Le 1er février 2011, EDF déclarait à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un problème sur 34 réacteurs de son parc nucléaire. L’électricien se dit incapable d’évaluer si l’eau de secours injectée dans le circuit primaire, en cas de fuite, se répartit uniformément pour refroidir le cœur. Décryptage point par point pour jauger l’ampleur de ce dysfonctionnement.
Il ne suffit pas d’avoir fait des études de sûreté pour que tout fonctionne sur site. Encore faut-il que le matériel de mesure soit bien celui que l’on croit. C’est le constat amer qu’a dû dresser EDF le premier février 2011, 30 ans après avoir construit ses premiers réacteurs de 900 MW.
Un maillon faible
Les études faites par EDF sont formelles : un maillon du système d’injection d’eau de sécurité est défaillant. Or ce système est le seul dispositif qui permette de retarder une fusion du cœur du réacteur lors d’une fuite importante sur le circuit primaire.
En fonctionnement normal en effet, le combustible nucléaire est en permanence refroidi par de l’eau circulant dans ce circuit. Si la tuyauterie du circuit casse, le réacteur est arrêté automatiquement et l’injection d’eau de secours est immédiatement démarrée. « L’idée n’est pas de colmater la brèche, mais d’envoyer de l’eau en continu », explique Martial Jorel, directeur de la sûreté des réacteurs à l’IRSN. Le cœur doit absolument continuer à refroidir.
La pièce qui gêne
Les capteurs sont en cause. Ces capteurs vérifient que l’eau injectée par le système de secours se répartit uniformément dans les trois boucles du circuit primaire. En effet, si l’une d’elles est cassée, l’eau va préférentiellement s’y écouler. Pour refroidir le cœur convenablement, il faut que l’eau circule partout de la même manière. Comment ? En mesurant l’écart de débit, afin de freiner l’arrivée de l’eau dans la branche « qui fuit ».
De la théorie à la pratique
A la conception du réacteur, voici 30 ans, les études de sûreté avaient établi qu’avec une marge d’erreur de 6%, les débits d’eau permettaient encore de refroidir le cœur en toute sécurité.
EDF pense être à l’abri : ses capteurs ont sur le papier une incertitude de mesure de 1%. Problème : alors que les premiers réacteurs 900 MW tournent depuis plus de 30 ans, une vérification faite en 2011 montre que la marge d’erreur est plutôt de… 20%.
Le capteur est un indicateur de perte de charge sur une longueur droite et horizontale de tuyauterie, appelé « colonne Barton ». « Le concepteur avait sous-estimé l’effet de rugosité de la tuyauterie sur la fiabilité de la mesure », explique Martial Jorel.
Pourquoi n’a-t-on pas vu le problème avant ?
Par définition, ce système d’injection de secours ne fonctionne pas en temps normal. Il n’est testé qu’à l’arrêt des réacteurs lors de la maintenance. « Les débits n’étaient pas toujours constants lors des tests », se rappelle Martial Jorel. « Nous avions des doutes sur la précision de ces capteurs » poursuit l’expert de l’IRSN. « Depuis 2004-2005, on interroge beaucoup EDF sur ce problème d’incertitude de mesure », enfonce le clou Guillaume Wack, directeur de la direction des centrales nucléaires à l’ASN.
EDF finit par faire les vérifications nécessaires. Imaginée comme une formalité, la vérification révèle le problème qui avait échappé jusqu’à présent à la vigilance de tous.
34 réacteurs de 900 MW concernés
L’outil de mesure de perte de charge incriminé « est un standard américain », explique Guillaume Wack. Un héritage de la licence du design des réacteurs signée Westinghouse. Ailleurs, sur les réacteurs de 1300 et 1450 MW construits plus tard, Areva s’est réapproprié le design et a mis des diaphragmes, plus précis.
Est-ce grave ?
« Cet événement n’est pas anodin, mais il a été classé au niveau 1 sur l’échelle de l’INES qui en compte 7 », indique Guillaume Wack. « Le système d’injection de sécurité est l’un des plus importants pour la sûreté du réacteur », alerte toutefois Martial Jorel. En envisageant le pire scénario, il pourrait y avoir « dégradation de combustible », et « déversement de produits réactifs dans le circuit primaire », indique l’expert. « Même si cela reste dans une atmosphère confinée ». Lors de l’accident de Three Mile Island aux Etats-Unis, faute d’avoir pu être refroidi, le cœur avait carrément fondu.
Que va faire EDF ?
L’exploitant va devoir remplacer ses capteurs par d’autres plus fiables. Des capteurs par ultra-sons vont être testés dans une centrale à l’occasion d’un arrêt de réacteur « d’ici fin mars », indique Guillaume Wack.
Si l’essai est concluant, charge à EDF de déployer ces capteurs sur tous ses réacteurs, et fournir son échéancier à l’autorité de sûreté.
D’autres anomalies risquent-elles d’être révélées dans le futur ?
Oui, puisque l’IRSN vise précisément à remettre à plat toutes les études de sûreté, afin de « trouver des choses qui n’avaient pas été vues à l’origine ».