soi. Etrange tout de même : pour une fois que quelque chose se passe de concret au niveau international pour engager la lutte contre le racisme, nous devrions plutôt avoir envie d’applaudir, non ? Et bien non, répètent les maîtres à penser matino-dominicaux. Non, parce que cette conférence, qui se tient actuellement à Genève, accueille, entre autres chefs d’Etat, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, et que celui-ci, en plus d’avoir le mauvais goût d’être bronzé et musulman (ce qui n’est plus très à la mode chez les anti-racistes institutionnels), a exprimé quelques réserves sur la délicatesse des autorités israéliennes en matière, justement, de droits de l’homme et de discrimination ethnique. Face à un tel outrage, nous sommes bien d’accord, la tolérance a tout de même ses limites…
C’est ce qui fait dire, dans le même journal, à Bernard Henri-Lévy, rhéteur de salon dépoitraillé et bien connu, que "la présence même de cet homme dans une enceinte supposée évoquer la question des droits de l’homme est une provocation insensée". Que faire, ô maître ? demande alors le journaliste, accroché aux lèvres éloquentes de l’immortel plumitif. La réponse ne se fait pas attendre : "[Il faudrait] en interdire l’accès [à la Commission des Droits de l’homme de l’ONU] à des pays notoirement dictatoriaux, criminels ou génocidaires." J’ai bien sûr d’abord cru qu’il parlait d’Israël – ce qui m’a un peu étonné de sa part – car la définition y correspondait assez bien mais en fait, non, il voulait parler de l’Iran. L’éternelle histoire de la paille et de la poutre. Toujours dans le même numéro (à croire qu’ils se sont donnés le mot), Pascal Décaillet, qui est tout de même un peu plus rigolo que BHL (lequel doit avoir en moyenne autant d’humour qu’un édito de Philippe Val), choisit le registre de l’ironie pour dénoncer ses petits camarades qui n’ont pas eu l’heur de faire preuve de la même vigilance républicaine que lui : "[Ahmadinejad] est un chef d’Etat, il doit être accueilli comme tel, c’est du moins ce que répètent à l’envi mes chers confrères pour qui la volonté, clairement affichée, de détruire l’Etat d’Israël, n’apparaît pas comme motif de bouderie sur la sublime solitude d’un tarmac". Quels vilains confrères il a, ce M. Décaillet !
Comme tout ça ne suffisait pas encore, on en rajoute quelques couches. Hans-Rudolf Merz était-il obligé de manger avec le président iranien lors de son arrivée à Genève ? Notre conseiller fédéral devra s’expliquer de ce manque de tact devant la communauté internationale, vocifère-t-on dans la presse. Et Micheline Calmy-Rey suivra-t-elle, comme le demandent ses maîtres, le vertueux exemple des Etats-Unis qui se sont retirés de la conférence au dernier moment ? Dans ses actualités du lundi matin, la Radio suisse-romande appelle à la barre le président de la section genevoise de la LICRA, haute instance morale s’il en est, qui nous dit en gros que lutter contre le racisme c’est bien, mais de là à serrer la main à un Iranien, c’est tout de même un peu trop demander… J’espère que Doudou Diène a bien pris note de tout ça, histoire qu’il puisse nous rappeler à l’occasion que bien des progrès doivent encore être faits en Suisse pour lutter contre les discriminations ethniques…
Rappelons toutefois un ou deux petits détails à ces messieurs : 1) Aux dernières nouvelles, il paraîtrait que les Iraniens, tout bronzés qu’ils soient, entrent également dans la définition communément admise de l’humanité. Il va falloir faire avec. 2) Contrairement à ce qui a été répété à l’envi dans tous les médias, le président Ahmadinejad n’a jamais appelé à rayer Israël de la carte ; une brève recherche sur internet vous permettra de voir que ses paroles ont été tronquées pour les besoins d’une certaine propagande. 3) Plusieurs pays occidentaux reprochaient à juste titre à certains pays musulmans de vouloir faire adopter par cette conférence contre le racisme l’interdiction de se moquer des religions ; cette requête ayant été abandonnée par ceux qui la proposaient, il n’y a plus aucune raison de les ostraciser de la réunion. 4) Il est de notoriété publique que Tsahal et le gouvernement israélien se sont rendus et se rendent toujours coupables de crimes de guerre et de crimes racistes ; la dénonciation de ces crimes a sa place toute désignée dans cette conférence de Durban II. 5) Si on exclut tous les "mal-pensants" de cette réunion, on risque de se retrouver juste entre Occidentaux blancs et ça ne ferait pas très joli sur la photo pour une conférence internationale contre le racisme…
Voilà, c’est tout.
David L’Epée - Unité Populaire