Même si les révolutions arabes font naître aujourd’hui le formidable espoir d’un monde plus juste et plus libre, il serait naïf de croire que le monde qui vient sera exempt de rapports de puissance et d’épreuves de force. N’en déplaise à quiconque, la guerre ne désertera probablement pas le XXIe siècle car l’affrontement sous toutes ses formes et la volonté de domination sont consubstantiels des rapports entre les hommes.
Depuis la fin de la guerre froide, nous vivons dans l’ère de la pax occidentalis. Or, celle-ci devrait s’achever dans une dizaine d’années, lorsque la puissance militaire de certains pays émergents égalera celle des Etats-Unis et de leurs alliés.
La guerre pourrait alors refaire son apparition avec un degré de violence que nous n’avons pas connu depuis plus de soixante ans. La prolifération nucléaire et les immanquables poussées de fièvre nationaliste qui accompagnent tout pays s’affirmant comme puissance majeure, risquent de sonner le glas des guerres limitées.
Les armées françaises doivent donc se préparer à de nouveaux engagements opérationnels qui seront probablement au moins aussi exigeants et difficiles que ceux qu’elles conduisent aujourd’hui en Afghanistan. Pour nos soldats, il s’agira de mettre hors de combat les forces adverses. L’Histoire, en effet, est avare de paix durables qui n’aient été obtenues sans la destruction préalable d’une partie ou de la totalité des moyens de combat ennemis.
La stratégie militaire se nourrit autant des enseignements tirés des conflits récents que des évolutions futures dans l’emploi de la force.
Au titre des premiers, on retiendra que la puissance d’une armée dépend toujours de quatre facteurs : la qualité de ses soldats et des matériels qu’ils servent, leur volume et leur niveau d’entraînement. L’impasse dans l’un de ces paramètres entraîne un déficit opérationnel irrémédiable.
Si le niveau technologique des équipements ne constitue pas en soi une panacée, il reste néanmoins un démultiplicateur des effets opérationnels produits sur le terrain. La technologie est ce qui permet, aujourd’hui comme hier, de détecter et de localiser plus rapidement l’ennemi, de tirer plus vite, plus loin et plus précisément que lui, et de lui imposer un rythme de manœuvre qu’il n’est pas capable de suivre.
L’histoire militaire ainsi que les engagements actuels montrent qu’il n’existe pas de guerre courte. Il en sera de même pour les guerres de demain. Nos armées devront être endurantes et avoir un volume suffisant de soldats et d’équipements pour inscrire leur action dans la durée. Les dividendes politiques de nos engagements militaires se payeront autant au prix du sang qu’au prix du temps.
La guerre en Afghanistan et son cortège de morts et de blessés au combat ont rappelé toute la vacuité du concept de "guerre zéro mort". La dureté croissante de nos opérations exige que nos soldats possèdent en permanence un haut niveau de compétences techniques et tactiques. Face à des adversaires déterminés et de mieux en mieux équipés, il est indispensable de disposer de soldats aguerris et très entraînés. L’entraînement ne peut pas être une variable d’ajustement des budgets militaires.
Au titre des évolutions futures dans l’emploi de la force, trois impératifs devront être pris en compte. Il s’agira, en premier lieu, de contourner la stratégie asymétrique que nos adversaires étatiques et non étatiques ont décidé d’appliquer depuis la fin de la première guerre du Golfe. Les actions de coercition devront s’inscrire dans une stratégie globale visant à saper tous les fondements de la puissance adverse. La guerre sortira du seul champ des opérations militaires pour redevenir totale.
Dans cette stratégie globale, gagner la bataille des perceptions revêtira une importance particulière car la puissance des images ne cessera de se renforcer. Il ne s’agira pas de manipuler l’information mais de conquérir les opinions publiques en sachant mettre en valeur nos succès et les progrès accomplis au détriment de ceux de nos adversaires. Le but sera d’inscrire la légitimité de nos opérations militaires dans le temps long des prochains conflits.
L’objectif initial de nos armées sera de désorganiser l’appareil militaire adverse pour faciliter et accélérer sa destruction. Il faudra donc s’attaquer en priorité à ses moyens de commandement, de contrôle, d’acquisition du renseignement et de ciblage. Dans ce cadre, le cyberespace et l’espace extra-atmosphérique deviendront des espaces de manœuvre à part entière dont le contrôle sera déterminant.
Le XXIe siècle sera peut-être à nouveau un siècle de feu et de sang. Nos succès politiques et diplomatiques dépendront très directement de la qualité de nos armées. Pour conserver à la France et à l’Europe leur rang et leur influence dans le monde, nous devrons avoir le courage de regarder la guerre en face. Nous devrons être prêts à la faire, sans haine ni passion, mais avec la même détermination que ceux qui, avant nous, ont accepté de donner leur vie pour notre liberté et notre prospérité.