Dimanche 15 avril 2012 plusieurs attentats ont secoué Kaboul. Les attaques ont été perpétrées une fois de plus par les Talibans, cette appellation contrôlée utilisée pour définir les combattants Afghans plus ou moins liés à la nébuleuse Islamiste d’Al-Qaïda.
Les Talibans ont affirmé que le quartier général des forces de l’OTAN de même que les ambassades de Grande-Bretagne et d’Allemagne étaient des cibles prioritaires. La Russie a également été concernée puisque l’ambassade russe a été visée par des tirs de grenades. Cet incident survient alors que la Russie est en discussion avancée avec l’Alliance atlantique pour autoriser la création d’une base logistique de l’ISAF sur le territoire russe.
Tout d’abord l’Alliance atlantique se trouve dans une relation très instable avec le Pakistan, mais aussi avec l’Ouzbékistan, qui refusent sur leurs territoires le transfert de matériel vers l’Afghanistan. On se souvient que la Turquie lors du début de la guerre en Irak, s’était également révélée être un allié peu fiable pour l’OTAN, en refusant au dernier moment le passage de véhicules de l’armée américaine sur le territoire turc.
Cette situation catastrophique fait que l’Alliance atlantique a déposé une demande pour disposer d’une base de transit en Russie afin de pouvoir continuer à assurer le ravitaillement de ses troupes en Afghanistan. Le centre de transit serait localisé à Oulianovsk, une ville russe située sur la Volga, à 893 km au sud-est de Moscou. Il s’agirait de dépôts provisoires pour le stockage l’expédition et la réception de frets non militaires transportés par des avions civils, pour le compte de la Force internationale d’assistance et de sécurité (ISAF) en Afghanistan.
Les commentateurs étrangers qui sont en général prompts à dénoncer l’américanophobie supposée du premier ministre russe actuel, par exemple lorsque comme dans son dernier discours devant l’assemblée il a qualifié l’Alliance atlantique de "vestige de la guerre froide", n’ont que peu analysé ou commenté cette nouvelle autorisation russe alors que pourtant la Russie permet depuis 2009 le transport à travers son territoire de fret destiné à l’ISAF d’Afghanistan, à condition que ce ne soit pas des armes.
Sur le plan intérieur, cette nouvelle facilité accordée à l’OTAN a provoqué une réaction de colère du principal parti d’opposition russe, le parti communiste. Les communistes russes craignent en effet que cette base ne serve de plaque tournante au trafic de drogue en provenance d’Asie centrale et présente également un danger de livraison clandestine d’armes à des groupes séparatistes. Tout un symbole, sachant qu’Oulianovsk est également le lieu de naissance de Vladimir Lénine.
Pourtant ces craintes de conspirations soulevées par le parti communiste ne semblent que peu fondées à ce jour. Le contrat entre la Russie et l’OTAN n’autorise que le transport de matériel civil, et tout matériel devra être acheminé fermé et sous scellés. Сomme l’a rappelé avec beaucoup d’humour le vice ministre russe en charge de la défense : "Le fait que le papier toilette des soldats américains transite par la Russie ne constitue par une trahison de nos intérêts nationaux". De plus, le centre sera soumis à la loi russe et à la législation douanière russe, alors que s’il s’agissait d’une base militaire américaine, cela ne serait pas le cas. Enfin, les négociations sont menées avec le ministère des transports (et non avec le ministère de la défense).
Les transports seront effectués par des compagnies aériennes russes, probablement les compagnies Волга-Днепр и Полет mais aussi par les chemins de fer russes. On peut imaginer que la première conséquence de l’installation de ce centre logistique sera donc la création de nombreux emplois puisque selon des estimations basses, cette immense réorganisation logistique de l’ISAF en Eurasie concernera 72.000 véhicules et 125.000 containers. Le prix de transport d’un container devrait être de 5 à 6.000 dollars et lors du retrait de l’ISAF théoriquement prévu pour 2014, la quantité de containers devrait très fortement augmenter. C’est pour cette raison sans doute que le contrat ne devrait être signé que jusqu’en 2014, date à laquelle le retrait de l’ISAF d’Afghanistan devrait être effectif.
Une décision similaire vient également d’être prise par le président Kirghize qui a indiqué à maintes reprises qu’après l’été 2014, il ne devrait plus y avoir de contingent militaire de l’Alliance atlantique à l’aéroport de Manas, mais uniquement des civils. Le pays s’est en revanche dit prêt à continuer à participer à l’expédition de fret civil en Afghanistan après 2014. Ces deux décisions coordonnées russes et kirghize arrivent à un moment crucial, au moment ou le bail de la base russe de Kant au Kyrgyzstan devrait être prolongé. Il faut rappeler que l’aéroport de Kant fait aussi office de base pour l’OSTC, une organisation de sécurité et de coopération à vocation politico-militaire qui regroupe à ce jour l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, la Russie et le Tadjikistan.
Pour l’OSTC, la sécurité de cette région va devenir un point essentiel, surtout après le départ de l’ISAF d’Afghanistan. Pour le secrétaire national de l’OSTC Nikolaï Bordiouja : "Le retrait envisagé de la Force internationale d’assistance à la sécurité ne tardera pas à aggraver la situation. Les structures radicales et nationalistes intensifieront leurs activités visant à encourager les tendances contestataires et à accentuer les contradictions inter ethniques et inter confessionnelles dans les pays membres de l’OTSC".
Pour l’analyste Andrei Tsiganok : "Laisser les américains utiliser Oulianovsk devrait permettre à la Russie de discuter plus fermement sur d’autres sujets, comme le point essentiel du bouclier anti-missiles". En outre "cela fait 10 ans qu’ils (les américains) protègent indirectement la Russie des Talibans". On peut en effet se poser la question de savoir ce qui se passera lorsque l’Afghanistan dans moins de 18 mois sera livré à lui-même. Sur quels fronts iront combattre les milliers de Moudjahidines aguerris par 10 ans d’affrontements, lorsque plus un soldat étranger ne sera présent sur le sol Afghan ? En décembre 2011, les membres de l’OTSC ont adopté un plan d’action appelé à contrer les menaces nouvelles, en prévoyant la création de ceintures de sécurité autour de l’Afghanistan.
Comme l’a parfaitement résumé Innokenti Adiassov : "Il serait absurde de continuer à voir l’Otan à travers le prisme idéologique soviétique. Mais il serait naïf de s’imaginer l’Alliance comme un club inoffensif qui remplit des fonctions exclusivement pacifiques. Il est évident que la coopération entre la Russie et l’Otan n’est possible que dans la mesure où elle ne contredit pas les intérêts nationaux russes, y compris les intérêts de la Russie dans l’espace postsoviétique".
Si la Russie peut donc finalement en arriver à souhaiter provisoirement le maintien de la présence américaine en Afghanistan, ce pays n’est pour autant qu’une pièce du grand jeu qui se déroule en Eurasie, un grand jeu qui inclut d’autres pièces essentielles parmi lesquelles : l’Iran ou encore le bouclier anti-missiles.