Aujourd’hui, une nouvelle défaite attend le président Barack Obama dans une autre bataille contre ses concurrents républicains. De toute évidence, le "super-comité" composé de douze congressistes (6 démocrates et 6 républicains) sera dissous sans avoir réussi à identifier un plan destiné à réduire la dette fédérale des Etats-Unis de 1.200 milliards de dollars.
Il s’agit clairement d’une manœuvre préélectorale : les républicains ont besoin qu’Obama échoue et ils bloquent toutes ses initiatives dans tout "super-comité." Par contre le président se console probablement avec son retour auréolé de victoires diplomatiques obtenues lors de son long voyage dans le Pacifique qui s’est terminé le weekend dernier à Bali (Indonésie) par le sommet de l’Asie orientale. Obama s’y est imposé face à son rival mondial, la Chine, et l’a fait avec tant d’entrain qu’on se demande si dans cette situation la Russie doit se réjouir ou être déçue.
Jouer selon les règles
L’attaque contre la Chine a commencé sur le territoire américain du Pacifique, à Honolulu, pendant le forum de Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC), et s’est poursuivie pendant la visite de Barack Obama en Australie. Même chose à Bali. Les nombreux discours et rencontres se résument au fait que les Etats-Unis ont effectué, qui plus est de manière impressionnante, le tournant promis vers le Pacifique (loin du Grand Moyen-Orient avec l’Afghanistan, l’Irak et d’autres désagréments).
Et en montrant son activité accrue en Asie Obama a dit beaucoup de choses désagréables à l’adresse des Chinois sans se voir opposer de riposte. C’est une victoire. Notamment du point de vue de l’électeur américain patriote. Et à la veille de l’année électorale de 2012 le président en a grand besoin. Qui plus est en tenant compte des manœuvres républicaines visant à bloquer toute initiative économique des démocrates.
Mais mis à part le facteur électoral, qui a remporté la victoire et face à qui ? En fait, nous assistons à un cas classique de provocation diplomatique. Après le forum de l’APEC à Honolulu l’opinion publique retiendra probablement seulement l’appel d’Obama adressé à la Chine à "jouer selon les règles" dans l’économie mondiale, ne pas s’amuser avec le cours du yuan, laisser les entreprises américaines s’implanter sur le marché chinois, etc.
La provocation réside dans le fait que personne n’a jamais accordé le droit aux Etats-Unis de définir les règles et les interdits dans l’économie mondiale. Après tout la deuxième économie mondiale, qui dépasse les Etats-Unis, qui battent de l’aile, sur beaucoup d’indices, a également le droit d’aider à fixer ces règles. Et elle n’est pas la seule. Et Pékin avait parfaitement le droit de le dire s’il le voulait.
Il existe également des provocations d’un autre genre, ce qui a été constaté à Bali. Le sommet de l’Asie orientale est un événement organisé par dix pays de l’Asie du Sud-Est qui sont membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE). Ils organisent depuis plusieurs décennies leur sommet à la fin de l’année. A une époque ils ont commencé à inviter les partenaires clés pour dialoguer, puis ont inventé le sommet de l’Asie orientale comme une plateforme pour élaborer la philosophie régionale. Mais l’ANASE est avant tout un partenaire clé de la Chine, et ces dernières années les Etats-Unis étaient silencieux dans la région.
Et voici qu’à Bali l’administration d’Obama s’efforce de soutenir au sein de l’ANASE les pays qui ont des problèmes territoriaux avec la Chine dans la mer de Chine méridionale. Ces efforts ont porté leurs fruits avec les Philippines et le Vietnam. Ensuite, à la fin de l’année, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton se rendra en Birmanie, partenaire clé de la Chine, et elle ne cache pas son intention de l’arracher à la Chine. Par ailleurs, Barack Obama est arrivé à Bali après une visite dans le nord de l’Australie, où désormais seront déployés 250 marines américains. Enfin, à Singapour (peu le savent encore) seront probablement déployées deux frégates américaines aux airs futuristes (Littoral Combat Ship, un programme de navires furtifs modulaires). Cela concerne la mer de Chine méridionale.
Que peut faire un pays dans la situation de la Chine ? S’indigner et perdre la face ou faire semblant de ne pas se fâcher, se concentrer. C’est exactement ce que fait la Chine.
La charge de la cavalerie d’Obama ne résoudra rien
Mais que doit faire la Russie, pays du Pacifique, partenaire proche de la Chine et loin d’être un ennemi pour les Etats-Unis ?
Le président russe Dmitri Medvedev ne s’est pas rendu à Bali (bien que Moscou soit enfin admis au sommet de l’Asie orientale), il a été remplacé par le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Entre autre, ce dernier y a prononcé deux phrases importantes. La première : la position russe s’appuie sur l’initiative russo-chinoise de septembre 2010 au sujet d’un système de sécurité des pays non-alignés dans la région. Et la seconde : les positions de la Russie et de l’ANASE se rejoignent sur les questions principales.
Or, c’est la diplomatie de l’ANASE qui a invité pendant des années les Etats-Unis à initier dans la région approximativement ce qui se passe aujourd’hui. Car malgré l’intérêt évident de l’ANASE pour la Chine et son commerce primordial pour la survie de la région, pourquoi l’ANASE échangerait-elle l’hégémonie américaine d’antan contre l’hégémonie de la Chine ? Il doit y avoir un équilibre d’au moins deux forces.
Et l’existence dans le monde de la superpuissance chinoise au lieu de la superpuissance américaine est-elle bénéfique pour la Russie ? En l’absence d’un autre choix, oui. Mais le mieux serait d’avoir le choix et l’équilibre les diverses puissances que l’ANASE tente d’instaurer dans le cadre de l’Asie du Sud-Est. En fait, l’ANASE a besoin de la Russie et d’autres puissances pour équilibrer l’influence aussi bien de la Chine que des Etats-Unis, car deux géants seraient de trop, et il serait préférable qu’il en existe cinq ou six. D’où probablement le rôle peu notable de la Russie dans les événements d’Honolulu et de Bali : Moscou n’a personne avec qui se brouiller là-bas et n’a pas de raison de le faire, il suffit pour lui d’y être présent.
La question est seulement de savoir comment cela se terminera. Il semble que la la charge de la cavalerie d’Obama dans le Pacifique soit plutôt une démonstration. Il existe plusieurs raisons à cela. La première : le défi de la Chine lancé aux Etats-Unis est économique et pas militaire. Qu’en est-il du fait que le nouveau pont de la baie d’Auckland ait été commandé à la Chine, ou que General Electric crée en Chine une coentreprise d’avionique, ce qui aidera au final Pékin à construire son propre avion de ligne ? L’infanterie de marine américaine déployée en Australie est-elle à même de résoudre ces problèmes ? Des milliers de facteurs économiques de ce genre indiquent qu’Obama ne mène pas une offensive dans le Pacifique, mais un combat désespéré pour y maintenir ses positions.
Et la seconde raison d’en douter : pour l’ANASE la Chine est et demeurera l’ami et le partenaire numéro un. Ils ont l’intention pour 2015 d’augmenter les échanges commerciaux jusqu’à 500 milliards de dollars, d’augmenter le nombre d’étudiants des pays de l’ANASE dans les universités chinoises jusqu’à 100.000 pour 2020, et tous ces plans sont réels et convenables pour les deux parties.
Aucun pays de l’ANASE ne tente d’évincer la Chine et de la remplacer par les Etats-Unis. Ils maintiennent simplement l’équilibre. Et si la diplomatie américaine s’oubliait dans le jeu, au prochain sommet de l’Asie orientale ce serait au tour de Washington de se concentrer.