Dans un livre qui se lit comme un thriller et qui démarre avec la révolution ukrainienne de 2014, le journaliste anglais Oliver Bullough retrace les débuts de la finance offshore et parvient à montrer son lien direct avec l’augmentation des inégalités dans le monde.
Moneyland : Why thieves and crooks now rule the world and how to take it back (Moneyland : comment les voleurs et les escrocs dominent le monde et comment lutter contre ça) est rempli d’anecdotes croustillantes et de faits inédits, il dresse un portrait saisissant des ravages que provoque la corruption et du rôle de l’Occident dans ce qui est devenu un commerce prolifique.
Le Temps : Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire ce livre ?
Oliver Bullough : Ce livre est né de mon voyage en Ukraine à la chute du président Ianoukovitch. J’ai réalisé l’impact que la corruption avait sur des pays que j’aimais et les problèmes qui en ressortaient. J’ai voulu montrer que les pays développés ont une responsabilité face à la corruption. Je pense qu’il y a encore un long chemin à faire avant que l’opinion publique européenne s’en rende compte.
Mon rêve, c’est qu’un jour nos sociétés disent : nous devrions arrêter d’accepter tout cet argent. C’est pour cela que nous organisons les Kleptocracy Tours à Londres avec un collègue. Nous emmenons les gens faire le tour des propriétés des oligarques et des dictateurs au centre de la capitale pour qu’ils se rendent compte des effets concrets de la corruption sur notre territoire.
Qu’est-ce que Moneyland, dont vous parlez dans votre livre ?
C’est une sorte de pays secret qui n’est accessible qu’aux ultra-riches. Il est la conséquence du fait que l’argent voyage librement mais que les lois s’arrêtent aux frontières. Du coup, ces gens peuvent mettre leur argent là où il sera le mieux traité. Quelqu’un de très riche peut même se confectionner le pays de ses rêves. Il paiera des impôts à Saint-Kitts-et-Nevis, bénéficiera de la protection juridique anglaise et des conseils des banquiers suisses. En somme, les riches écrivent leurs lois, ils ne vivent pas dans le même monde que nous.
Vous attribuez la naissance de la finance offshore à un banquier allemand de Londres.
En effet. Avant Siegmund Warburg, un banquier allemand vivant à Londres dans l’après-guerre, bouger de l’argent d’un pays à l’autre était très compliqué. Le système monétaire, mis en place par les accords de Bretton Woods après la Seconde Guerre mondiale en Europe, était très strict. Ils avaient peur d’un remake des années trente, où la spéculation de certains capitalistes avait détruit la démocratie. Mais l’essence même de la banque, c’est de déplacer l’argent d’un endroit à un autre. Du coup, les financiers de la City s’ennuyaient.
C’est difficile à croire aujourd’hui mais le quartier de la finance à Londres était quasiment à l’abandon ! Tout se passait à Wall Street. C’est là que Warburg a trouvé la faille de façon assez géniale. Il y avait de l’argent qui dormait en Suisse. Il a pu l’en sortir grâce à une faille du système. Tout d’un coup, cet argent n’était plus taxé et donc très profitable. Une fois que la brèche a été ouverte, le système de parité du dollar sur l’or s’est écroulé.
Lire l’article entier sur letemps.ch
Un documentaire sur la City, la ville la plus riche au monde, par laquelle transitent 50% des fonds internationaux :
Jacques Attali a écrit un livre en 1985 en forme d’hommage au financier moderne Warburg, rejeton d’une longue lignée de banquiers.
Un homme d’influence, Siegmund Warburg
Né avec le siècle dans une très ancienne famille de banquiers juifs, Siegmund Warburg, à l’exemple de ses plus grands ancêtres, commence sa carrière comme banquier et conseiller du Prince en Allemagne.
Dans les tourbillons de Weimar qui ruinent son père, il participe aux tortueux financements des réparations allemandes. Et lorsque l’économie de la dette laisse place à l’économie de la guerre, l’avènement de Hitler l’envoie à Londres, avec son nom pour tout capital. Il y fonde une petite société financière, y invente les modes de financement des Alliés en guerre, et contribue à briser ceux de l’Allemagne au moment où Hitler détruit, avec son peuple, la banque que sa famille a mis plus de deux siècles à bâtir.
Après la guerre, tout recommence. Il relève le nom de la famille, crée à Londres sa propre banque, S.G. Warburg and Co. En vingt ans, il y devient de nouveau le premier banquier de la place, conseiller du Prince, et invente les principales techniques de la finance d’aujourd’hui, des offres publiques d’achat aux euro-émissions. Mais, également avant les autres, il voit se profiler l’impuissance de l’Europe, la rébellion du tiers-monde, la montée du Japon et les difficultés d’Israël.
[...]
Etrange destin d’un homme presque seul, dont l’obsession unique est de relever son nom et d’en prolonger l’influence, au cœur des principaux cyclones de ce siècle. Vigile d’un temps de barbarie, jamais résigné à sa défaite. Prince de la finance, aventurier du siècle, écouté des hommes de pouvoir sans jamais en être un lui-même, il a vécu une de ces très grandes vies à l’ombre desquelles rien ne pousse.